Cannibalisme: tu ne mangeras point ton prochain

Une exposition sur le cannibalisme se tient à Bruxelles jusqu’en août 2014. Elle revient sur l’histoire de cette pratique horrifiante et son usage en tant que limite absolue de la civilisation.

Valentin Dauchot

Hannibal Lecter (photo de Anthony Hopkins dans le film "Le silence des Agneaux" en 1991), le plus célèbre des cannibales de fiction, est connu des lecteurs pour avoir " dégusté le foie d’une de ses victimes avec des fèves au beurre et un excellent chianti ". Monstrueux mais gastronome, le personnage est décrit dans les romans qui lui sont consacrés comme un homme fin, cultivé, intelligent et parfaitement intégré dans notre société, dont l’inhumanité fascine autant qu’elle effraie.

Tout l’inverse de l’image classique du cannibale, le "sauvage tribal" friand d’aventuriers égarés dont le mythe s’est répandu pendant des siècles pour mieux définir les limites de notre civilisation. " Dès le Ve siècle av J.-C. ", explique Vincent Vandenberg, historien à l’ULB et Commissaire de l’exposition "Cannibales : fictions et réalités", " Hérodote fait référence à des pratiques de cannibalisme funéraire qui lui ont été rapportées à propos de peuples du nord et de l’est de l’Asie. Cette vision des limites du monde connu se perpétue pendant des siècles, aidée par une transmission très livresque du savoir, jusqu’à ce que les Européens qui visitent l’Orient à la fin du Moyen Age ne trouvent aucune trace de ces fameux mangeurs d’homme et les réinstallent plus au sud. "

L’autre, cet amateur de chair humaine

Persuadé de faire route vers ce sud oriental, Christophe Colomb débarque en Amérique du sud à la fin du XVe siècle où les populations locales correspondent tout à fait au stéréotype du mangeur d’homme défini par les voyageurs médiévaux : dénudé, sédentaire et installé au sein d’une nature luxuriante. La moindre pratique culturelle, sexuelle ou funéraire "étrange" vient corroborer cette hypothèse, et les ossements humains fréquemment affichés à l’entrée des villages constituent une nouvelle preuve irréfutable de pratiques cannibales. " On sait depuis lors que ce n’est pas le cas ", poursuit Vincent Vandenberg. " Mais qu’importe, les civilisations définissent de préférence les peuples lointains par opposition à leurs propres normes culturelles et le cannibalisme est le tabou ultime. Les ethnies qui peuplent des contrées inconnues sont donc dépeintes comme consommatrices de viande humaine et cette pratique est censée disparaître à l’arrivée du monde civilisé. C’est une conception très présente dans la tradition ethnographique européenne héritée de la Grèce antique, et qui n’a pas totalement disparu aujourd’hui ."

Cannibalisme de famine

L’Europe n’est pourtant pas épargnée par le phénomène. Les grandes famines qui affectent le continent jusqu’à l’époque contemporaine fournissent de nombreux récits de cannibalisme dit "de survie", et la consommation de sang humain ou d’urine est fréquente dans les pratiques médicales. " Mais la grande différence avec le cannibalisme coutumier des peuples lointains, c’est que ce cannibalisme médical est relativement accepté ", précise le chercheur. " Depuis l’Antiquité, on utilise du sang et de la poudre d’ossements dans des préparations médicamenteuses, et on prête à la période moderne de grandes vertus curatives à l’absorption des morceaux de momies. A tel point qu’un commerce international de corps embaumés antiques s’est développé et qu’on a retrouvé par la suite de ‘fausses momies’ fabriquées en Europe ."

Plusieurs types de cannibalisme continuent à se manifester, aujourd’hui, (lire ci-contre), mais ils restent rares et surmédiatisés compte tenu de la fascination qu’ils continuent à susciter. " Nous ne sommes par ailleurs pas totalement sortis de cette conception du sauvage cannibale ", conclut Vincent Vandenberg. " Les dernières tribus isolées de Nouvelle-Guinée sont encore vaguement suspectées d’anthropophagie. Mais la plupart des peuples que nous avons accusés de cannibalisme au cours de l’histoire, disposent eux-mêmes d’innombrables récits qui mettent en cause l’appétit de chair humaine de l’homme blanc. "

Il y a de nombreuses formes de cannibalisme

Le "cannibalisme" ou le fait de consommer des individus de sa propre espèce vient de l’espagnol "Canibal" qui désignait initialement les Indiens Caraïbes des Antilles, réputés manger leurs semblables lorsque Christophe Colomb est arrivé sur place. L’anthropophagie désigne, elle, le fait de manger de l’homme quel qu’en soit le consommateur. Il est impossible d’en classer les différentes manifestations avec précision, mais on peut distinguer différents types de cannibalisme.

