Comment Monsanto soigne sa communication
Publié le 15-09-2017 à 16h40
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La réputation de Monsanto, le géant des pesticides et des OGM, est au plus bas dans l'opinion publique. Face aux interdictions d'utilisation du glyphosate, la firme attaque en justice. Et pour soigner son image, elle engagerait des trolls pour inonder les réseaux sociaux.
Les 2 et 3 juin 2017, une enquête du “Monde” révélait la campagne de dénigrement, menaces et pressions de la part de Monsanto, le géant des pesticides, envers le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), une agence des Nations Unies. Le 20 mars 2015, le CIRC a déclaré le glyphosate, principe actif de l’herbicide Round’Up de Monsanto, génotoxique, cancérogène pour l’animal et cancérogène probable pour l’homme. “Nous avons déjà été attaqués par le passé, nous avons déjà subi des campagnes de dénigrement, mais nous sommes cette fois la cible d’une campagne orchestrée, d’une ampleur et d’une durée inédites”, a expliqué Christopher Wild, directeur du CIRC, au “Monde”.
Le glyphosate, herbicide le plus vendu au monde et la plupart du temps en vente liée avec des semences génétiquement modifiées qui le tolèrent, est au centre de plusieurs polémiques. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a conclu de son côté que le glyphosate ne représentait pas de danger.
Face à ces doutes, des ONG telles que Greenpeace ou Friends of the Earth appellent à l'interdiction du glyphosate, les militants anti-OGM multiplient les actions et des voix s’élèvent parmi la société civile pour encourager les responsables politiques à appliquer le principe de précaution. Une initiative citoyenne, pétition qui a recueilli plus d’un million de signatures, pour l’interdiction du glyphosate en Europe a été enregistrée par la Commission européenne au mois de janvier 2017.
Attaques en justice et campagnes de désinformation
En Belgique, les trois régions ont récemment interdit l’utilisation du glyphosate pour les particuliers. Face à cette levée de boucliers, Monsanto riposte. Fin août, Phytofar, l’association professionnelle réunissant les principaux groupes du secteur phytopharmaceutique actifs en Belgique, dont Monsanto et Bayer, a déposé un recours au Conseil d’État contre la réglementation wallonne après avoir attaqué la Région bruxelloise. Et dans le cadre des discussions au sein des Institutions européennes qui ont mené au renouvellement de la licence de Monsanto pour une durée provisoire de 18 mois au lieu des dix ans, l’association Phytofar dénonce une "propagande émotionnelle électoraliste".
Il y a une dizaine de jours, l’industrie chimique américaine a demandé à la France de reconsidérer son intention de s’opposer à l’utilisation dans l’Union européenne du glyphosate lors du vote qui devrait avoir lieu début octobre. "L’innocuité du glyphosate est avérée. Les organismes de réglementation du monde entier, et notamment européens comme l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et l’Agence européenne de la sécurité alimentaire (EFSA), concluent que le glyphosate n’est pas cancérogène. Nous exhortons la France à reconsidérer sa décision et à prendre en considération les conclusions de ces organisations", a déclaré Anne Kolton, vice-présidente en charge de la communication d’American Chemistry Council, consortium américain d’entreprises du secteur de la chimie.
"La politique publique doit être basée sur des faits scientifiques avérés, et non sur des déclarations incendiaires", poursuit l’ACC, pour lequel la position de la France "va à l’encontre des conclusions de nombreuses agences gouvernementales internationales qui attestent unanimement que le glyphosate peut être utilisé en toute sécurité".
Monsanto accuse le Parlement européen de populisme
Un argument qui rappelle les propos des dirigeants de Monsanto à l’attention du Parlement européen dans une lettre reçue ce mardi, en réponse à l’invitation à une audition sur les "Monsanto Papers et le glyphosate". "Nous ne pensons pas que la discussion telle qu’elle est prévue soit le forum approprié pour parler de ces sujets", indiquent-ils dans un courrier adressé à la conférence des présidents. "Avec tout notre respect, ce n’est pas le rôle du Parlement européen de questionner la crédibilité des publications des Agences européennes indépendantes ou de celles de pays tiers", écrivent les dirigeants de Monsanto, qui disent aussi avoir "observé la politisation croissante de la procédure européenne d’autorisation du glyphosate". "Une procédure qui devrait être strictement scientifique, mais qui a été par bien des aspects prise en otage par du populisme", notent-ils.
