Suralimentés, les sangliers nous envahissent
Faut-il nourrir les sangliers dans les forêts wallonnes ? Un nouveau rapport remis au ministre wallon en charge de la chasse souligne les limites du nourrissage et relance ce débat très sensible. Nourrir le gibier évite les éventuels dégâts aux cultures, mais augmente aussi la population, déjà en croissance.
- Publié le 20-02-2015 à 18h41
"La chasse telle qu’elle est pratiquée actuellement ne permet pas de faire baisser drastiquement les populations de sangliers ", peut-on lire dans un rapport adressé au ministre wallon de la Ruralité, René Collin (CDH), par le Département de l’étude du milieu naturel et agricole (Demna), dont "La Libre" a pu prendre connaissance ce jeudi. "Or, le retour à des populations de sangliers nettement moins abondantes constitue […] un préalable indispensable pour rendre le ‘nourrissage dissuasif’ réellement efficace" , ajoute le document qui relance ainsi le débat houleux sur l’alimentation du sanglier par l’homme.
Trop de sangliers
Depuis une bonne dizaine d’années, les populations de grand gibier explosent dans toute l’Europe et notamment en Wallonie. Les mesures de conservation des années 70, la raréfaction des hivers rudes et, selon les défenseurs de l’environnement, l’évolution des pratiques du monde de la chasse, ont entraîné un net accroissement des cerfs et des sangliers dans les forêts du sud du pays, au risque d’en affecter la biodiversité, mais également les nombreuses zones de culture. "L es cervidés délaissent les hêtres et les épicéas mais raffolent des chênes, des érables et des merisiers", explique l’ancien président d’Inter-Environnement Wallonie en charge des matières liées à la chasse, Gérard Jadoul. "Mais les études réalisées sur le climat ont démontré qu’en cas de hausse de la température d’1,5°C, les hêtres, comme les épicéas, auront totalement disparu d’ici la fin du siècle. Si nous voulons protéger notre biodiversité contre les effets du changement climatique, nous devons les diversifier. Les sangliers, eux, ont une prédation qui affecte davantage la biodiversité, comme les batraciens et les reptiles, et ils peuvent provoquer d’importants dégâts agricoles."
Limiter le nourrissage
Pour contrôler leurs populations, Carlo Di Antonio (CDH) lance mi-2012 un plan de réduction de la densité des animaux sur le territoire de la région, qui comporte une vingtaine de mesures dont une limitation des périodes de nourrissage. "Guy Lutgen, alors ministre de la Ruralité, avait sorti en 1994 un décret qui autorisait le nourrissage du gibier dans deux situations ", ajoute l’environnementaliste. "Le nourrissage supplétif du gibier en cas d’hiver extrême, et le nourrissage dissuasif des sangliers pour les empêcher d’aller ravager les zones agricoles pendant la période sensible qui s’étend d’avril à octobre. Mais cela a rapidement été détourné par une partie des chasseurs dans une logique capitaliste : lisser la courbe de reproduction des sangliers pour garantir leur approvisionnement d’année en année avec pour effet d’augmenter leur population, et fixer les animaux sur leurs terres pour les tirer en quantité en période de chasse."
Accusation à moitié démentie par le Royal Saint-Hubert Club (lire ci-contre), qui ne concernerait que 3 % des territoires de chasse en Wallonie. "Une cinquantaine de territoires déviants, mais à ce point puissants qu’ils tirent à eux seuls 20 % des sangliers", insiste Gérard Jadoul. "Des zones noires où sont tués plus de 60 sangliers/1 000 hectares."
Désireux de ménager le milieu de la chasse, le plan de Carlo Di Antonio avait d’abord prévu une période de transition de trois ans censée permettre aux propriétaires de ces zones noires de réduire sensiblement les densités de leurs populations de sangliers, avant d’interdire leur nourrissage six mois par an.
Cette période de transition arrivera à terme au mois de mars, et le rapport du Département de l’étude du milieu naturel indique que " tous les territoires points noirs qui souhaitaient nourrir ont pu continuer à le faire ", et qu’une " prolongation de la période transitoire ne constituera en rien une mesure d’incitation de ces territoires à faire des efforts de prélèvement accrus dans les populations de sangliers ". Ce qui ne fera probablement pas les affaires de l’actuel ministre de la Ruralité, René Collin (CDH), que plusieurs échos disaient peu enclin à heurter les chasseurs et à interdire le nourrissage.
3 questions à Benoît Petit, président du Royal Saint-Hubert Club
Selon le rapport du Demna, les méthodes actuelles de chasse ne permettent pas de faire baisser drastiquement les populations de sangliers.
Nous contestons vivement ces informations. Selon les chiffres du Département ‘nature et forêts’ (DNF), la population de cervidés a baissé de 19 % depuis 2011, et celle des sangliers de 25 % entre 2012 et 2013.
Le rapport indique également qu’on ne peut pas démontrer que le nourrissage permet de limiter la destruction des zones de cultures.
Quand le rapport dit que rien ne prouve qu’il y a un impact du nourrissage sur les zones de cultures, il dit tout simplement "on ne sait pas". Le maïs est le nutriment le plus attractif pour le sanglier ; quand on l’a retiré du nourrissage, les dégâts ont explosé dans les zones de cultures.
Plusieurs observateurs estiment qu’une frange minoritaire mais puissante de chasseurs a un recours excessif au nourrissage.
Je déplore cette rumeur ! Il y a peut-être 15 territoires de chasse qui nourrissent abusivement les sangliers. Sur 3 300 territoires de chasse au total.
"Un rapport nuancé"
Que fera le ministre wallon en charge de la chasse du rapport fourni par l’administration, et quel sera son choix en matière de nourrissage ? Plusieurs échos indiquent que René Collin était plutôt enclin à prolonger la période transitoire qui autorise temporairement le nourrissage des sangliers. Mais cette décision n’est pas encore prise, jure son cabinet. "D’une première analyse, le texte est très nuancé", dit-on chez René Collin, où on ajoute que le rapport est en train de faire l’objet d’une analyse approfondie au cabinet. Et que le ministre prendra sa décision après consultations des acteurs concernés (DNF, chasseurs, agriculteurs, propriétaires forestiers, Inter-Environnement...) qui commenceront début mars. "Ce n’est pas une manœuvre dilatoire, la décision devrait être prise rapidement, courant mars." Le cabinet du ministre de la Ruralité (CDH) réfute par ailleurs être en proie à une pression extrême des chasseurs. "Chacun joue son rôle. Les chasseurs jouent leur rôle... Les environnementalistes jouent leur rôle... Le ministre, qui connaît très bien ces milieux, écoutera et fera la synthèse."