La journée à haut risque de Philae
Ce mardi à 20h30, l’agence spatiale européenne se préparera à faire atterrir un robot sur une comète, pour la première fois dans l’histoire. A 500 millions de kilomètres de la terre, le satellite Rosetta doit larguer le robot Philae mercredi à 9h35, pour un atterrissage sept heures plus tard. Vingt heures à haut risque, pour une mission qui a une chance sur deux de réussir.
Publié le 11-11-2014 à 14h48 - Mis à jour le 11-11-2014 à 16h03
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Après plus de 10 ans de voyage interplanétaire à bord de la sonde européenne Rosetta, l’heure du grand saut est arrivée pour le petit robot Philae : il tentera mercredi, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, d’aller se poser sur une comète. Si l’atterrissage sur la comète Tchourioumov-Guérassimenko réussit, ce sera la première fois qu’on pourra étudier "sur le terrain" le noyau d’une comète, sa partie solide, par opposition à sa chevelure, constituée des gaz et poussières éjectés du noyau sous l’effet du rayonnement du soleil. Philae pourra en particulier forer la surface du noyau pour en analyser des échantillons. Pour l’instant, le satellite Rosetta, qui transporte avec elle le robot Philae de 100 kg, escorte en orbite la comète, qui file à plus de 65 000 km/heure vers le Soleil. Pour certains scientifiques, il y a environ une chance sur deux que l’atterrissage - qui se déroule à 500 millions de km de la terre ! - réussisse…. C’est que chaque étape de cette dernière journée de voyage de Philae comporte un risque. "C’est une mission risquée, on le sait depuis le début, admet Cédric Delmas, du CNES (agence spatiale française), qui participe à ce projet européen. On a mis toutes les chances de notre côté, on compte aussi sur le facteur chance… Et on reste sereins, confiants."
Les grandes étapes de l'atterrissage
La bonne trajectoire fixée
Feux verts (ou rouges). Le premier "moment critique" aura lieu le 11 novembre à 20 h 30. Depuis l’Allemagne, l’agence spatiale européenne (ESA), à l’origine du projet, doit confirmer que la sonde Rosetta et son passager, le robot Philae, se trouvent dans la bonne orbite. En clair que les deux engins sont sur le bon chemin pour la suite des opérations. "C’est la dernière activité nécessaire pour planifier et commander la manœuvre de séparation pour le matin du 12 novembre, qui permettra de placer Rosetta et Philae, sur la bonne trajectoire de largage" , note l’ESA. Entre mardi soir et mercredi, l’ESA devra donner cinq feux verts successifs ("go/nogo"), avant d’autoriser le largage. A 1 h et à 2 h 35, deux autres "feux verts" vont se succéder, notamment pour envoyer les données de commandes de largage à Philae ou vérifier la "bonne santé" de l’atterrisseur. "Si un seul voyant est au rouge, nous devrons interrompre la séquence des opérations et en établir une nouvelle, en nous assurant que l’atterrissage peut de nouveau être tenté sans faire courir de risque à Rosetta" , avertit Fred Jansen, responsable de la mission Rosetta à l’ESA. S'il y avait un feu rouge, "cela ne serait pas une catastrophe mais cela entraînerait un retard d'au moins deux semaines" pour la séparation, indique Paolo Ferri, du centre allemand de l'ESA à Darmstadt.
Le pré-largage
Accélérateur. A 7 h 03, le satellite Rosetta réalisera sa manœuvre de prélargage. Ce changement de cap a pour but de placer Philae et Rosetta sur la bonne trajectoire de largage. Cette nouvelle orbite va emmener les deux engins à 22,5 km de la comète, en vue de la séparation. Le lieu, le moment et l’envergure de cette manœuvre dépendent de l’orbite calculée la veille à 20 h 30. Un moment critique, selon l’ESA, car le "coup d’accélérateur" du satellite doit être donné au bon moment, et avec la force adéquate. "Si les propulseurs fonctionnent trop ou trop peu, Philae peut ne pas être lâché du bon lieu de l’espace, et donc ne pas tomber au lieu prévu sur la comète." Jusqu’à ces derniers mois, la résolution des images de la comète n’était pas suffisante pour en tirer de bonnes informations. Il a donc fallu que Rosetta s’approche assez de la comète. On a alors pu étudier la surface en détail : cratères, poussières, rochers… Pour l’atterrissage, l’ESA a choisi un site qui répondait à plusieurs critères : une surface avec un relief le moins accidenté possible, un bon ensoleillement pour recharger les batteries et un lieu permettant les communications entre Philae et Rosetta.
