De princesse à marque de mode, la sulfureuse Diane von Fürstenberg : "J’ai été élevée dans l’idée qu’être une femme est un privilège"
À l’occasion d’une expo qui lui est consacrée au musée Mode et Dentelle de Bruxelles, on vous dresse le portrait de Diane von Fürstenberg, de retour dans la ville de sa naissance. Femme de mode. Designer. Philanthrope. Princesse. Entrepreneuse. Socialiste. Et Bruxelloise. Un portrait kaléidoscopique de ladite DvF.
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Publié le 01-05-2023 à 08h21 - Mis à jour le 02-05-2023 à 11h25
DvF. Trois lettres suffiront-elles à rendre compte de la personnalité composite de la créatrice de mode Diane von Fürstenberg. Sûrement pas. Diane est ici, mais déjà là-bas. L’adage dit : on ne peut pas être et avoir été. Bon, avec Diane, ça marche pas !
Diane von Fürstenberg est le sujet d’une expo au musée Mode et Dentelle de Bruxelles. Et pour cause, elle a été une figure de la mode telle qu’elle s’est portée et pensée ces cinquante dernières années. Mais Diane est absolument toujours dans la place, elle navigue entre futur et passé. Et si l’excuse pour l’entendre, c’est de visiter l’expo qui parle d’elle – Woman before Fashion –, voilà qu’on se prend par le bras, qu’on fait des selfies (ratés, en tout cas, les miens), on parle de tout, on parle de rien… Enfin, non, on parle de tout, sans tabou. Et ce n’est pas rien. Sans tabou et ça nous change, dans le métier…
Diane n’est pas dans le contrôle de sa com', tout au plus indique-t-elle au photographe son meilleur profil. Mais question verve, elle est sans filtre. C’est étonnant de voir la créatrice racontée par autre qu’elle, en l’occurrence le commissaire d’expo, Nicolas Lor. “Je suis le sujet de l’expo, mais, pour une fois, je n’ai pas besoin de marketer, de communiquer. Pour moi, c’est beaucoup plus amusant”. D’autant qu’il ne s’agit pas d’une rétrospective, selon le curateur. Quand je lui ai demandé : “Pourquoi moi ?”, il a répondu : '” Parce ce que faites et avez fait demeure pertinent dans notre époque”… .
Bon, mais justement on lui demande son avis sur ce qu’elle lit, accroché aux murs :
- Votre vie personnelle traverse-t-elle votre vie professionnelle ?
- Il n’y a pas de différence.
- La manière dont le curateur raconte votre histoire, c’est la façon dont vous l’avez vécue intérieurement ?
- Tout à fait. Enfin, sauf cette chronologie dans laquelle il dit que je suis née en 1946… Je suis née le 31 décembre 1946. Il m’a vieillie d’un an… Et, d’ailleurs, j’ai corrigé”. Véridique : on voit la biffure, au feutre, sur le panneau d’expo. Mais, déjà, elle nous emmène plus loin, le clou de l’expo est sous vitrine, la première version de la wrap dress, traduisez robe cache-coeur ou robe portefeuille – la pièce mode qui va faire le succès planétaire de DvF.

Il était une fois Dvf
Alors, le succès ne lui est pas tombé tout cuit dans la bouche. Princesse oui, mais qui met la pain à la pâte. Alors que son mariage avec le beau Prince von Fürstenberg bat de l’aile, elle se met à travailler pour un fabricant de textile, Angelo Ferretti, qui, à l’époque, produit des tissus imprimés, pour Gucci ou Ferragamo. “Ce monsieur avait des machines pour faire des bas de soie dans son usine, sauf qu’à l’époque, tout le monde ne jurait plus que par les bas nylons. Et il a l’idée de fabriquer ce qui va devenir le jersey, sur ces machines…”
Succès mirobolant. L’époque saute sur cette matière révolutionnaire, souple, qui accompagne les femmes dans leurs actions, le tout dans un contexte de libération politique et sociale des corps. Passé outre-Atlantique pour retrouver son prince, Diane considère la manière dont le Nouveau Monde se fringue. Une vitrine de l’expo est d’ailleurs là pour en témoigner… Le look baba cool prend toute la place, sans répondre aux attentes des femmes qui veulent mordre dans l’existence. Diane a bien l’intention de les y aider. Elle a ouvert ses valises d’échantillons italiens dans le bureau de Madame Vogue, Diana Vreeland, qui a tout simplement applaudi. “Smatching”, a-t-elle balancé, en voyant les propositions de Diane. Traduisez “Terrific” et “Wonderful” réunis.

