L'agriculture durable, une notion floue en Wallonie
Les agriculteurs wallons et les consommateurs ne partagent pas tout à fait la même vision de la durabilité. Cette différence ressort dans une enquête réalisée par Bayer dont "La Libre" a pris connaissance en primeur. Pour les agriculteurs, l'aspect économique est primordial.
Publié le 15-09-2016 à 19h07 - Mis à jour le 15-09-2016 à 19h17
Les agriculteurs wallons et les consommateurs n’ont pas tout à fait la même définition du concept de durabilité. Le groupe allemand Bayer qui affirme vouloir soutenir les agriculteurs en attirant l’attention du grand public sur leurs problèmes a mené une enquête en collaboration avec la Fédération wallonne de l’agriculture. Pour le géant du secteur agronomique - qui fusionne avec Monsanto, le spécialiste américain des OGM et des pesticides, pour 66 milliards de dollars -, la question de la durabilité s’entend en termes environnementaux, économiques et sociaux. Pour assurer la longévité, la viabilité économique s’avère cruciale.
L’objectif principal de l’agriculture durable est de préserver l’environnement et la biodiversité (ne pas polluer donc limiter voire supprimer l’usage des pesticides) et de rationaliser les ressources - éviter le gaspillage de l’eau par exemple. Les gains au niveau économique et social sur le long terme découlent de ces mesures puisqu’une meilleure utilisation des ressources entraîne une réduction des coûts et la diminution de l’usage des pesticides, un bienfait pour la santé des agriculteurs et des consommateurs.
Un "prix honnête" pour les produits
Seuls 74 agriculteurs wallons ont répondu à l’enquête de Bayer. Et d’après eux, la durabilité, c’est d’abord une question de prix. Lorsque différents éléments de réponse sont proposés aux agriculteurs pour définir la notion "d’agriculture durable", ils répondent à 80 % "une production telle que les agriculteurs reçoivent un prix honnête" et seulement en deuxième position "pas de conséquences négatives pour l’environnement et les résidus phytosanitaires restent limités à un minimum" pour 54 % d’entre eux. 45 % des agriculteurs cochent enfin "l’utilisation d’eau, d’énergie et des matières premières est organisée de telle façon qu’il n’y a pas de déficits". Du côté des consommateurs - 1000 personnes ont participé à l’enquête - l’exigence de préservation de l’environnement arrive juste devant la question du prix honnête. De même, à la question "sur quels domaines le gouvernement doit-il porter ses efforts pour rendre l’agriculture plus durable ?", les 74 agriculteurs wallons répondent à 82 % "garantir des prix corrects". Au fil du questionnaire, les attentes des consommateurs s’avèrent assez élevées du point de vue des conséquences pour la nature même si elles ne sont pas toujours suivies d’effets. Face à un choix entre une boîte de six œufs belges à 2,49 € et une boîte d’origine française à 0,99€, la majorité des consommateurs achète la moins chère.
Les considérations environnementales ne sont pourtant pas absentes chez les agriculteurs qui expliquent vouloir investir dans l’installation de systèmes permettant d’éliminer les reliquats de "protection phytosanitaire" (pesticides), d’installer de "l’énergie verte" ou encore de développer l’agriculture de précision - qui permet par exemple de traiter seulement les plants malades au lieu d’un champ entier. Le principal frein à ces investissements reste d’ordre économique. Si on lit en filigrane un cri d’alarme de la part des agriculteurs qui ne reçoivent que 2 euros pour l’achat de 10 euros de légumes dans le circuit de la grande distribution, une nouvelle réflexion serait à mener en termes d’information du consommateur. Le client face aux étiquettes s’enquiert souvent du label, de la provenance et de la saison, mais pas assez de la méthode de production. Alors que 89 % des personnes interrogées affirment porter beaucoup de respect pour les agriculteurs, cette confiance pourrait soutenir opportunément les efforts de ceux qui investissent pour la santé de tous et de la planète.
"On fait du durable sans le savoir"
Volontaire ou obligatoire. Marianne Streel est agricultrice dans la région de Namur. Pour elle, le concept de durabilité recouvre des aspects économiques, environnementaux, sociaux et même culturels. "Mais c’est le pilier économique qui nous permet de souscrire aux autres. Si l’argent ne rentre pas, comme c’est le cas pour le moment, le reste ne fonctionne pas non plus, surtout si les mesures environnementales coûtent cher", dit-elle. Marianne Streel explique que les agriculteurs ne connaissent pas forcément la définition exacte de la durabilité. "Pourtant, la grande majorité des exploitations agricoles sont durables sans le savoir, ne serait-ce que pour faire des économies." Elle a mis en œuvre pas mal de mesures durables dans sa ferme, certaines obligatoires, d’autres liées à l’octroi d’une prime ou encore sur base volontaire. "La création de bandes herbagères, la réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires, la lutte intégrée, le contrôle technique pour nos pulvérisateurs, la création de surfaces d’intérêt écologique, etc.", cite l’agricultrice.
"Un concept moins valorisé que d’autres"
L'étude réalisée par Bayer semble indiquer que les agriculteurs ont une conception plus économique qu’écologique du concept de durabilité, au contraire des consommateurs. Adeline Serckx, du service d’études de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA), n’est pourtant pas de cet avis. “Les consommateurs estiment aussi largement que l’agriculture durable passe par un prix d’achat correct de leurs produits aux agriculteurs. S’ils l’obtiennent, ils pourront alors prendre d’autres mesures durables. Il faut d’abord passer par une sécurité économique. Le problème ici, c’est que les agriculteurs ont tellement de choses plus urgentes à régler que le durable”, souligne-t-elle.
A la question “Qu’est-ce qui vous freine à travailler de façon plus durable ?”, la réponse qui arrive en tête (45 %) est “pas de valeur ajoutée économique”. Que faut-il en penser ? “Effectivement, la valeur ajoutée n’existe pas aujourd’hui. Le seul concept de durabilité est moins valorisé. L’étude souligne qu’une majorité de consommateurs choisissent des produits moins chers au détriment de produits belges plus coûteux. Un autre exemple : un agriculteur qui va utiliser moins de pesticides va devoir compenser avec d’autres produits ou des méthodes plus chronophages. Au final, les coûts ne baissent pas”, mentionne Adeline Serckx.
Faisons confiance aux agriculteurs
Ce n’est pas pour autant que les agriculteurs ne prennent aucune mesure de protection de l’environnement. “Ils ne peuvent plus passer à côté de ces aspects. Ils réduisent leur impact sur l’environnement et il faut leur faire confiance car ils mettront volontairement en oeuvre les mesures nécessaires.”
Précisons enfin que si l’échantillon d’agriculteurs répondants est aussi petit (74 personnes), ce que déplore la FWA, c’est que les conditions de réalisation de l’étude de Bayer ont été particulières. “Bayer n’a donné comme délai de réponse que deux-trois semaines et le questionnaire a été envoyé pendant les moissons”, signale Adeline Serckx.