Le cerf offert par le maréchal Tito à la princesse Liliane, les invités du Roi Baudouin... Voici les coulisses des Chasses de la Couronne
Publié le 12-08-2017 à 08h37 - Mis à jour le 12-08-2017 à 10h03
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Le contexte: Un appel à projets est lancé jusqu’au 18 août par la Wallonie, à la suite de l'abandon du projet Nassonia. Pour rappel, Eric Domb (Pairi Daiza) souhaitait développer à Nassogne un sanctuaire de la biodiversité. A présent, le ministre de la Nature René Collin veut expérimenter un mode de gestion “différenciée” dans la forêt domaniale de Saint-Michel-Freyr . Cette partie des Chasses de la Couronne est gérée par le Département de la nature et des forêts (DNF) de Wallonie . “Cette forêt est déjà gérée un peu de manière ‘différenciée’, convient-on au cabinet Collin. Mais l’expérimentation d’un nouveau mode de gestion de la forêt vise d’une part à l’orienter encore plus sur la conservation de la nature et, d’autre part, sur l’opportunité d’utiliser ce projet comme levier de développement touristique raisonné.” En effet, un des buts est de sensibiliser le public aux défis liés au changement climatique et à la préservation et la restauration de la biodiversité. “C’est un joyau qu’il faut mettre en valeur pour tous un chacun mais dans un tourisme ‘diffus’. Or ce n’est pas le métier ‘premier’ du DNF et c’est justement le but de cet appel à projet.” Le cabinet refuse d’indiquer s’il y a déjà des candidats à l’appel à projets et qui ils sont. Sélection : au plus tard le 30 septembre.
>>> Découvrez l'interview exclusive d'Eric Domb, candidat au "projet Nassonia bis"
Trois maisons en grosses pierres du pays au milieu des hêtres, des chênes et des sapins. Le hameau de Mochamps constitue la seule trace d’urbanisation dans le vert foncé du massif forestier de Saint-Michel-Freyr, en plein Luxembourg belge.
Pas très loin de là, inaccessible aux regards, il y a aussi l’ancien pavillon de chasse du roi Baudouin. C’est là que le Souverain offrait à dîner à ceux qui participaient aux “chasses de la Couronne”. S’y croisaient l’aristocratie, des personnalités européennes ou même des célébrités belges. “Cette invitation royale, c’était une façon d’honorer quelqu’un. Eddy Merckx est ainsi venu, alors qu’il n’est pas chasseur, raconte à présent Claude Charrue, retraité du Département de la nature et des forêts (DNF), arrivé ici en 1977. Moi-même, je n’ai vu qu’une fois le Roi à une chasse. Il était venu saluer ses invités au repas. Le roi Baudouin n’était pas contre la chasse. Mais cela ne l’intéressait pas tellement et il a réalisé qu’il y avait moyen de faire profiter toute la population.”
Depuis 1846, les souverains belges avaient reçu le droit de l’Etat, propriétaire, de chasser dans cette “forêt domaniale”. Mais en 1982, Baudouin a décidé de rétrocéder à l'Etat ses droits sur ces chasses de la Couronne, à trois conditions : gérer le grand gibier de façon exemplaire, développer la recherche scientifique sur le gibier, et avoir un objectif pédagogique envers le public.
Depuis, la Région wallonne s’efforce de suivre ces préceptes royaux. Et c’est d’ailleurs une partie de cette zone qu’elle a choisie pour son appel à projet qui se clôture ce 18 août. La Wallonie veut réaliser ici une “vitrine forestière”, qui doit mêler biodiversité et tourisme, et qui est inspirée du projet Nassonia d’Eric Domb (plus d'infos ci-dessous).

Depuis 1830, chacun des souverains belges a eu son approche de la chasse et de la gestion des chasses de la Couronne. Petit passage en revue.