Le cannibalisme coutumier : pratiqué dans le cadre normal d’une culture sous une forme exogène (manger les ennemis du groupe) ou endogène (consommer les défunts de son propre groupe, éventuellement par compassion). C’était par exemple le cas du groupe ethnique brésilien des Tupinambas aujourd’hui disparus, dont la guerre était l’activité essentielle et fournissait quantité de prisonniers. Une fois tués, les captifs étaient mangés par tous les membres village sauf l’homme qui les avait mis à mort.

Le cannibalisme de survie : le 22 décembre 1972, 16 Uruguayens sont secourus au cœur des Andes 72 jours après le crash de leur avion. Acculés par le froid, la faim et l’isolement, ils ont survécu en mangeant les corps à moitié gelés de leurs camarades morts dans l’accident. Bien avant cela, au XVIIe siècle, les premiers colons américains installés à Jamestown avaient eu recours à cette pratique désespérée. Une équipe d’archéologues a découvert en 2013 les restes d’une fillette de 14 ans qui aurait été mangée après sa mort pour échapper à une terrible famine hivernale.

Le cannibalisme médical : à partir des années70, une pratique se répand parmi les jeunes mères américaines : manger son placenta après l’accouchement pour reprendre des forces et lutter contre la dépression postnatale. Pratique qui existe toujours et pour laquelle il est possible de trouver diverses "recettes" sur Internet, même si le corps médical a toujours manifesté le plus grand scepticisme quant à ses effets potentiels.

Le cannibalisme pathologique : il ne faut pas confondre les actes de démence avec le cannibalisme qui survient dans des situations de violence collective extrême ou des scènes d’émeutes comme ce fût le cas début janvier en République centrafricaine où un jeune homme, Ouandja Magloire, a tué le meurtrier présumé de sa femme enceinte avant de le brûler et de manger une partie de sa jambe. Un cas comparable a fait scandale en Syrie en mai 2013, lorsqu’un combattant rebelle syrien a découpé face à la caméra un peu de chair de la poitrine du cadavre d’un soldat loyaliste, avant de le porter à la bouche par provocation. "L’histoire européenne contient nombre de récits du même type jusqu’en France en 1870, et d’autres cas ont eu lieu en Chine pendant la Révolution culturelle , explique Vincent Vandenberg. Il faut replacer ces actes dans des situations de violences collectives incontrôlées, où les individus impliqués se déconnectent provisoirement de la réalité et peuvent ainsi s’adonner aux pires atrocités dans la bonne humeur." Le cannibale pathologique à proprement parler est, lui, parfaitement illustré par l’affaire Issei Sagawa, cet étudiant japonais à Paris qui avait découpé sa petite amie néerlandaise en 1981 pour goûter les différentes parties de son anatomie. Plus inquiétant encore, "le Cannibale de Rotenburg" avait lui tué et mangé en 2002 "une victime consentante", recrutée via Internet. "Ce qui frappe dans cette histoire , analyse Vincent Vandenberg, c’est que la Justice a jugé et condamné le meurtre et non le cannibalisme parce que le fait de manger de la chair humaine n’est pas interdit par le code pénal. Le rejet culturel de cette pratique est tel qu’elle ne fait pas partie du processus judiciaire. Le cannibale s’exclut lui-même de la société des hommes."

Quelques exemples

TUPINAMBA DU BRÉSIL

Équarrissage de la victime. Scène d’anthropophagie rituelle chez les Tupinamba du Brésil au 16e siècle.

LES SURVIVANTS DES ANDES

Le 22 décembre 1972, 16 Uruguayens sont secourus au cœur des Andes 72 jours après le crash de leur avion. Acculés par le froid, la faim et l’isolement, ils ont survécu en mangeant les corps de leurs camarades morts dans l’accident.

ISSEI SAGAWA

Étudiant Japonais à Paris, il découpe sa petite amie néerlandaise en 1981 pour goûter les différentes parties de son anatomie. Jugé irresponsable, il est renvoyé au Japon ou il est libéré… Et devient une vedette.

OUANDJA “MAD DOG” MAGLOIRE

Lors des conflits en République Centrafricaine, ce jeune homme a tué le meurtrier présumé de sa femme enceinte avant de le brûler et de manger une partie de sa jambe.


Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...