Nobel de physique: Leur découverte “a bouleversé le monde”
- Publié le 03-10-2017 à 18h26
- Mis à jour le 04-10-2017 à 14h55
Le Nobel de physique a été remis aux observateurs des ondes gravitationnelles. Cela valide une prédiction d’Einstein d’il y a un siècle. Et va révolutionner notre capacité à observer l’Univers.
"Un véritable choc.” C’est ainsi que le comité Nobel a qualifié la découverte de trois lauréats du prix Nobel de physique, remis mardi. Un choc pas aussi gigantesque cependant que la méga-collision entre deux trous noirs, il y a 1, 3 milliards d’années et qui a justement pu donner lieu à cette découverte. Les Américains Rainer Weiss, Barry Barish et Kip Thorne, ont été récompensés pour avoir validé une incroyable prédiction d’Einstein faite il y a un siècle : l’existence d’ondes gravitationnelles créées par les trous noirs, une révolution qui propulse notre connaissance de l’univers jusqu’au cœur du Big Bang.
Les ondes gravitationnelles que l’on cherchait à observer sur Terre depuis 1916 sont celles qui sont produites par des phénomènes violents comme la fusion de deux trous noirs ou encore l’explosion d’étoiles massives. Semblables à la déformation d’un filet dans lequel on pose un poids, ces phénomènes extrêmes qui “déforment le tissu de l’espace et du temps”, comme le dit Kip Thorne, ont permis les observations du détecteur Ligo en septembre 2015. Cela a “bouleversé le monde”, selon le comité Nobel. Et cela annonce une nouvelle façon de faire de l’astronomie : “Comme Galilée regardant dans sa lunette, c’est une nouvelle percée en astronomie, une nouvelle façon de voir l’univers”, estiment les lauréats.
La première observation, racontée par Kip Thorne Selon la théorie de la relativité d’Einstein, un couple de trous noirs en orbite l’un autour de l’autre perd de l’énergie, produisant des ondes gravitationnelles. Mais Einstein lui-même doutait qu’on détecterait un jour ces ondes, tant elles sont infimes. Puis, dans les années 1950, un physicien américain, Joseph Weber, s’est mis en tête de les débusquer en construisant les premiers détecteurs. En 1992, Thorne et Weiss ont mis sur pied le leur, le Ligo, qui a permis la preuve d'existence des ondes gravitationnelles.
Comment fonctionne le Ligo
Au départ de cette observation, deux trous noirs, comme nous le racontait Kip Thorne en 2016 : “Il y a 1,3 milliard d’années, quand la vie multicellulaire était en train de se former et se répandre sur Terre, dans une galaxie très très lointaine, deux trous noirs se mouvaient en spirale l’un à côté de l’autre, se rapprochant de plus en plus… Ils rentrèrent en collision, et créèrent une tempête dans le ‘tissu’, la forme, de l’espace et du temps, un peu comme une tempête dans un océan. Brièvement, la forme de l’espace et du temps devint extrêmement déformée, comme s’il y avait eu une vague énorme. Cette tempête relâcha tellement d’énergie, que cette énergie se propagea à travers tout l’Univers, sous forme d’ondulations, de rides, de compressions… De galaxie en galaxie, elle atteignit notre propre galaxie, il y a 50 000 ans, quand nos ancêtres partageaient la Terre avec Néanderthal. Les ondes ont ensuite atteint la Terre et, le 14 septembre 2015, voyagèrent à travers elle. Elles atteignirent Livingston, en Louisiane, et étirèrent et comprimèrent notre détecteur. Ces vagues touchèrent deux miroirs placés à 4 km de distance. On peut repérer de minuscules mouvements dans ces miroirs, de la largeur d’un noyau d’atome ! La vague arriva une seconde plus tard à Washington où un autre détecteur réagit de la même façon. Les instruments, automatisés, envoyèrent un signal et l’ordinateur l’identifia. Quand je me suis réveillé ce matin-là et que j’ai vu le mail, je me suis dit : “c’est trop beau pour être vrai”. Ça a pris quatre mois pour être sûrs qu’il s’agissait bien d’ondes gravitationnelles” Et deux ans de plus pour décrocher le Nobel…
