A coups de bâton
Comme disait ma regrettée Mamie, mieux vaut être maquillée à la truelle que pas maquillée du tout. Euh, Mamie, d’accord, mais ça n’est pas un peu too much, les yeux charbonneux et le rouge à lèvres super-rouge ? De l'ascenseur au tapis en passant par le rouge à lèvres et le cendrier, on vous raconte 14 objets moins familiers que l'on ne l'imagine.
Publié le 05-08-2009 à 00h00
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Comme disait ma regrettée Mamie, mieux vaut être maquillée à la truelle que pas maquillée du tout. Euh, Mamie, d’accord, mais ça n’est pas un peu too much, les yeux charbonneux et le rouge à lèvres super-rouge ? Ma chérie, si tu veux attirer les regards, autant s’en donner les moyens. Bon.
C’est donc grâce à ce viatique grand-maternel (laquelle porta du rouge à lèvres jusque sur son lit de mort, à l’hôpital) que le monde se divise en deux : celles qui en mettent et celles qui n’en mettent pas. Ensuite il y a des sous-catégories : celles qui en mettent pour sortir, celles qui en mettent tous les jours et par tous les temps, celles qui en mettent du rose Barbie, celles qui portent du rouge shocking, celles qui disent j’oserai jamais, celles qui s’en remettent névrotiquement toutes les demi-heures des fois qu’il soit parti. Celles qui portent des beiges improbables, des chocolats malicieux, et celles qui assument cette ignoble invention qu’est le gloss. "Ça fait saucisse, ça capte toute la lumière, et on se dit, celle-là, elle vend sa bouche."
Qui parle comme ça d’un ton aussi assuré ? Eh ben tu ne vas pas me croire, mais c’est la maquilleuse à Johnny. Oui, l’idole des jeunes, le copain du Président et de l’exil fiscal, et aussi la bête de scène aux yeux de loup (qui s’est malencontreusement fait refaire la bouche, justement). C’est peu de dire qu’on est un poil impressionnée ce matin-là, à l’idée (ahahah) de voir celle qui sculpte depuis dix ans le visage de qui tu sais. Nous la rencontrons dans un café du VIe arrondissement de Paris pour un cours magistral. Ce jour-là, c’est une belle femme posée, visage slave, d’un certain âge, aux yeux verts, maquillée dans les chocolat, habillée dans les beiges. Le surlendemain, c’est une jolie femme vive, maquillée nacré : elle a totalement, vraiment changé. Magie du maquillage ? Traduction d’un état d’esprit plutôt, souligne-t-elle. "Quand je suis bien, je mets du chocolat, si je mets du rouge, c’est que je ne vais pas très bien, là j’ai voulu quelque chose de tonique", explique Stéphanie Douschka, qui avait sa ligne de maquillage dans les années 70, et prend aujourd’hui dans les 600 euros pour un maquillage de mariage.
Nous y voilà, au rouge, celui dont tant de femmes disent de ne pas l’oser, faire pute avec, n’en mettre que les jours où elles se sentent femme-femme. Bien sûr il faut oser sourire, oser sa bouche, quoi. On ne va pas revenir sur la symbolique du rouge, la sensualité, la passion, la féminité, le diable(1), tout ça. "La bouche sans rouge reste muette, assène Mme Douschka de sa voix chaude. C’est un spot qui vous donne de l’éclat, réveille le teint et le regard, fait vibrer les yeux." Le porte-étendard de la beauté du visage, en somme ? "Un artifice, plutôt : quand vous êtes fatiguée, faites les lèvres, précisément au crayon, avec un beau rouge; le reste, menton un peu fatigué, joues un peu fripées, paraît plus dessiné."
La démonstration est spectaculaire : la professionnelle se dessine une bouche rougissime, tout s’éclaire, les yeux frétillent, on perd quelques lustres. Au contraire, elle passe sur un brun chocolat un rouge chaud, "qui éteint complètement le visage". Gaffe donc, tant qu’à mettre du rouge, à ne pas se planter : "Il y a les rouges jaunes, les rouges bleus, donc les froids et les chauds, et les rouges bruns. Il faut définir quelle est votre dominante, froide ou chaude, et après jouer des teintes." Le coquelicot, par exemple, est jaune, le pavot est bleu et va donc t’y retrouver chez Séphora. Pas si compliqué, sourit Stéphanie (bouche rouge cuivré), "sur la main, restent les pigments jaunes ou bleus".
Avec ça, difficile de résister au rouge, à ce geste d’en remettre avec ou sans miroir, au regard des autres qui change suivant qu’on en porte ou pas, au plaisir de maculer ses verres et ses mégots à la Rita Hayworth ou Marilyn. (Et de ne jamais se faire piquer sa bouteille d’eau, goulot gras et rouge.) "C’est la grande référence, évidemment, ce cinéma-là, les stars d’Hollywood, Bardot, plus tard", poursuit Stéphanie Douschka. Voilà qu’avec un rouge bien senti, on appartiendrait presque à la grande famille des stars ? "A vous de l’interpréter comme vous voulez."
En tout cas, c’est un sympathique pied de nez à cette infecte tendance du "nude", ce truc faux-cul consistant à se maquiller des heures pour avoir l’air pas maquillée (expliquez-moi l’intérêt), cette saleté de tendance nature "chez les trentenaires, souvent, propres avec les cheveux bien lavés, intériorisées, genre je suis au-delà de l’apparence".C’est Stéphanie qui le dit, hein. N’empêche Mamie, tu avais bien raison : une vie sans rouge, c’est comme un jour sans vin.
(1) Voir le Dictionnaire des mots et expressions de couleur du XXe siècle - le Rouge d’Annie Mollard-Desfour Editions du CNRS, 2000.