Paco Rabanne, fin d’un enlumineur de mode illuminé
Le couturier aux idées et aux matériaux incongrus, tire sa révérence à 88 ans. Il a été un inventeur perpétuel. Et un homme mal compris.
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Publié le 03-02-2023 à 18h36 - Mis à jour le 04-02-2023 à 10h33
Francisco Rabaneda y Cuervo est né en 1934 dans le Pays Basque espagnol, dans le quartier du port de Saint Sébastien, d’un père républicain, fusillé par les sombres milices de Franco. Le jeune homme a cinq ans au moment du drame historique et personnel qui oblige sa mère à fuir sa vie d’avant. Alors 'première d’atelier' dans la grande maison de couture espagnole, celle de Cristóbal Balenciaga, la mère de Francisco – pas encore Paco – emporte, sous son bras, son talent et son gamin, direction la France de la guerre. D’abord dans un camp de réfugiés, puis au beau milieu de la Bretagne, près de Morlaix.
De 1952 à 1964, Francisco suit des études d’architecture à l’Ecole nationale des Beaux Arts de Paris, il a alors pour professeur l’architecte Auguste Perret, connu pour son travail à l’allure géométrique, et l’artiste Xenakis. Très tôt, il se fait repérer en inventant une sculpture habitable, qui lui vaut d’ailleurs le prix de la Biennale de Paris, en 1963. Mais ce n’est pas ce qui remplit son frigo. Sensible au milieu de la mode – après tout, c’est le métier de sa mère –, il bosse comme designer pour la maison de souliers Charles Jourdan, qui – on est au début des 60’s – cherche à secouer le classicisme des souliers pour femme. La chaussure est une posture, le talon a du plomb dans l’aile et les Sixties ont besoin de remise à plat : les petites bottes spatiales signées Courrèges donne le ton d’un mode, d’une vie qui veut de la modernité.
Repéré comme dessinateur de mode dans le Women’s Wear Daily, il poursuit, en parallèle, des recherches qui l’animent, et qui vont le faire connaître. Des boutons, des accessoires, des bijoux, mais dans des matériaux tout à fait improbables, comme du plastique, du vermicelle, ou des grains de café… Et s’il accessoirise les collections des jeunes loups de la mode (Emmanuelle Khan, Rosier), les maisons de couture plus conventionnelles, comme Givenchy ou Nina Ricci, font bel et bien appel à lui, mais son nom n’apparaît pas encore au générique…
Une vision pour le futur
Et, à la fois, il sent que ce qu’il a dans la tête pourrait faire la différence. En 1965, il invente, dans sa chambre d’étudiant, sa première collection au nom tout à fait explicite : 12 robes importables en matériaux contemporains. Soit douze tenues qui défilent, dans les salons feutrés du Georges V, au printemps 1966, sur la musique ultra-futuriste de Pierre Boulez, le Marteau sans Maître. Les mannequins dansent pieds nus, dans des robes en aluminium et en Rhodoïd, cette curieuse matière plastique transparente.
Le ton est donné, pour la carrière à venir, qu’il va souhaiter tournée vers l’innovation, toujours. Des robes oui mais comme vous ne les aviez jamais imaginées… Sa pratique de designer de mode n’est pas si éloignée d’une démarche plastique, d’ailleurs. Il n’aime rien moins que tester de nouvelles matières qu’il fait se muer en 'étoffes'. On pense à cette minirobe composée de petits rectangles blancs rivetés, et portée par Françoise Hardy, qui fait la couv' d’Elle, naturelle, dans sa robe allumée – on est en 66.

Dans la foulée, il lance des robes en papier et nylon, assemblées dans des usines selon un procédé emprunté aux architectes, sans couture ni colle. Ces modèles, fabriqués à la chaîne, doivent être peu chers à produire, répondant au nouveau marché du prêt-à-porter. Les modèles ne sortiront pas en assez grand nombre pour pérenniser la production et rendre le vêtement accessible. Mais rien n’arrête le Paco qui invente des vêtements moulés, dits “giffo”, obtenus par la vaporisation sur un moule d’un chlorure de vinyle. Ou encore des robes en fourrures reliées par des armatures métalliques, ou encore de la dentelle de Calais plastifiée.

Le succès médiatique de Paco Rabanne est au rendez-vous, qui fait, dans le même temps, des robes sexy en métal glorieux. On pense de nouveau à Françoise Hardy dans une robe calandre en plaque d’or et de diamants, mais aussi à Brigitte Bardot ou Audrey Hepburn.
La fin du monde pour aujourd’hui
Le succès de la marque lui permet de vendre des parfums, et de développer des licences, les accessoires et les bouteilles de parfum se vendent comme des petits pains. Une notoriété, qui passe par Hollywood (il fabrique les costumes rutilants de Casino Royale, de John Huston) et qui paie ses recherches esthétiques, toujours dans la même veine. Des bustiers en métal, en disques laser, en catadioptres. Son appétence pour les matières qui incarnent le futur le fait regarder vers l’avant. Plus personnellement, il fait connaître ses inquiétudes millénaristes à l’approche de l’an 2000, dans un climat de peur du bug mondial. Ses angoisses se cristallisent sur les prédictions de Nostradamus, qu’il fait connaître, au point de n’être plus entendu que pour ce discours plus illuminé. Le tube cathodique saute sur ses récits détaillés de station Mir s’écrasant sur Paris. La prédiction répétée n’a pas lieu : Paco Rabanne fait des excuses publiques, mais voilà, la postérité oublie son esprit d’invention, puis le boude comme le réchappé d’une fin du monde, qui n’a pas eu lieu.
Il vivait depuis plusieurs années au bout du bout du monde, à Portsall, en Bretagne, au pied de la mer déchaînée. À l’ouest, donc, où tout était nouveau. Comme ses idées.
