Toumaï et la quête du premier homme
Premier des hominidés ou simple singe? Quinze ans après la mise au jour du crâne fossile de Toumaï, la science n'a pas tranché. Rencontre avec Mackaye Taïsso, membre de l'équipe de découverte et qui sera fait docteur honoris causa de l'ULg, ce mercredi.
Publié le 21-09-2016 à 15h21 - Mis à jour le 21-09-2016 à 16h09
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Toumaï appartient-il à la lignée humaine ou bien est-il juste un très vieux singe, un "paléo-gorille" ? Quinze après la découverte, la communauté scientifique est toujours divisée. Il faut dire que la quête du premier hominidé, la plus prestigieuse en paléontologie, est très compétitive. Comparer les fossiles reste très difficile, car on n’a souvent qu’un morceau du squelette et pas le même ! Et impossible de faire des analyses génétiques sur ces os totalement minéralisés. Rencontre avec le Tchadien Mackaye Hassan Taïsso, qui a fait partie de l’équipe franco-tchadienne à l’origine de la découverte du crâne fossile. A présent ministre de l’Enseignement supérieur, il était cette semaine à Liège, car l’ULg lui remet ce mercredi le titre de docteur honoris causa. "Un prix qui va à toute l’équipe de la découverte de Toumaï" , dit-il.
Toumaï est-il un hominidé ou un singe ?
C’est un hominidé. Vous avez tous les caractères qui permettent de le placer plus du côté des humains que des singes. Le trou occipital, par lequel passe la moëlle épinière, est positionné en bas du crâne. Cela montre la perpendicularité de la tête par rapport au corps, la bipédie. Cependant, le bourrelet au-dessus des yeux est très marqué. Chez les singes, ce bourrelet est très fort, chez les mâles, du moins car il est absent chez les femelles. Les scientifiques qui pendant un moment contestaient l’appartenance de Toumaï au rameau humain disaient que le crâne appartiendrait à une paléo-gorillette. Mais si c’était le cas, le mâle ne serait vraiment pas beau à voir car son bourrelet serait vraiment disproportionné !
Pourquoi cette controverse ?
L’équipe qui contestait l’appartenance de Toumaï à la branche humaine a découvert le fossile Orrorin. Quand nous avons trouvé Toumaï, qui a 7 millions d’années, ils venaient de trouver Ororrin (voir ci-dessus), qui avait 6 millions d’années… Notre découverte remettait systématiquement en question l’ancienneté de la leur. Il fallait qu’ils trouvent quelque chose à dire, c’est de bonne guerre ! Nous, nous sommes bons joueurs : pour nous, il n’y a pas de doute : Orrorin est bien un hominidé, mais plus jeune que Toumaï ! Au stade actuel des connaissances, Toumaï est bien le plus ancien hominidé.
Il y a une vraie concurrence entre les équipes ?
Oui, les équipes de recherche sont en rivalité. C’est à qui trouvera le plus ancien ! Mais c’est positif, c’est une compétition qui permet à la science d’avancer. Ce sont des adversaires, pas des ennemis.
La découverte fait aussi du Tchad le berceau de l’humanité et remet en question la théorie par Coppens de l’East Side Story, qui dit que la bipédie est apparue avec l’assèchement, et l’arrivée de la savane en Afrique de l’Est…
Pour le pays, c’est une fierté, c’est unificateur. Cela permet de donner un regard positif sur le pays, surtout qu’il y eu tant la guerre au Tchad… Quant à la théorie d’Yves Coppens, elle avait déjà été remise en question, lorsqu’on a trouvé en 1995, au Tchad, Abel, un austrolopithèque, contemporain de Lucy. Son hypothèse ne tient plus. Par ailleurs, je ne suis pas adepte de l’évolution linéaire. Quand on trouve des hominidés à différents endroits aussi éloignés géographiquement, on ne peut penser qu’à un développement par "buissonnement". Quant à la bipédie, il n’y a pas forcément besoin d’une explication "environnementale". La savane ne fait pas forcément l’homme !
Va-t-on trouver plus vieux que Toumaï ?
Les recherches continuent et le Tchad participe à la course. Nous travaillons aujourd’hui au Tchad dans des terrains assez anciens, plus anciens que ceux qui ont livré Toumaï, aux alentours de 10 millions d’années. Si nous trouvons un hominidé là, ça veut dire que ce serait le plus ancien, plus ancien que Toumaï. Là, on serait à l’abri pour longtemps !
Un hominidé de plus de 10 millions d’années, ce serait possible ? Certains n’y croient pas…
Difficile à dire… Quand Lucy a été découverte, on pensait qu’au-delà de 3, 5 millions d’années, on ne pourrait rien trouver ! C’est pourquoi les recherches ont été concentrées sur les sites de cet âge. Mais aujourd’hui, avec notre découverte plaçant l’apparition de l’hominidé à 7 millions d’années, tout est permis.