Le largage
Automatique. De 7 h 35 à 8 h 35, c’est le moment d’un quatrième feu vert, où les ingénieurs vérifient que tout est prêt. Cette fois-ci, c’est le point de non-retour. L’ordre sera ensuite donné. Le largage (séparation entre robot et sonde) doit avoir lieu dans l’espace à 9 h 35, mais le signal n’en sera reçu que 28 minutes plus tard sur terre. Le largage est automatique. "Le mécanisme de largage est un système d’éjection basé sur un ressort , précise Thierry Martin, ingénieur au CNES. La vitesse d’éjection a été choisie autour de 18 cm par secondes. C’est l’écart de vitesse entre Philae et Rosetta qui va faire que Philae va venir intercepter la comète, alors que Rosetta va passer à côté de la comète." Rosetta devra ensuite remonter pour se remettre dans une "vraie" orbite pour garantir les communications avec Philae et la Terre .
La chute libre
Sept heures. Aprè le largage à 9 h 35, Philae fera "une chute libre de sept heures" , note Sylvain Lodiot, responsable des opérations de vol à l’ESA. Pendant cette chute, Philae prendra des images de l’orbiteur Rosetta, puis des images du site d’atterrissage. Rosetta, elle, gardera "un oeil" sur son atterrisseur, permettant aux scientifiques d’évaluer s’il est sur la bonne trajectoire. Même si ceux-ci ne peuvent rien faire ! Philae "tombera" très lentement, seulement attiré par la faible gravité du noyau de la comète. La chute sera totalement subie par Philae, mais le robot est équipé d’un système interne qui doit lui permettre de garder sa verticalité pendant la descente. Car il doit atterrir sur ses pieds, c’est capital pour la suite !
Le moment de l’atterrissage
Délicat. L’atterrissage doit avoir lieu vers 16h34 mercredi. C’est le moment le plus délicat. "Le grand danger, c’est que Philae rebondisse lors de l’atterrissage, même avec suffisamment de force pour quitter la comète , observe Frederik Dhooghe, de l’Institut belge d’aéronomie spatiale, qui a travaillé sur Rosetta. Il y a même une tout petite chance qu’il rebondisse sur le satellite Rosetta ! Les communications peuvent aussi être rompues. L’autre danger, c’est qui ne rebondisse pas mais qu’il tombe "tête à l’envers". Dans ce cas, les instruments de mesure pour échantillonner la surface, qui se trouvent au-dessus seraient inutilisables." Mais pour éviter ce rebond, des mécanismes sont prévus, notamment deux harpons, pour fixer l’atterrisseur. "Mais rien que le lancement des harpons pourrait provoquer un rebond. On a donc installé un propulseur - une sorte de moteur de fusée -, qui neutralise ces forces." Philae est en outre doté de trois pattes, qui portent chacune une foreuse, qui s’enfoncerait dans le sol lors de l’impact. Autre souci pour les scientifiques : "On n’est pas complètement sûr où Philae va atterrir exactement. On ne peut pas garantir son lieu d’atterrissage à quelques mètres près." En effet, la zone prévue est une ellipse de 900 m de long sur 600 de large. Grande question : sur quoi Philae va-t-il tomber exactement ? On sait que cette zone prédéterminée abrite 1 500 cailloux de plus de 50 cm, et des pentes de plus de 30 %. Y tomber compromettrait l’arrivée. Mais Philae pourrait aussi s’enfoncer dans un sol trop mou. En fait, 18 % de la zone est impropre à l’atterrissage… Et Philae a 20 % de chances de heurter un caillou. L’autre incertitude concerne aussi la rotation de la comète. L’atterrissage est en effet le résultat de calculs combinant la vitesse de Philae (le robot ne doit pas dépasser un mètre par seconde maximum pour garantir un bon atterrissage) et la rotation de la comète. Des modèles mathématiques (simulation informatique) ont été réalisés à ce sujet. Mais un modèle ne reste qu’un modèle, et n’est pas tout à fait la réalité…
Les mesures
Mort . Si tout se passe bien, pendant les 64 heures suivant son atterrissage, le robot pourra compter sur sa batterie pour effectuer des mesures. Dans quel but ? Les comètes sont des sortes de "fossiles" de la formation de notre système solaire. L’objectif est donc de percer l’évolution de celui-ci ! Et après ces 64 heures ? Cela dépendra d’où Philae est tombé. Car pour recharger sa batterie vide, il utilise ses panneaux solaires. Et là, si le lieu n’est pas assez ensoleillé, son travail s’arrêtera là. Mais si tout a bien fonctionné, il mènera ses mesures jusque mars 2015. Après quoi, le trajet de la comète l’amènera trop près du soleil et Philae mourra de chaud…