Léopold Ier venait bien chasser à Saint-Michel-Freyr et sur les autres chasses de la Couronne ( entre autres Hertogenwald, dans les Cantons de l'Est). Mais seulement deux ou trois jours par an. Car c'était un sacré déplacement depuis Bruxelles à l'époque ! Le reste du temps, Saint-Michel-Freyr était le royaume des braconniers. En clair, les habitants du village venaient y chasser, pour alimenter leur repas. Tout le monde avait faim... C'était donc un moyen de survie. Résultat, à l'époque, le gros gibier se faisait rare. Cela dit, les peines n'étaient pas aussi lourdes qu'au Moyen-Age, où braconner revenait alors à intenter à la propriété, même quasi à la personne du seigneur. Ici, les braconniers s'en sortaient avec des amendes, au pire avec quelques jours de prison.
Léopold II pratiquait lui aussi la chasse. Les chasses, à la fin du XIX siècle se faisait à cor et à cri (chiens, rabatteurs, etc...). Il s'agissait ici de chasses "diplomatiques", où le Roi invitait des personnalités de prestige. Tous les Etats européens possédaient une zone de chasse similaire, à cet effet. La règle d'or : Il fallait voir et tirer du gibier. Et plus le personnage était important, plus l'animal tiré devait être important... Tous les trucs étaient donc bons pour que le grand personnage se retrouve nez-à-nez avec le cerf ou le sanglier (appâts)... Une petite pomme, et hop !
Albert Ier n'était lui pas du tout intéressé par la chasse. Il a donc conclu une convention avec une société qui regroupait des représentants des provinces et des communes, pour mettre en location ces chasses de la Couronne. Son exigence était que les revenus qui en étaient tirés ne reviennent ni à lui ni à l'Etat, mais à l'entretien de la forêt. Cette situation a perduré jusqu'après la seconde guerre mondiale. Il s'agissait en quelque sort d'un conseil de gestion avant l'heure...
Aire de vision dans la forêt de Saint-Michel-Freyr
Léopold III n'était pas non plus intéressé à chasser. Mais son épouse Liliane de Réthy, était une véritable passionnée !
Elle a d'ailleurs décidé de casser la convention et la location de chasse à autrui. Elle a fait venir des gardes-chasses d'Autriche et d'Allemagne, qui ont mis en route des chasses "à l'approche". Plus particulier, elle a même créé un parc près du hameau de Mochamps pour son cerf baptisé Tito et ses biches. Ce cerf Tito avait été offert en cadeau officiel au Palais royal belge par le maréchal Tito, fondateur du régime communiste yougoslave. La petite troupe était enfermée, et n'a jamais pu se mêler au reste des cerfs du massif forestier. Heureusement, se disent à présent les gestionnaires du site, car cela aurait été loin d'être idéal au niveau patrimoine génétique.
Autre particularité, Liliane de Réthy construisit une barrière de plus deux mètres à travers la forêt, empêchant les cerfs de de s'égayer dans le massif et suivre leur mouvement naturel de migration pour la reproduction en fonction de la saison. Ces barrières étaient une habitude bien ancrée à l'époque dans le milieu de la chasse. L'idée était d'empêcher le grand giber de se retrouver sur les terres du voisin, qui aurait pu alors les "tirer"...
Selon les témoignages, Baudouin Ier a chassé un peu, et fréquentait dans les années 60, les battues sur les Chasses de la Couronne. Il participe aux approches et affûts à Saint-Michel-Freyr et entre 1962 et 1971, il conclut même six séances par le tir d'un cerf. A partir des années 70, il ne fait plus qu'accompagner ses invités. Beaucoup d'observateurs témoignent de son souci d'abréger les souffrances des animaux. En 1982, il cède ses droits de chasse à la Région wallonne.
Depuis, cet accord a toujours été renouvelée entre le Palais royal et les autorités belges. Un conseil de gestion pour la chasse, auquel un représentant du Palais prend part, existe également toujours. Ce qui n'empêche pas Albert et Philippe de venir faire un tour de temps en temps, comme on le voit sur la photo ci-dessous en 1996. Et sur les chasses de la Couronne à Saint-Michel-Freyr, le Palais avalise encore toujours la liste d'invités. Il arrive même qu'il en envoie lui-même, toujours des chasseurs habitués. Mais la plupart des chasseurs qui prennent part actuellement aux chasses à Saint-Michel-Freyr sont les meilleurs lauréats de l'examen officiel de chasse.
