La Réserve mondiale de semences inondée en Arctique: Mais à quoi sert-elle? Pourquoi cette inondation?
Publié le 05-06-2017 à 09h40 - Mis à jour le 05-06-2017 à 10h30
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La Réserve mondiale de semences inaugurée en 2008, parfois appelée "Arche de Noé végétale", abrite près de 900 000 semences stockées à -18 degrés et descend à plus de 100 mètres sous la montagne dans l’archipel arctique du Svalbard (Norvège). Fin mai, la fonte de glace a entraîné une inondation dans le tunnel d’entrée.
Cette réserve doit permettre à un pays de retrouver des semences en cas de perte des variétés génétiques dans les banques nationales à cause d’un accident, d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle.
Pourquoi la fonte de l'Arctique s'accélère? Explications en 8 questions
Le réchauffement climatique n’est pas un "canular" comme le pense le président américain Donald Trump. La glace entourant la Réserve mondiale de semences a commencé à fondre et a inondé le tunnel d’entrée. L’Arctique est la région du monde la plus touchée par le réchauffement. Il y a une dizaine de jours, une partie du pergélisol de l’archipel du Svalbard en Norvège a fondu, entraînant une inondation dans le tunnel d’entrée de la Réserve mondiale de semences. L’eau a rapidement gelé et aucune graine n’a été endommagée mais des travaux sont menés pour assurer l’étanchéité de la chambre forte. Le lieu d’implantation, au-delà du cercle polaire arctique, à l’abri de l’humidité et assurant des températures très froides, semblait idéal pour la conservation des espèces végétales mais c’était sans compter sur l’accélération du réchauffement climatique dans l’océan Arctique.
Explications en huit questions avec Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et co-présidente du groupe de travail sur les bases physiques du climat du Giec.
1. Pourquoi les glaces fondent-elles au Svalbard ?
Depuis le mois de septembre 2016, des températures extrêmement douces ont été enregistrées, "parfois jusqu’à 10 ou 15 degrés au-dessus des normales" constate Valérie Masson-Delmotte. Habituellement négatives en automne-hiver, "les températures ont été positives pour la première fois, c’est exceptionnel". Depuis les années 2000, la paléoclimatologue observe un réchauffement global dans la région arctique : "Ce qui est impressionnant, c’est l’absence de conditions très froides cumulées. C’est probablement ce qui a conduit à une débâcle du pergélisol, le sol gelé autour de la Réserve."
2. A quoi est due la fonte du pergélisol ?
"Au réchauffement, mais des phénomènes météo n’ont pas arrangé la tendance. L’Arctique est la région du monde qui se réchauffe le plus vite, explique Valérie Masson-Delmotte, c’est 2 à 3 fois plus rapide que pour le reste de la planète." Une vague de chaleur et des tempêtes venues de l’Atlantique Nord "ont apporté de l’air doux et humide. La juxtaposition de ces événements a conduit à un recul spectaculaire de la banquise".
3. Quelle est la surface de la banquise aujourd’hui ?
"Si on regarde l’évolution de la banquise arctique en 2017, on a ce printemps le niveau le plus bas jamais enregistré de manière continue", constate la spécialiste du climat. L’épaisseur de la banquise, de l’eau de mer salée qui gèle à -1,8 °C, varie de quelques dizaines de centimètres à plusieurs mètres en Arctique. "Elle se forme à l’automne, s’étend en hiver pendant la nuit polaire, puis au printemps elle se réduit avec l’ensoleillement qui revient", mais le réchauffement climatique crée des difficultés pour la reformation de la glace. "Quand on a un océan plus chaud et de l’air plus chaud, la banquise perd en volume et devient plus fine et donc plus susceptible d’être touchée par les phénomènes météorologiques", explique la scientifique. Donc, plus la banquise est fine, plus elle fond vite, c’est en partie pourquoi tout s’accélère.

