Christine Ockrent, sur un plateau
L’ex-présentatrice star du JT jubile au théâtre, dans son propre rôle.
- Publié le 03-06-2023 à 17h52
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Acte 1. La loge numéro 7 du Théâtre de la Colline est une petite pièce spartiate, tout au plus incarnée par un livre d'Ariane Ascaride, une eau de toilette (masculine) dans son emballage, quelques bananes et biscottes salées posées sur une tablette. Plus une chaise longue et, accrochés à un portant, les accessoires vestimentaires destinés à la représentation du soir de Mère, de Wajdi Mouawad (1). Tel est le décor dans lequel, à la lisière fringante de ses 80 ans, l'apprentie comédienne donne audience.
Jeans bleu et T-shirt uni gris clair à manches longues, "Christine", comme il est écrit à la craie sur la porte, s'était accordé vingt-quatre heures de réflexion avant de répondre favorablement à la proposition dudit portrait. Pourquoi cette indécision, avant consentement, de la part d'une bretteuse aguerrie, a priori pourtant sur ses gardes, dans la position de l'intervieweuse interviewée ? "Parler pour se faire ensuite descendre, comme cela m'est arrivé, n'incite pas au masochisme. De plus, l'idée de revenir une fois encore sur mon parcours professionnel m'enquiquine. Mais on m'a dit que c'était bon pour le théâtre", pose cash Christine Ockren.
10 à 13 millions de sujets
Passée de L'Express, en France 24, RFI ou Europe 1, l'ex-présentatrice star du JT en connaît un rayon point de vue responsabilités, mais également désaccords, tensions et autres manœuvres en eaux troubles. De là à cultiver la rancune… "Non, pas plus que l'indulgence. Je pardonne aisément aux gens de bonne foi, mais possède une longue mémoire", recadre la toujours journaliste, autrice à répétition, qui vient de sortir L'Empereur et les milliardaires rouges, sur les arcanes économico-politiques en Chine, et donc actrice.
Sur scène, Christine Ockrent est… Christine Ockrent, période oracle que, chaque soir, regardent à la télévision une mère et ses enfants qui, partis du Liban en 1978, dans la tourmente de la guerre civile, guettent fébrilement des nouvelles du pays où le mari et père, lui, est resté. Écrite, mise en scène et jouée par Wajdi Mouawad, la pièce, poignante et drôle, fait à juste titre un carton depuis fin 2021.
L'interprète atypique, qui restera dans l'histoire comme la deuxième femme en France à avoir présenté les actualités, comme on disait jadis, a déjà tenu son rôle près d'une centaine de fois, à Paris et en province. "J'ai toujours aimé le risque et en assume les conséquences. Quand Wajdi m'a conviée, j'ai dit oui spontanément. Cette aventure, pour laquelle je n'éprouve aucun trac, m'apporte un grand bonheur", développe la débutante qui, sans ambition excessive ("j'essaie de faire ce qu'on attend de moi"), loue le "collectif", témoignant au passage d'une aisance aussi naturelle dans le salut aux techniciens affairés alentour que dans l'emploi de l'imparfait du subjonctif.
À sa création, déjà à la Colline, que dirige Mouawad, Mère a toutefois provoqué des grincements de dents. À nouveau rédimé par le dramaturge imperméable à la vindicte, c'est en effet Bertrand Cantat qui signe la musique (enregistrée) du spectacle. De sorte que celle qui a longtemps travaillé au côté de Patrick Poivre d'Arvor et qui est la compagne de l'ex-ministre des Affaires étrangères (entre autres) Bernard Kouchner, dont la fille, Camille, révélait dans le récit fracassant la Familia Grande les gestes abjects du politiste Olivier Duhamel sur son frère jumeau, voit son nom associé, au générique, à celui d'une autre figure emblématique de l'ignominie masculine.
"C'est le choix du créateur", se défausse d'abord Christine Ockrent, avant, relancée sur le sujet, de consentir à se mouiller un peu : "Je n'oublie pas Marie Trintignant, face à la responsabilité épouvantable de cet homme à qui je m'abstiendrais de serrer la main si je le croisais un jour dans les coulisses." Lesquelles commencent à bruisser, à moins d'une demi-heure de la représentation du jour, qui abrège l'échange. D'où l'improvisation d'un…
Acte 2. Le lendemain, même endroit, même heure. Le temps de garer la voiture qui, après un crochet promo télé pour son livre, l'amène des beaux quartiers où elle réside de longue date, et Christine Ockrent, chemise bleue ouverte sur T-shirt blanc, arrive d'un pas leste. Fatalement moins grande que sa stature cathodique ne l'aurait suggéré, l'ex- "Reine Christine", sobriquet qui l'accompagnait au temps du 20 heures, où l'on comptabilisait 10 à 13 millions de sujets, réitère sa réticence à enclencher la marche arrière, préférant s'avouer toujours à l'écoute d'"une époque chaotique et fascinante". Au diapason d'un traitement de l'info subissant aujourd'hui "les dommages d'un charivari où l'on est sommé à la télé de tout commenter en temps réel et le plus vite possible, sans mise en perspective". Ou des "mœurs du temps genré" qui la laissent perplexe…
Belge, "par esprit de contradiction"
À mots comptés, la mère d'Alexandre Kouchner (37 ans) qui, même quand Gaston Defferre lui proposait une naturalisation en procédure accélérée, a toujours gardé la seule nationalité belge ("par esprit de contradiction"), concède une "enfance heureuse et privilégiée" à Bruxelles puis, dès l'âge de 9-10 ans, à Paris. Avec un père diplomate haut placé et une mère au foyer ayant abandonné ses études de médecine, le schéma familial paraissait archétypal. Les parents, "extrêmement ouverts", n'en estimaient pas moins pourtant que "rien ne devait être fermé aux filles". Ce qui permettra à la cadette, Isabelle, de devenir directrice de la communication de la RATP, tandis que l'aînée, elle, gravira inexorablement les échelons médiatiques, après des débuts à la sauce yankee (NBC, CBS, ABC).
Quand, en 1981, le nouveau président d'Antenne 2, Pierre Desgraupes, la désigne pour présenter le JT, Christine Ockrent se souvient avoir entendu un directeur de la rédaction balancer à la cantonade : "Ne vous inquiétez pas, c'est un caprice du vieux. Elle ne durera qu'une semaine." Toujours sur la brèche, quatre décennies plus tard, la journaliste, souvent jugée très pro mais distante et dure, donc crainte, admirée et honnie, réfute pour autant l'appellation "femme puissante", en feignant de chercher le nom de la successeur qui a popularisé la formule. "Successeur", nous renseigne l'Académie française, étant un nom toujours masculin, "le genre n'étant pas ici lié au sexe de la personne qu'il désigne".