Et Diane devient ni plus ni moins une marque. Deux ans plus tard, DvF c’est 15 000 robes à la semaine, demande oblige. “On peut dire que la robe portefeuille, c’est son nom en français aussi, a rempli mon portefeuille”.
Bras dessus, bras dessous, on passe devant chaque version décennale de la wrap dress, qui aura 50 ans l’an prochain, – “Elle ne les fait pas, hein”. Celle des eighties, très Working Girl, pensée en collab' avec Hervé Léger, ou encore l’inoxydable modèle léopard. Et Dieu sait si la wrap dress a accompagné des femmes dans la conquête de leur féminité. “Il y a une chose dont je suis certaine, après 50 ans d’expérience : mes robes donnent confiance aux femmes. Au début, tout cela n’a l’air de rien, mais le jersey c’est important, ça moule le corps, ça les accompagne et les imprimés bougent. Tout de suite, la femme se sent féline et féminine, avec de l’aplomb en plus”.
L’histoire d’une princesse “in charge”
Certaines petites filles rêvent d’être princesse, d’autres rêvent d’être in charge – comprenez “en responsabilité”. DvF est les deux : un état par amour, l’autre état par conviction. “Quand j’étais petite et qu’on me demandait ce que je voulais faire plus grande, je répondais que je voulais être une femme “in charge”. Et plus tard, je suis devenue in charge grâce à une petite robe. Et ce n’était pas qu’une petite robe, car, au plus j’avais confiance en moi, au plus je vendais de la confiance avec ma petite robe. En fait, depuis le début, il existe ce dialogue entre moi et les femmes.” D’ailleurs, DvF ne craint pas, au début de sa carrière, de designer, de faire du téléachat pour parler directement aux femmes à qui elle consacre ses créations.
Elle revient au nom de l’expo bruxelloise : Woman before Fashion. “Cette idée, le curateur l’a prise de moi. Le mot “femme”, pour moi, c’est le plus important. Comprenez-moi bien, les hommes, j’aime ça, j’ai eu beaucoup d’amants, mais je préfère être une femme. Quand ma mère me parlait des hommes, elle me disait toujours : “les pauvres”. J’ai donc été élevée dans l’idée qu’être une femme est un privilège. Ce qui n’est évidemment pas le cas partout dans le monde… Maintenant, j’ai 76 ans. J’entre dans l’hiver de ma vie, et j’espère que j’aurais un long hiver, mais ce qui est important pour moi, c’est d’utiliser ma voix, mon expérience, mes ressources et mes collections pour aider le plus possible les femmes à être ce qu’elles veulent être”.
"J'ai donc été élevée dans l'idée qu'être une femme est un privilège, ce qui n'est évidemment pas le cas partout dans le monde..."
Être la femme qu’on voulait être
Féministe, Dvf ? Elle décroise tout à coup les jambes, les plantes dans le décor de notre interview, moulées d’un suit ciglé de son imprimé. Elle nous regarde droit dans les yeux, car c’est une évidence : “On ne peut pas penser DvF sans féminisme… Je vais vous raconter une histoire. Dix-huit mois avant que je naisse, ma mère était un cadavre parmi les cadavres, des cendres parmi les cendres. Elle a été libérée des camps de concentration. Ma mère était une résistante, elle était au lycée Dachsbeck, de Bruxelles, et la directrice du lycée était une grande résistante. Ma mère n’a pas pu finir ses études à cause des lois raciales. Quant au lycée, il a été occupé par l’occupant, devenant le siège de la Gestapo. Revenue de Ravensbrück, ma mère s’est rapidement mariée à mon père (fin novembre 1945, NdlR), mais le médecin de famille avait dit à ma mère d’attendre un peu : “votre enfant ne va pas être normal”. Je suis née le 31 décembre 1946. Et je peux vous dire que ma naissance était déjà un triomphe… Même s’il ne m’était rien arrivé ensuite, j’avais déjà gagné. La vie avait gagné, et ma mère m’a toujours dit : “Dieu m’a sauvée pour que je donne la vie. En te donnant la vie, tu m’as rendu la mienne, et tu es mon flambeau de liberté”. Et de tendre son bras façon Statue de la liberté – dont elle est la marraine d’ailleurs, on comprend.
Elle replie ses jambes, puis les embrasse dans un geste large ; elle sourit ; replace une mèche. DvF n’a pas d’âge. Elle nous regarde dans les yeux : “La liberté, l’honneur à la vie, tout cela, vous comprenez que je ne peux pas être autrement…”.

-- > À lire, pour compléter, notre portrait, “The Woman I wanted to be”, chez Simon and Schustern Paperbacks, 2014.
-- > “Own It, the secret to Life”, sous forme de dictionnaire des mots importants, chez Phaïdon, 2021.
DvF, la bio express
1946. Naissance de Diane Simone Michelle Halfin, le 31 décembre. D’un père moldave et d’une mère d’origine grecque. Elle grandit à Bruxelles jusqu’à son adolescence, avant d’aller étudier en Suisse.
1969. Mariage love et glam' avec le prince Egon von Fürstenberg, passionné de mode comme elle. Elle devient princesse, et maman de deux enfants. Alexander, né en 1970, et Tatiana, en 1971. Le couple ne dure pas, mais Diane garde ce nom qui va l’accompagner dans sa carrière.
1974. Invention de la wrap dress, qui devient rapidement un succès de mode. En 1975, sa marque produit 15 000 robes par semaine.
1997. De retour à New York après un temps à Paris dans le monde de l’écriture, DvF relance sa marque, et ne fait qu’augmenter le nombre ses boutiques. Elle devient présidente du Council of Fashion Designers of America, en 2006.
2014. Citée par le magazine Forbes parmi les femmes les plus influentes du monde, et l’année suivante, dans le top 100 édité par Time, des personnes les plus puissantes dans leur domaine.
2020. Le confinement l’oblige à repenser ses pratiques commerciales. Elle réfléchit à sa succession, qu’elle veut mettre dans les mains de sa petite fille, Talita, qui signe une collection capsule, TvF.