Evaluation européenne du glyphosate: Des copiés-collés d'un rapport de Monsanto qui posent question (DOSSIER)
Publié le 14-09-2017 à 00h01 - Mis à jour le 21-09-2017 à 10h00
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Le glyphosate, substance active du Round’up, est au cœur d’une controverse internationale. De nombreuses pages de l’évaluation européenne sont reprises du rapport de Monsanto. Simple omission de la source ou conflit d’intérêts ?
Le glyphosate, substance active du Round’up, pesticide de Monsanto le plus utilisé au monde, est au cœur d’une controverse d’ampleur internationale depuis plus de deux ans. En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé, l’a classé génotoxique, cancérogène pour l’animal et cancérogène probable pour l’homme. Quelques mois plus tard, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) puis l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) parviennent à une conclusion opposée : “Il est improbable que le glyphosate soit génotoxique (c’est-à-dire qu’il endommage l’ADN) ou qu’il constitue une menace cancérogène pour l’homme.” Depuis, la bataille d’experts fait rage à la veille du renouvellement de la licence de commercialisation de Monsanto pour 10 ans au sein de l’Union européenne. Le vote sur l’autorisation de cet herbicide pourrait avoir lieu le 5 ou 6 octobre au sein d’un comité d’experts.
Suspicion de conflit d’intérêts
Plusieurs polémiques alimentent le débat autour du glyphosate. Des ONG comme Global 2000 ou PAN Europe reprochent aux auteurs de l’évaluation de l’EFSA d’avoir pris en compte et donné de l’importance aux études non publiées commandées par l’industrie phytopharmaceutique, aux côtés des études révisées par des pairs et publiées dans des revues scientifiques Le 1er juin, quatre eurodéputés ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour contraindre l’EFSA à rendre publiques ces données, protégées par le “secret commercial”. Ces études, que le CIRC n’a pas considérées dans sa propre évaluation, pourraient en partie expliquer les conclusions différentes des institutions. “Il faut impérativement modifier le règlement intérieur des agences européennes pour que celles-ci n’utilisent plus que les études appartenant au domaine public, comme le fait le CIRC”, a déclaré Michèle Rivasi, députée européenne.
Au manque de consensus scientifique s’ajoute une suspicion de conflit d’intérêts révélée dans le cadre des “Monsanto Papers”, une série de documents déclassifiés par la justice américaine. Des experts ayant travaillé à l’élaboration de l’avis de l’EFSA auraient été influencés par Monsanto, le géant de l’industrie agro-alimentaire. Au mois de juin, l’agence a annoncé le renforcement de sa politique d’indépendance : “Le conseil d’administration [a] approuvé un certain nombre de nouvelles mesures pour renforcer encore l’impartialité des travaux et préserver l’Autorité contre toute influence indue.”
D’étranges similitudes
De nombreux spécialistes de cette affaire tentent de faire la lumière sur certains aspects de l’évaluation de l’EFSA. Dans ce cadre, notre attention a été attirée sur le “Final Addendum”, le rapport fourni par l’Allemagne à l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Conformément à la procédure sur les pesticides, un Etat membre évalue un grand nombre d’informations scientifiques, les analysent puis les soumettent à consultation publique et enfin un groupe d’experts de l’EFSA apporte des observations et sa conclusion. Or, dans le rapport soumis par le BFR, l’institut fédéral allemand d’évaluation des risques, des dizaines de pages sont identiques au dossier qu’a constitué Monsanto pour le renouvellement de son autorisation de commercialisation, en mai 2012.
La firme américaine représentée par le Glyphosate Task Force (GTF), un consortium d’entreprises du secteur phytopharmaceutique, a l’obligation de fournir des informations scientifiques pour accompagner sa demande. Il n’est donc pas anormal de retrouver dans les deux rapports des présentations et des résumés identiques d’études sur le glyphosate publiées dans des revues scientifiques. Il est plus curieux de remarquer que certaines analyses et commentaires proviennent du dossier Monsanto sans indication de la provenance. Dans la partie concernant l’évaluation de la cancérogénicité du glyphosate, les commentaires de plusieurs scientifiques sont reproduits dans le dossier du GFT à la suite de la présentation de l’étude de Hardell et Eriksson (1999) dont celle de John Acquavella, employé de Monsanto. Dans le rapport européen, le seul commentaire repris est celui de Monsanto sous le titre “Commentaires additionnels”, donc sans mention de l’auteur. Plusieurs exemples de conclusions du GFT reprises mot pour mot en “commentaires additionnels” se retrouvent dans les sections concernant le caractère génotoxique et reprotoxique du glyphosate qui couvrent une centaine de pages environ sur les 4 300 que comprend le rapport.
Un manque de clarté
En fournissant ce rapport à l’EFSA, le BFR a clairement indiqué qu’en raison du grand nombre d’études toxicologiques fournies par le Glyphosate Task Force, certaines descriptions et évaluations étaient retranscrites et amendées tandis que les commentaires du BFR apparaîtraient en italique et la source indiquée. Dans les sections sur l’évaluation du risque cancérigène, génotoxique ou reprotoxique, certains passages sont mentionnés comme “cités de l’article” mais pas les analyses figurant sous le titre “commentaires additionnels” laissant penser qu’il s’agit de commentaires émanant des auteurs européens du rapport.
Ces nombreuses pages et commentaires repris tels quels seraient-ils dus à un simple manque de clarté ? Un oubli de mentionner la source ?”. L'EFSA a insisté plusieurs fois sur le travail de ses experts : "Chaque étude scientifique est examinée sur sa pertinence et sa fiabilité par les évaluateurs des risques de l'UE en fonction des preuves contenues dans l'étude". Une enquête approfondie devrait permettre de déterminer la quantité de présentations et de commentaires copiés et dans quelle mesure les analyses provenant du Glyphosate Task Force ont eu une incidence sur l’évaluation et la conclusion finales de l’EFSA.
Pour l’Autorité européenne de sécurité des aliments, qui a répondu à nos questions, “toutes les sources sont citées le cas échéant”.