Ça peut faire un garrot pour se piquer
Marc Beaugé prépare un livre sur le rock et la cravate. Il explique les liens troubles entre cette musique et cet objet.
- Publié le 07-08-2009 à 00h00
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Marc Beaugé prépare un livre sur le rock et la cravate. Il explique les liens troubles entre cette musique et cet objet.
En général, on n'associe pas le rock et la cravate.
Je pense au contraire que la cravate a toujours été un accessoire rock. Le rocker se voit en homme total. Un rocker avec une cravate, c’est le sauvage endimanché, le rebelle habillé. La cravate a toujours accompagné toutes les périodes du rock. Elvis porte la cravate, à la demande de son manager le colonel Parker, pour avoir un look propret. Même idée avec les Beatles qui apparaissent avec leur costume serré Pierre Cardin et leur cravate en maille à bout carré, eux à la demande de leur manager Brian Epstein. C’est toujours une question de code. On porte la cravate, mais on porte aussi l’absence de cravate. Même dans les années 50, très conformistes, Gene Vincent et Chuck Berry commencent à apparaître sans cravate. Du temps des Mods, c’est l’idée d’un dandysme prolétaire qui dit : " Je suis mieux habillé que toi, le bourgeois ." Dans la période psyché du temps des hippies et du rock psychédélique, après le Sergeant Pepper des Beatles, on porte des foulards, à la fois symbole androgyne et féminin, mais aussi de l’exotisme et de la drogue. Les punks portent la cravate par provocation. Avec aussi des codes sadomasochistes : la cravate est étroite, en cuir, pour moi elle représente une idée du bondage, comme une laisse. Même Jerry Garcia des Grateful Dead dessinait des cravates à motifs psychédéliques. Le guitariste d’AC/DC Angus Young a toujours sur scène un uniforme d’écolier britannique, veste, chemise, cravate, mais avec un bermuda. On dit que c’était une idée de sa sœur. Enfin, la cravate ça peut toujours faire un bon garrot, pour se piquer.
Il y a quand même des groupes sans cravate ?
C’est vrai que Bruce Springsteen ou U2, par exemple, ont un look sans cravate. Mais même Nirvana, icône grunge, a porté la cravate. En 1993, ils posent pour leur consécration de plus grand groupe de rock pour la couverture de Rolling Stone. Une photo de Mark Seliger. Ils sont allés chez Brooks Brothers, le magasin pour homme le plus classique des Etats-Unis. Ils s’achètent des costumes sombres, des chemises blanches, des cravates rouges motif cachemire à 80 dollars, des cravates de Républicains. Pour se moquer de leur réussite, d’être établis. Un détournement des codes et des conventions, plein d’ironie. Kurt Cobain meurt six mois plus tard.
De quand date le look cravaté des groupes actuels ?
Pour moi, ce sont les Américains des Strokes, en 2000, 2001. Le guitariste du groupe, Albert Hammond Junior, invente le look cravate de fripes, jeans, Converse. Dans sa jeunesse, il avait fréquenté des pensions en Suisse, où le port de l’uniforme avec cravate était obligatoire. Il était familiarisé avec cet accessoire. Il a une cravate, mais elle n’est pas serrée. C’est le look débraillé, comme si la cravate n’était pas assumée. Evidemment, les rockers anglais suivent, The Libertines, Franz Ferdinand ou Kaiser Chiefs. Eux aussi mettaient des cravates pour aller à l’école. La cravate devient la mode, et la norme. Du côté des designers, c’est l’esthétique Dior d’Hedi Slimane, très lié au monde du rock. Le costume coupe étroite qui allonge le corps, encore rallongé par la cravate noire et fine. La cravate devient consensuelle, c’est la grande récupération, le ralliement de la tribu rock. Même à la Star Academy ! Julien Doré, le vainqueur de la Nouvelle Star, la porte aussi, c’est l’uniforme de sa tribu. Même Renaud, le chanteur des bobos. Maintenant ça passe, c’est trop convenu. Mais, en réalité, les rockers français n’ont jamais su faire leur nœud de cravate.