A la chasse aux météorites
Le 28 novembre, la chercheuse Vinciane Debaille (ULB) partira en Antarctique pour deux mois. Elle y cherchera des météorites, cadeaux de l’espace tombés il y a un million d’années. Les préparatifs du séjour ne sont pas une sinécure. Rencontre.
Publié le 24-11-2014 à 19h10 - Mis à jour le 26-11-2014 à 10h34
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Le 28 novembre, la chercheuse Vinciane Debaille (ULB) partira en Antarctique pour deux mois. Elle y cherchera des météorites, cadeaux de l’espace tombés il y a un million d’années. Les préparatifs du séjour ne sont pas une sinécure. Rencontre.
Dans les valises, de quoi résister au "milieu hostile"
Les deux grands sacs de toile jaune et rouge sont encore vides, posés sur le sol. Le contenu, lui, attend, organisé en piles, sur les tréteaux dressés devant la fenêtre. Vinciane Debaille pose sur une pile, à côté d’un thermos et de paquets de chocolat, le pantalon de ski qu’elle vient d’acheter le matin même. Taille homme. Normal : même si cette jeune femme blonde a une silhouette plutôt fluette, elle devra enfiler son nouvel achat au-dessus de trois autres pantalons. Et pas vraiment pour aller faire du ski. Elle se prépare à un séjour de deux mois dans l’Antarctique. Premier outil à poser dans les bagages : l’anémomètre, petit boîtier jaune qui mesure la température, l’humidité et la vitesse du vent : "C’est l’été, là-bas, il fera moins 10, si tout va bien, mais la température ressentie sera de moins 25 degrés." La jeune femme passera 4 à 6 heures par jour dehors, à rouler sur une motoneige, à la recherche de météorites (lire par ailleurs). "Une chasse aux œufs" , mais sous les vents dit "catabatiques". Ils soufflent là-bas en permanence, à 50 km/heure, soulèvent un fin grésil de neige, et accentuent la sensation de froid. Mais pour l’instant, à Châtelineau, c’est le moment de l’essayage. Il a lieu dans la chambre de la maison d’enfance de la géologue, où elle a stocké ses encombrantes affaires en partance.
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Combinaison intégrale
Pour ses bagages, la scientifique a récupéré l’équipement de deux missions précédentes en Antarctique : elle enfile l’ample parka bleu marine, puis une cagoule au fin tissu "technique", qui ne laisse voir que ses yeux bleus, rabat la capuche bordée de fourrure, avant d’enfiler un masque aux verres quasi opaques. Tout a l’air opérationnel, mais la vision semble effrayer la voisine qui épie la scène depuis la fenêtre d’en face. "Il fait chaud là-dedans , rigole la jeune femme. Qui poursuit : "Il faut vraiment faire attention quand on s’habille, il faut que tout soit couvert, que le masque recouvre exactement la cagoule. Lors d’une mission, j’avais un jour un centimètre de peau à l’air libre; j’ai été brûlée" . En dessous de la parka, il y a au moins 5 couches : tee-shirt technique, chemisette polar, veste polaire fine et plus épaisse, doudoune fine… Avant la grosse parka, que l’on peut recouvrir d’une combinaison en Gore-Tex. "Et dire que petite, elle était frileuse" , soupire Marie-Jeanne, sa maman, qui assiste aux préparatifs. "Et je le suis toujours, ajoute sa fille, "check list" de deux pages à la main. En fait, le tout c’est d’ajouter les couches. Mais la difficulté, c’est qu’on ne bouge pas, ce n’est pas comme au ski, et on finit toujours par avoir froid…" Elle glisse : "on se sent humble. On n’a que la combinaison entre nous et ce milieu hostile…"
Sous la tente
Et une fois que les épaisseurs sont en place, pas question d’y toucher avant la fin de la récolte : pas de pause pipi, par exemple… Et la récupération des météorites elle-même s’apparente un peu à la tentative d’un bonhomme Michelin de ramasser un cheveu. Parmi ses affaires à emporter, Vinciane Debaille saisit un paquet de sacs en plastique de congélation, de tailles variées. "On ne peut pas toucher les météorites, donc, on essaie d’ouvrir ces sacs avec nos gants , explique-t-elle, en glissant le plastique sous une petite roche sans la toucher. Après, toujours gantés, on note les références au marqueur sur le sac. Le tout avec le masque sur le visage, avec lequel on ne voit pas grand-chose !" La jeune femme ajoute à présent dans sa trousse de toilette un masque d’avion… en laine polaire. Indispensable pour pouvoir dormir la nuit : il fera clair quasi 24 heures sur 24. Et la nuit se passera sous la tente, dressée directement sur la glace. Sous ce "tipi" jaune en toile de deux places, tout gèle. "J’ai mis mes lentilles de contact au congélateur, et je les essaierai pour voir ce que ça fait de mettre des lentilles gelées le matin !" Ce qui réchauffera l’atmosphère de la tente, c’est le petit réchaud destiné à décongeler les plats de nourriture déjà préparés. Et le soir, les membres de l’équipe ne se déshabilleront pas avant de se glisser dans leur double sac de couchage.