4. Pourquoi l’Arctique est le lieu le plus touché ?
"Le recul de la banquise fait partie de ce que les scientifiques appellent des rétroactions. Il y a un effet initial puis le système amplifie cet effet", ajoute Valérie Masson-Delmotte. Les émissions de gaz à effet de serre dégagent de la chaleur dans "le système climatique", entraînant un réchauffement des océans qui eux-mêmes causent une fonte des glaces et un réchauffement de l’air. "La chaleur supplémentaire se trouve surtout dans les océans. On perd ainsi l’effet miroir de la banquise à cause du remplacement d’une surface brillante qui réfléchit le rayonnement solaire par une eau de mer sombre qui absorbe les rayons et amplifie le réchauffement." L’un des facteurs qui ont mené au choix du Svalbard pour implanter la Réserve mondiale de semences est l’air sec et froid, mais ces conditions changent. La quantité de vapeur d’eau dépend de la température, explique la climatologue. Plus l’air est chaud, plus il peut transporter d’humidité. "Cette vapeur a un effet de serre" et contribue à la formation de certains nuages qui peuvent également avoir "un effet réchauffant".
5. Les glaciers continentaux subissent-ils le même sort ?
Pour Valérie Masson-Delmotte, le même phénomène de fonte se produit avec les surfaces enneigées et les glaciers des continents. "Certaines surfaces couvertes de neige au nord de l’Amérique ou de l’Eurasie se réduisent, on perd là aussi l’effet miroir de la neige et c’est un facteur d’amplification du réchauffement. On observe aussi ce phénomène dans les changements climatiques passés. Cette amplitude de réchauffement va devenir plus forte à l’avenir."
6. Faut-il déplacer la Réserve mondiale de graines ?
"Il faudrait demander à ceux qui l’ont construite", répond la spécialiste, mais "l’idée d’entrer dans un territoire inconnu peut effrayer. Les glaciers des montagnes, des côtes, de l’Arctique et du Groenland fondent. Utiliser les régions polaires et leurs conditions très froides pour préserver ces semences pose une vraie question. Il y a également un risque de perdre la mémoire du climat". Les glaciers recèlent de précieuses informations sur l’évolution du climat à l’échelle des temps géologiques. Récemment, "des collègues glaciologues ont cherché un endroit pour stocker de manière sûre sur le très long terme des carottes de glaciers, raconte Valérie Masson-Delmotte. Ils les ont placées au centre de l’Antarctique."
7. La fonte des glaces entraîne-t-elle une montée des eaux ?
"Pas pour la banquise, explique la climatologue. C’est comme s’il y avait un glaçon dans un verre d’eau, fondu ou pas, cela ne change pas le niveau de l’eau." En revanche, deux autres éléments majeurs entraînent une montée du niveau des eaux : "L’eau de mer gonfle quand elle se réchauffe, comme le mercure dans un thermomètre, et les glaces des continents en fondant rejoignent les océans." Si le niveau a augmenté d’environ 20 cm au XXe siècle, il monte aujourd’hui d’environ 3 millimètres par an. "Il y a une accélération, observe la scientifique. Selon nos projections, si on parvient à stabiliser le processus de réchauffement climatique, on devrait assister à une montée des eaux de 40 cm au XXIe siècle. Mais si on dépasse les 2 degrés de réchauffement, on s’attend à une montée du niveau de la mer plus importante encore d’ici 2100 et qui se poursuivrait pendant plusieurs siècles. Si l’Antarctique est instable, cela pourrait faire une contribution de 50 cm à 1 mètre d’ici 2100 et plusieurs mètres ensuite."

8. Quelles conséquences pour les êtres humains ?
"C’est un enjeu majeur pour tous les littoraux et les lieux de faible altitude particulièrement exposés aux risques de submersion, explique Valérie Masson-Delmotte. Toutes les régions du monde n’ont pas les mêmes risques. Cela dépendra des caractéristiques de l’océan local et de savoir si c’est l’Antarctique ou le Groenland qui contribuera le plus à cette montée."