Dans la capitale "la plus sale du monde"
Même les autorités guinéennes viennent de l’admettre : Conakry est l’une des capitales les plus sales du monde. La gestion des déchets y est catastrophique. Pour les industriels de l’environnement occidentaux, c’est toute l’Afrique qui constitue un marché à conquérir. Reportage sur place!
- Publié le 30-12-2014 à 05h38
- Mis à jour le 30-12-2016 à 13h36
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Même les autorités guinéennes viennent de l’admettre : Conakry est l’une des capitales les plus sales du monde. La gestion des déchets y est catastrophique. Pour les industriels de l’environnement occidentaux, c’est toute l’Afrique qui constitue un marché à conquérir. Reportage sur place!
A Conakry, rues et rivières sont envahies de déchets
Sur la berge, un jeune homme, en sandales, habillé d’un short en jeans, et la tête protégée du soleil accablant par un casquette coiffée à l’envers, tente de rapetasser un vieux sac à main. Le long de la rivière, aux eaux plus que troubles, les déchets s’amoncellent : sacs en plastique, vieux bidons, vêtements déchirés... A quelques mètres, une petites charette à bras, remplie d’ordures, patiente. Nous sommes à Kakimbo, un quartier de la capitale guinéenne, Conakry, en Afrique de l’Ouest.
Rues impraticables
Cet espace jonché de détritus, c’est le "point de regroupement des déchets" du quartier. Ici, oubliez les camions poubelles qui s’arrêtent à chaque maison. Ce sont des PME - en fait des individus tirant de petites charettes à bras - qui passent dans les rues, pour ramasser les déchets de chaque habitation. La raison ? Dans ces quartiers, aux ruelles de terre défoncées, de vrais camions seraient incapables de passer.
La capitale a grandi de façon anarchique et en Guinée, seuls 25 % des routes sont bitumées. Une des conséquences (outre les embouteillages et la quasi absence de transport en commun) ? Dans la capitale, les 1000 tonnes de déchets produits chaque jour se répartissent en tas, un peu partout dans la ville : au coin des rues, où l’on peut observer des enfants y jouer, ou le plus souvent, comme ici à Kakimbo, au bord des rivières. "A présent, la rivière est quasiment tarie, se désole Ali, un habitant. Et le tas de déchets se trouve presque dans la forêt, alors que c’était une réserve naturelle..." A partir d’ici, les déchets sont amené par camions vétustes - quand le service public n’est pas en grève- à 5 km, à la grande décharge de la Minière, où ils sont brûlés, ou juste abandonnés. Même le ministre de l’administration du territoire guinéen l’a admis il y a peu : Conakry est une des capitales "les plus sales au monde". En 2012, une société suisse, Satarem, a été appelée à la rescousse, pour réaliser des collectes et bâtir un centre de traitement des déchets. Elle avait même promis, dans la foulée, de construire un hôpital. Sans aucun résultat, accusent deux ans plus tard les officiels guinéens. Qui qualifient aussi les habitants de Conakry "d’inciviques". Ils rechigneraient à payer les PME "pré-collectrices", jugées trop chères, et préféreraient le dépôt sauvage de nuit.
Tentative de recyclage
Malgré tout, des initiatives voient le jour. A Sonfonia, en périphérie de Conakry, une coopérative locale a pour objectif de recycler des déchets de plastique. Dans la cour, assises autour d’un réservoir d’eau, des femmes brossent des morceaux de bidon en plastique jaune. Tandis qu’à l’intérieur du bâtiment, Fatoumata, elle, trie les débris indésirables, parmi les granulés obtenus par le passage du plastique à la broyeuse. "Oui, il faut être patient, dit-elle. Mais avant, je n’avais pas de boulot!""L’objectif, c’est de donner de l’emploi à une population vulnérable, de lutter contre la pollution et l’insalubrité de cette ville", explique Diallo Mamadou Oury, le président de la Coguiplast, qui, a dû affronter nombre de difficultés pour son projet. Une des principales : convaincre les habitants de l’utilité du recyclage. Les écoles ont été sensibilisées et des pièces de théâtre jouées dans les quartiers...
Mais pour avoir de réels débouchés, la coopérative a besoin d’une machine qui affinerait davantage le produit final, afin de répondre à la demande des entreprises. Entre l’étude de marché et la mise sur pied du projet, les besoins des firmes fabricantes d’objets en plastique avaient en effet changé ! Mais le commissaire européen Neven Mimica qui a visité le site début du mois, salue ce projet financé par l’Europe. Car dans ce pays mis à genou par l’épidémie d’Ebola, soutien au système de santé et amélioration de l’assanissement urbain (eau, déchets...) doivent obligatoirement aller de pair.
L’Afrique attire les industriels de l’environnement
Avec l’Italien Piccini Group notamment, le Français Veolia serait l’une des (nombreuses) entreprises occidentales désireuses de s’occuper de la gestion des déchets à Conakry (lire par ailleurs). Le gouvernement n’aurait pas donné suite pour l’instant à ces candidatures, selon la presse guinéenne.
Mais pour les industriels en environnement de la planète, c’est en fait toute l’Afrique qui est le nouveau marché à conquérir, avec son absence quasi générale de gestion des déchets ou sa nécessité d’un meilleur traitement des eaux usées. "Les opportunités sur les projets environnementaux en Afrique sont vraiment énormes. Les principales problématiques sont l’accès à l’eau potable, l’assainissement, le traitement des déchets, à la fois dans les grandes villes mais aussi dans les petites et moyennes" , dit Stéphanie Gay-Torrente, directrice du salon Pollutec, dédié à l’économie de l’environnement et qui vient de faire de la Côte d’Ivoire son invité d’honneur.
Un potentiel qui aiguise les appétits
Tous les pays du continent sont confrontés aux mêmes défis. L’Agence de développement des entreprises en Afrique (Adea) évalue à 40 milliards de dollars par an les investissements nécessaires dans le secteur de l’eau et à 42 milliards dans celui de l’énergie. Ce potentiel aiguise les appétits des industriels du monde entier. Car aujourd’hui, les pays africains ne peuvent se passer de l’expertise et des investissements des entreprises privées étrangères. "Les technologies, que ce soit dans l’eau, les déchets ou les énergies renouvelables, sont très complexes et nécessitent beaucoup d’investissements et de compétences" , explique Abdoulaye Kanté, directeur de l’Adea. Le groupe Veolia réalise "1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en Afrique, principalement générés par l’eau et la distribution d’énergie" , indique un de ses responsables, Patrice Fonlladosa, présent notamment au Gabon, au Niger, en Namibie et en Afrique du Sud. Veolia est aussi candidat pour plusieurs appels d’offres : au Togo pour un centre d’enfouissement, ou encore en Guinée pour un contrat lié à la fourniture d’électricité.
Américains et Chinois
Son principal concurrent, Suez Environnement réalise en Afrique un chiffre d’affaires de 700 millions d’euros. Les Américains sont aussi présents, de même que les Chinois, qui font une forte concurrence aux Européens. Seule contrainte : trouver des financements (notamment auprès de la Banque mondiale) pour ces projets, que les pays eux-mêmes ont du mal à boucler. Mais il arrive aussi que cette présence occidentale entraîne le pire : en 2006, un cargo avait par exemple déversé des résidus toxiques à Abidjan, intoxiquant des milliers de personnes. Le navire avait été affrété par Claude Dauphin, poids lourd de l’industrie du recyclage en France, visé par des procédures judiciaires.