De gauche à droite: 1. Naledi a été médiatisé il y a un an. Les fossiles sont datés à l'aide du contexte mais dans la grotte où on l'a trouvé, rien ne permettait de le faire. 2. Ardi date d'il y a 4,4 millions d'années. Son squelette est complet et il est peut-être bipède. 3. Toumaï "présente des caractéristiques modernes, surtout le trou occipital de son crâne" résume le préhistorien Pierre Noiret (ULg). 4. Lucy montre une aptitude à la bipédie et elle est plus jeune: elle a vécu il y a 3,2 millions d'années.
"Le jour où j’ai mis la main sur le crâne de notre ancêtre"
Ce 19 juillet 2001, le thermomètre de la station météo locale affiche 58°C. Comme d’habitude, ici, le ciel est d’un bleu pur et le soleil, de plomb. "Ce matin-là, je me souviens que je suis l’avant-dernier à être parti au boulot", raconte Ahounta Djimdoumalbaye à "La Libre". C’est qu’il a dû terminer de préparer les véhicules tout-terrain, et qu’en outre la fatigue se fait sentir, car l’équipe est arrivée la veille tard le soir, pour camper dans ce milieu hostile. Des dunes à perte de vue et la chaleur quasi inhumaine : nous sommes au Sahel, dans le désert du Djourab, au Nord du Tchad.
Et le jeune Tchadien, âgé de trente ans, a déjà trois rudes semaines de mission derrière lui, à affronter chaleur, vie sous tente, et même tempêtes de sable, qui forcent "à faire la cuisine dans la voiture !" Et sur ses épaules, il y a aussi une lourde pression. L’équipe n’a plus qu’un ou deux jours pour trouver ce qu’elle était venue chercher : un fossile d’hominidé. Sa mission : trouver les origines de l’homme et son environnement. "Et le chef de mission, Michel Brunet, me disait : si quelqu’un doit trouver quelque chose, ce sera toi. Car jusqu’ici, c’était moi qui trouvais toujours les belles pièces…", continue Ahounta Djimdoumalbaye. Mais on était déjà au 19e jour, et on ne trouvait rien ! Donc, oui, j’avais la pression !" Mais la petite équipe de quatre paléontologues continue à y croire. Même si la plupart des chercheurs du monde entier préfèrent fouiller à 2500 km plus à l’Est, dans la vallée du Rift, rendue célèbre par Yves Coppens et sa théorie de l’East Side Story, qui affirme que c’est là qu’est apparu le premier humain. La mission franco-tchadienne, elle, est persuadée que le désert tchadien est le bon endroit. Les années précédentes, d’autres fossiles y ont été découverts, dont un Australopithèque.
"De loin, j’ai vu ce truc qui brillait"
Ces derniers jours, l’équipe a donc joué les nomades dans le désert, s’arrêtant lorsque des petites taches noires affleurent sur le sable. "Quand le vent creuse les dunes, et dégage le sable, les fossiles apparaissent", précise Ahounta Djimdoumalbaye, à présent chercheur à l’Université de Liège. Ce matin-là, dans la région de Toros-Menalla, il commence donc sa prospection, sous le soleil, une fois de plus. "Et, de loin, j’ai vu ce truc qui brillait. Cette pièce m’a attiré. C’était noirâtre et cela reflétait les rayons du soleil. J’ai vu d’abord les deux rangées de dents qui affleuraient, dans cette croûte noire, en fait une concrétion faite de silice et de fer", se rappelle Ahounta Djimdoumalbaye. A distance, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une mâchoire d’un suidé, un petit cochon, car les dents y ressemblent." Mais il s’approche, s’accroupit, et se met à creuser. "J’ai gratté autour, pour voir, pour faire sortir cette boule noire. Je l’ai retournée, et je n’ai plus vu uniquement les dents, mais aussi les orbites et la fosse nasale. Et là, je me suis dit : ce n’est pas ce que je pensais, ce n’est pas un cochon ! C’est une belle pièce ! Et je vous garantis que j’ai senti que mes battements cardiaques s’accéléraient !"
Soulagement, joie, fierté
Tout seul, dans le sable, il reste quinze minutes en "face à face" avec la "tête" que l'on baptisera plus tard Toumaï. Ses camarades, trop éloignés, ne répondent pas à ses signes. Les émotions envahissent le chercheur. "D’abord, le soulagement, vu la pression que j’avais. Je me suis dit : ouf, j’ai relevé le défi !" Puis, quand ses camarades arrivent, la joie : "On travaille dans des conditions extrêmes, et c’était la récompense de tout ce qu’on vit !" Pourtant, l’équipe ne pense pas encore avoir affaire à un hominidé. "Cela pouvait être aussi un grand singe. C’aurait été aussi extraordinaire, car cela aurait été le premier fossile de paléo-gorille découvert ! Quand les autres sont arrivés, j’ai dit ‘ça y est, nous avons trouvé ce que nous cherchions’" !" Et puis enfin la fierté, lorsque le Pr Michel Brunet déterminera un an plus tard qu’il s’agit bien du premier hominidé, datant d’il y a sept millions d’années. "Ce jour-là, j’ai touché le crâne de notre ancêtre, qui a vécu des milliers de générations ( NdlR : 350 000) avant nous. Et j’ai eu la chance d’être le premier."