Mary Quant, inventrice de la mini qui nous avait rendus baba
Celle qui tailla dans les jupes des filles disparaît ce 13 avril à l’âge de 89 ans. La Britannique Mary Quant invente la minijupe en 1962, dans un contexte où les femmes reprennent du pouvoir sur leur propre corps.
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Publié le 13-04-2023 à 17h33 - Mis à jour le 14-04-2023 à 17h44
Plus que l’histoire d’un vêtement, retracer l’histoire de la minijupe c’est rétropédaler pour voir le chemin parcouru par les femmes au XXe siècle en matière d’émancipation des corps. Son inventrice, Mary Quant, née en 1934, avait fait naître un objet qui allait faire parler de lui, au-delà des quelques centimètres carrés que la minie représente.
Dans le Swinging London des années 60, Mary Quant s’improvise styliste. Elle a des accointances avec les arts, et a fait aussi partie de cette jeunesse qui a bénéficié d’un enseignement supérieur presque gratuit. Postguerre, tous les cerveaux doivent être mobilisés. Ce rapport à l’enseignement a sûrement changé son parcours de vie, puisqu’elle est, au départ, issue d’un milieu modeste – une famille de mineurs.
Créer le bazar
C’est sur les bancs de la fac, où elle étudie le dessin d’illustration, qu’elle rencontre son mari, Alexander Plunket Greene, un acolyte de première pour lancer ce projet. La légende raconte qu’elle a été attirée par le style vestimentaire excentrique du jeune étudiant qui fréquente lui aussi les auditoriums de la faculté des arts de Goldsmiths. Ouvrir une boutique de fringues sur King’s Road, à Londres est leur projet commun. À partir de 1955, elle y vend des nippes et des accessoires à pas cher, revendiquant l’idée d’une mode éphémère, symbole de cette société de consommation en pleine explosion.
Bazaar est situé en plein Chelsea : des fringues à l’étage, un resto en sous-sol, mais surtout le point de ralliement de la jeunesse la plus cool, qui vit, le reste du temps, dans le vieux monde de Daddy. On y croise B.B. et Audrey H., les Rolling Stones et les Beatles. Mary y vend de jeunes marques qui font à peu près scandale à chaque lancement. Les vieux messieurs anglais tapent sur la vitrine avec leurs cannes : “Immoral”, “Dégoûtant”… Dégoûtant ? Ils ne vont pas dire cela si longtemps…
Il faut préciser que Mary Quant casse tous les codes. Elle taille dans les pantalons : ça donne le short – ou le hot pants, en anglais, ce qui dit déjà un certain programme par rapport à la libération des corps. Elle dessine des imperméables en plastique transparents ; elle démocratise le maquillage “pot de peinture” et le mascara waterproof qui permet de tout oser, même pleurer, même manifester. Et se fait tailler le portrait par Vidal Sassoon, un carré court, qui définit une idée neuve de la féminité… Et les petits vieux de continuer à cogner sur la vitrine de King’s Road…

Faire table rase
1962 : elle poursuit son œuvre de saper le vestiaire d’antan et raccourcit d’un coup de ciseau la jupe. Jusque-là, la longueur des jupes était liée au niveau de moralité d’une société, l’ourlet ayant tendance à baisser en temps de guerre. Mary Quant fait sauter ces règles et supprime l’ourlet, voire plus, si affinités. La minijupe est née, son nom en hommage à la Mini 1000, la petite voiture qui amuse Mary.
Puritains en émois. Crise en tout genre : les pères des nouvelles adeptes en font un fromage, quand leur fille est concernée, beaucoup moins quand il ne s’agit pas de leur fille… Au même moment, en France, André Courrèges invente aussi la minijupe. Comme quoi, l’objet correspond aux nécessités d’une époque. Le ministre de l’Éducation nationale de l’Hexagone, Alain Peyrefitte, demande instamment aux jeunes filles de bien se tenir. Quant à Gabrielle Chanel, elle se fâche : comment est-il Dieu possible d’oser montrer une articulation aussi laide que le genou ? “Aurait-on idée de montrer son coude ? “s’émeut-elle dans la presse. Depuis, on a fait bien mieux : on pourrait citer les pantalons taille basse avec string bien en vue et les crop tops, portés en toutes les saisons. Gabrielle, paix à ton âme.
Mary Quant taille, les filles passent à la caisse. Le modèle devient une tendance et les jeunes femmes qui n’ont pas les moyens de se payer une minijupe se contentent de retrousser la leur au niveau de la ceinture. Le tout dans un contexte de combat pour la pilule et pour la liberté à l’avortement. Bien vite, le phénomène de la minijupe touche les mères des jeunes filles et il faut attendre les seventies un peu baba pour revenir à du plus long…
”Mary [Quant] s’est trouvée au bon endroit au bon moment”, expliquait, à l’occasion d’une exposition, en 2019, Jenny Lister, la commissaire chargée de la mode au Victoria and Albert Museum. Interrogée dans la presse anglaise, il y a une décennie environ, Mary Quant se réjouissait d’avoir assisté à l’apparition d'” une nouvelle espèce de superwomen”. “Elles évoluent comme des athlètes et s’assoient comme des hommes, avec les genoux écartés. Leurs enfants prennent le nom de leur mère […] Elles ont le contrôle”. En participant à la modification de la perception du corps des femmes, en donnant aux femmes le choix de déterminer les limites de ce qu’elles montrent d’elles-mêmes, Mary Quant a pris part au mouvement d’émancipation du féminin, un mouvement plus que jamais en cours.