"Laudato si'": que dit l'encyclique du pape sur l'environnement?
Le pape François a exhorté jeudi les dirigeants mondiaux à agir vite pour sauver la planète, menacée de destruction par le réchauffement climatique et le consumérisme, dans une encyclique sur l'environnement en forme de manifeste contre l'égoïsme des plus riches.
- Publié le 18-06-2015 à 12h08
- Mis à jour le 18-06-2015 à 12h48
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Le pape François a exhorté jeudi les dirigeants mondiaux à agir vite pour sauver la planète, menacée de destruction par le réchauffement climatique et le consumérisme, dans une encyclique sur l'environnement en forme de manifeste contre l'égoïsme des plus riches.
Tout au long des quelque 200 pages de cette encyclique sur l'environnement, très attendue avant la conférence climatique de Paris en décembre, le pape prend la défense des plus pauvres, qu'il cite à 51 reprises.
Le réchauffement climatique qui détruit la planète est "l'un des principaux défis actuels de l'humanité", avertit aussi cette "lettre circulaire" (encyclique), au ton très concret et incendiaire à l'encontre des puissances d'argent, accusés de comploter contre le bien commun.
"La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l'échec des sommets mondiaux sur l'environnement", écrit ainsi Jorge Bergoglio.
Mais au-delà, pour éviter que la Terre, "notre maison commune" ne se transforme en un "immense dépotoir", le pape argentin préconise rien de moins qu'une révolution sociale, économique et culturelle.
"L'humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre le réchauffement", affirme ainsi le pape.
A commencer par le recours aux énergies fossiles, à bannir au plus vite, juge le souverain pontife, pour qui le charbon et le pétrole doivent "progressivement" mais "sans retard" être remplacées par des énergies renouvelables.
Il évoque aussi "des responsabilités diversifiées", pointant du doigt les Etats riches, appelés à aider les plus pauvres à réaliser la transition énergétique.
Et pour y parvenir, les pays nantis devront accepter des sacrifices, y compris en acceptant de réduire leur train de vie.
"L'heure est venue d'accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d'autres parties", écrit ainsi Jorge Bergoglio.
Le pape a voulu montrer que "tout est lié" entre éthique, pauvreté et pollution, et appeler chacun à sa responsabilité pour sauver "la maison commune", a expliqué le cardinal ghanéen Peter Turkson, en présentant le texte à la presse.
"Quel type de monde désirons-vous transmettre à ceux qui viendront après nous? Aujourd'hui la terre, maltraitée et saccagée, gémit. Et ses gémissements s'unissent à ceux de tous ceux qui ont mis au rebut dans le monde", a dit le cardinal africain, citant l'encyclique.
"Mais tout n'est pas perdu et les êtres humains, capables de se dégrader à l'extrême, peuvent se régénérer", veut croire le pape.
Le titre de cette encyclique de 187 pages, "Laudato si'" ("Sois-loué"), est inspiré d'un cantique de son modèle, François d'Assise, qui loue Dieu dans "notre mère la terre". Des centaines d'experts ont été consultés pour sa rédaction.
Elle se veut adressée à "tous" et pas uniquement aux 1,2 milliard de catholiques.
Le pape devrait susciter beaucoup de mécontentements dans les milieux de la droite libérale, notamment américaine, pour ses prises de position virulente à l'encontre du pouvoir de la finance.
Son autre "mouton" noir est la technologie aveugle, à laquelle il regrette que les responsables se soumettent, et qui ne respecterait pas la création et l'équilibre de l'homme.
Des représentants du Parti républicain, dont le possible futur candidat à la Maison Blanche, Jeb Bush, ont déjà réagi avec humeur, affirmant n'avoir pas à prendre leurs ordres auprès du pape, selon des médias italiens et américains.
Dans ce plaidoyer vibrant contre le consumérisme effréné des classes et des pays les plus riches, il avertit aussi du danger imminent de larges destructions et de guerres, notamment autour de l'eau.
"Il est prévisible que le contrôle de l'eau par de grandes entreprises mondiales deviendra l'une des principales sources de conflits de ce siècle", met en garde le pape argentin, estimant qu'au-delà de l'eau, l'épuisement de certaines ressources conduira à de nouvelles guerres et des migrations.
Le ton surprend par sa radicalité sociale, le pape séparant les chapitres très politiques et économiques de ceux spirituels, ce qui rend le message plus percutant.