Des trolls inondent les réseaux sociaux
Au-delà du lobbying auprès des institutions et des actions de communication, Monsanto mènerait aussi des campagnes de désinformation et engagerait des trolls pour poster des commentaires positifs sous les articles traitant de la firme et investir les réseaux sociaux. Cette information, publiée par "Marianne", provient d’un document déclassifié de la justice américaine, la cour fédérale de San Francisco, sur le site "Right to know" ("droit de savoir"). Dans le cadre de ce procès, les "Monsanto papers", des victimes de cancer attaquent le géant des pesticides, qui aurait dissimulé la dangerosité de son herbicide. D’après le document publié sur le site "Right to know", des entreprises sollicitées par la firme "emploient des individus en apparence sans connexion avec l’industrie pour laisser des commentaires positifs en marge des articles en ligne, des posts sur Facebook, pour défendre Monsanto, ses produits chimiques et les OGM". Les commentaires de ces shills ou trolls se fonderaient sur des "recherches pseudo-scientifiques commandées par la compagnie elle-même". Cette action de désinformation ferait partie du programme "Let nothing go", "ne rien laisser passer", en référence aux critiques.
Une argumentation agressive
Sur les réseaux sociaux et les forums, rares sont les entreprises à susciter une telle polémique et une telle défiance. Au fil des discussions, théorie du complot et conspirations émergent rapidement. Sur Twitter et Reddit, les hashtags "Monsatan" répondent aux posts de la compagnie vantant l’agriculture durable. Des témoignages d’internautes "coincés" par "les shills de Monsanto" fleurissent aussi sur la toile. "Ils sont très bien organisés, travaillent en groupe et recherchent des mots clés sur nos posts. Ils se upvotent entre eux et downvotent en masse tout post qui parle de la toxicité des produits de leur client, des scandales judiciaires dont il est mêlé depuis des années etc... Ils répondent souvent de façon agressive en accusant l’OP de "haïr la science" d’être un "conspiracytard", que la "loi et la science le contredisent, etc.. " écrit Pestkontrol qui précise que "certains" contestent "une décision de justice défavorable à une multinationale, de façon répétitive et agressive, jour après jour, sur tous les subreddits qui en parlent, en utilisant les mêmes techniques d’argumentaire".
3 questions à Andrea Catellani, professeur au pôle de recherche en communication de l'UCL
1 Pour répondre à sa mauvaise réputation, Monsanto tente-t-elle de "verdir" son image ?
Je ne peux pas émettre de jugement mais je constate que l’entreprise développe ce type d’argumentation : grâce à nos recherches, nous sommes engagés pour améliorer la qualité de vie. Ils parlent des agriculteurs et humanisent leur communication. On retrouve ce type de communication chez plusieurs entreprises. Aujourd’hui, il y a une norme sociale qui implique une responsabilité au-delà du fait de générer des profits et de nombreuses entreprises se positionnent ainsi. Monsanto est devenu un emblème, un anti-héros, comme cela a été le cas de MacDonald et de certaines entreprises pétrolièresau niveau de l’opinion publique. Le discours de Monsanto me rappelle, sans faire d’amalgame, un argument que l’industrie nucléaire utilise : le nucléaire est nécessaire pour répondre aux exigences de réduction des gaz à effet de serre. Des producteurs d’OGM ou de substances chimiques expliquent par conséquent qu’ils répondent aux besoins en alimentation d’une population croissante. Cependant, certaines entreprises décriées continuent à exister malgré la mauvaise réputation et cherchent à agir au niveau des décideurs.
2 Phytofar, l’association professionnelle réunissant les principaux groupes du secteur phytopharmaceutique en Belgique, dont Monsanto, affirme que "le processus scientifique est complètement miné par l’émoi et les manœuvres électoralistes" dans le cadre du renouvellement de la licence en Europe. Se positionner en garant de la science est une stratégie ?
Dans le cadre de Monsanto, il y a une bataille avec des avis scientifiques divergents. Comme d’autres firmes, ils communiquent en faisant appel à la raison face à l’émotion. Cela me rappelle le cas de l’industrie du tabac en termes de communication. Il y a eu une longue période où les résultats scientifiques n’étaient pas certains à 100 % du danger pour la santé, et j’ai observé les mêmes mécanismes dans l’opinion publique et de la part des entreprises.
3 Monsanto engagerait des sociétés chargées de mener des campagnes de trolling sur les réseaux sociaux et les médias. Cette technique est-elle courante ?
Ces pratiques existent malheureusement. Des agences sont spécialisées dans ce type d’activité et à titre individuel, des personnalités paient des agences de relations publiques pour modifier leur profil Wikipédia. Cela existe cependant depuis très longtemps, au XIXe siècle, des gens envoyaient des commentaires positifs sur leur spectacle pour donner l’impression qu’on en parlait beaucoup. Aujourd’hui, avec les algorithmes et les bots (logiciels automatisés de conversation, NdlR), le problème est amplifié.