Pas de douche au programme, non plus. Sur place, l’eau, récupérée à partir de neige fondue, sert à l’alimentation, pas à se laver. Et les chemisettes ne seront changées qu’une fois par semaine. "Heureusement, il fait froid, on ne transpire pas trop. À la place de la douche, on utilise ça" , explique Vinciane Debaille, désignant les gros paquets de lingettes pour bébé préparées sur la table. Reste à présent à faire tout rentrer dans les sacs. Poids maximum : 46 kg. Départ le 28 novembre.
La mission spatiale du pauvre
Vinciane Debaille, chercheur qualifié FNRS à l’ULB, se rendra à partir du 28 novembre en Antarctique, sur la base américaine de McMurdo, pour un programme de recherche de météorites. Direction ensuite un site à quelque 500 km de là, où elle campera sur la glace.
L’Antarctique est un lieu privilégié pour trouver des météorites, bouts de rocher venus de l’espace, et ce pour plusieurs raisons. "D’abord, sur un fond blanc, ces roches noires se voient bien ! Et puis, les météorites sont en quelque sorte au frigo, en attendant gentiment qu’on vienne les chercher. Elles ont donc été préservées. Le plus intéressant, c’est que le mouvement des glaciers concentre les météorites, on sait donc qu’on peut les retrouver plus particulièrement à certains endroits. On repère donc les zones bleues (de glace) via satellite." Le vent érode la glace, ce qui permet de mettre les météorites au jour. Dans ces régions, vu ces vents "catabatiques", la neige ne s’amoncelle pas en couches. Certaines zones sont donc présélectionnées, l’équipe les parcourt en motoneige, en ligne, sous forme de battue. Le chasseur, dès qu’il repère un "caillou", descend de son engin pour récupérer le trésor, qui peut aller de quelques grammes à plusieurs kilos. Les coordonnées GPS sont également relevées, et l’échantillon photographié. La différence visible entre une météorite et un vulgaire caillou ? C’est la "croûte" "brûlée", résultant de la traversée dans l’atmosphère.
Avec la Nasa
La jeune scientifique belge a été invitée à participer à cette mission américaine, qui est financée par la NASA, l’agence spatiale américaine. Vinciane sera la seule étrangère du groupe, qui compte notamment une ancienne astronaute. Pas si étonnant. La campagne de récolte "Ansmet" a en effet été baptisée la "mission spatiale du pauvre".
L’objectif est d’analyser des échantillons venus de l’espace. "Mis à part les roches lunaires du programme Apollo, ce sont les seuls échantillons que l’on a sur Terre venus d’ailleurs dans le système solaire." Une météorite est un corps céleste, fait surtout de roche et d’un peu de glace, et provenant d’une zone entre Mars et Jupiter. Un avantage de ces missions : le coût. "L’ensemble de toutes les missions antarctiques, commencées en 1976, a coûté moins d’un 1 % de ce que coûterait une seule mission d’échantillonnage sur Mars", souligne Ralph Harvey, directeur de la mission. "La différence avec une mission spatiale, c’est qu’on prend ce que le hasard nous donne" nuance Vinciane Debaille.
Il y a plusieurs types de réponses à rechercher dans les météorites. "Tout d’abord sur la naissance du système solaire. On recherche les minéraux les plus anciens, pour dater le système solaire. On analyse la composition chimique des météorites, qui est l’ADN de la météorite, toute son histoire géologique. Etudier les astéroïdes (NdlR : qui deviennent météorites quand ils tombent sur Terre) peut aussi nous aider à comprendre comment se sont formées les planètes. L’astéroïde, c’est un arrêt sur image à un moment de l’histoire. C’est une étape entre les gaz de l’origine et la Terre." Les plus anciennes météorites datent de la formation du système solaire il y a 4,56 milliards d’années et n’ont pas changé depuis. Dans l’Antarctique, les plus anciennes sont tombées il y a un million d’années. Elles sont restées prisonnières de la glace depuis.