Il affirme ainsi que le droit à la propriété privée n'est "pas absolu et intouchable", et, très concret, s'attaque à de nombreux thèmes, de l'exploitation de la forêt amazonienne à la vente de climatiseurs et à la privatisation de l'eau dans les villes.
"Tu sais que le désordre me plaît", a-t-il récemment confié à un de ses proches, selon le quotidien Repubblica.
Voici les principaux extraits de l'encyclique du pape François, "Laudato si'", publiée jeudi
"De nombreuses études scientifiques signalent que la plus grande partie du réchauffement global des dernières décennies est due à la grande concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde de nitrogène et autres) émis surtout à cause de l'activité humaine."
"Si la tendance actuelle continuait, ce siècle pourrait être témoin de changements climatiques inédits et d'une destruction sans précédent des écosystèmes, avec de graves conséquences pour nous tous."
"L'humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre le réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent ou l'accentuent."
"Malheureusement, beaucoup d'efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l'opposition des puissants, mais aussi par manque d'intérêt de la part des autres."
"La faiblesse de la réaction politique internationale est frappante. La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l'échec des sommets" sur le climat.
"Très facilement l'intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l'information pour ne pas voir ses projets affectés".
"La technologie reposant sur les combustibles fossiles très polluants - surtout le charbon, mais aussi le pétrole et, dans une moindre mesure, le gaz - a besoin d'être remplacée, progressivement et sans retard."
"La stratégie d'achat et de vente de 'crédits de carbone' peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait pas à réduire l'émission globale des gaz polluants."
"Nous savons que les choses peuvent changer. Le Créateur ne nous abandonne pas (...), il ne se repent pas de nous avoir créés. L'humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune."
"Les régions et les pays les plus pauvres ont moins de possibilités pour adopter de nouveaux modèles en vue de réduire l'impact des activités de l'homme sur l'environnement, parce qu'ils n'ont pas la formation pour développer les processus nécessaires, et ils ne peuvent pas en assumer les coûts. C'est pourquoi il faut maintenir claire la conscience que, dans le changement climatique, il y a des responsabilités diversifiées."
"L'heure est venue d'accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d'autres parties".
"Toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés (...). La tradition chrétienne n'a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée, elle a souligné la fonction sociale de toute forme de propriété privée."
"Il est prévisible que, face à l'épuisement de certaines ressources, se crée progressivement un scénario favorable à de nouvelles guerres, déguisées en revendications nobles."
"Tandis que la qualité de l'eau disponible se détériore constamment, il y a une tendance croissante, à certains endroits, à privatiser cette ressource limitée (...). Il est prévisible que le contrôle de l'eau par de grandes entreprises mondiales deviendra l'une des principales sources de conflits de ce siècle."
"Quand on ne reconnaît pas la valeur d'un pauvre, d'un embryon humain, d'une personne vivant une situation de handicap (...), on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même."
"La culture du relativisme est la même pathologie qui pousse une personne à exploiter son prochain et à le traiter comme un pur objet."
"La terre, notre maison commune, semble se transformer toujours davantage en un immense dépotoir."
"Au lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un monde différent, certains se contentent seulement de proposer une réduction de la natalité (...). La croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire. Accuser l'augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes."
"La technologie, liée aux secteurs financiers, qui prétend être l'unique solution aux problèmes, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en créant un autre."
"L'anthropocentrisme moderne a fini par mettre la raison technique au-dessus de la réalité. La vie est en train d'être abandonnée aux circonstances conditionnées par la technique, comprise comme le principal moyen d'interpréter l'existence."
"Aujourd'hui tout ce qui est fragile, comme l'environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue."
"Les finances étouffent l'économie réelle. Les leçons de la crise financière mondiale n'ont pas été retenues, et on prend en compte les leçons de la détérioration de l'environnement avec beaucoup de lenteur."
"La majorité des habitants de la planète se déclare croyante, et cela devrait inciter les religions à entrer dans un dialogue en vue de la sauvegarde de la nature, de la défense des pauvres, de la construction de réseaux de respect et de fraternité."
"Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée (...). Il a été dit que, à partir du récit de la Genèse qui invite à 'dominer' la terre, on favoriserait l'exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l'être humain comme dominateur et destructeur. Ce n'est pas une interprétation correcte de la Bible. Il est important de se souvenir que les textes nous invitent à 'cultiver et garder' le jardin du monde."
"La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu (...) sans être obsédé par la consommation."