Ecoutez le son des deux trous noirs en pleine collision :
Après Galilée, la révolution de ces nouvelles ondes pour scruter l’Univers
Parvenir à observer pour la première fois des ondes gravitationnelles ? “C’est comparable à ce que Galilée a fait lorsqu’il a tourné pour la première fois son télescope vers le ciel. Il a commencé à voir des choses que personne n’avait pu voir avant lui, et cela a donné naissance à l’astronomie moderne, à l’aide de télescopes, nous assurait le lauréat du prix Nobel de physique Kip Thorne, lors d’une rencontre en octobre 2016. Les ondes gravitationnelles sont des ondes tout à fait différentes des ondes que nous employons actuellement en astronomie. La lumière visible, les rayons X, rayons Gamma ou ondes radios utilisés en astronomie sont tous des ondes électromagnétiques (tous ces rayonnements sont constitués des particules de lumière, les photons, NdlR) , ils ont juste des longueurs d’ondes différentes. Alors que les ondes gravitationnelles sont elles de nature tout à fait différente. Elles sont faites de tout autre chose : une distorsion du tissu de l’espace et du temps. Et Ligo a initié l’observation humaine de l’Univers avec ce tout nouveau type de rayonnement. Plus loin dans ce siècle, les ondes gravitationnelles seront un outil majeur pour observer des aspects de l’Univers qu’on n’avait jamais vus ni compris jusqu’ici. Je m’attends à ce que ces ondes soient un outil majeur, pour l’astronomie et la cosmologie, pas seulement pour ce siècle, mais pour les siècles à venir. Comme les ondes électromagnétiques l’ont fait, après Galilée !”
Vue d'artiste montrant la distorsion dans le tissu de l'espace-temps causée par deux trous noirs et leur masse.
Trous noirs, étoiles à neutrons… Pour Kip Thorne, et pour bien d’autres scientifiques, les ondes gravitationnelles – ou plutôt leurs détecteurs – sont donc un nouvel outil, à côté des télescopes, pour observer de nouveaux phénomènes, que l’on ne pouvait pas observer jusqu’ici. “Comme les trous noirs”, s’enthousiasme le cosmologiste Sébastien Clesse (chargé de recherche FNRS à l’université de Namur et l’UCL), qui travaille sur les observations de Ligo et juge lui aussi cette nouvelle possibilité “révolutionnaire” pour l’astronomie. “Il est impossible de photographier un trou noir avec les télescopes classiques, qui détectent les ondes électromagnétiques (qu’elles soient visibles ou non à l’œil humain) , puisqu’un trou noir n’émet pas de lumière. Au mieux pouvait-on parfois soupçonner leur présence. Mais les ondes gravitationnelles contiennent des informations sur la masse des trous noirs, la manière dont ils tournent, et à présent leur localisation…”
Même chose pour la fusion de deux étoiles à neutrons (étoile résultat de l’effondrement d’une étoile massive). La rumeur court d’ailleurs que la première observation d’une telle fusion pourrait être révélée dans les prochaines semaines.
Nouveaux objets, nouvelles questions Grâce aux détecteurs d’ondes gravitationnelles, les cosmologistes et astronomes espèrent aussi glaner des informations sur les allures de l’Univers juste après sa naissance, au moment du Big Bang. Les propriétés des trous noirs observés par Ligo sont si étonnantes (très massifs, entre autres), qu’il pourrait s’agir de trous noirs primordiaux, c’est-à-dire formés moins d’une milliseconde après le Big Bang. Ces trous noirs pourraient donc ouvrir une fenêtre sur les conditions du début de l’Univers. De plus, le nombre de fusions de trous noirs enregistrés par les détecteurs est une indication du nombre de trous noirs existant dans l’Univers . Une quantité qui pourrait être suffisante pour composer la mystérieuse matière noire, qui représente environ 80 % de la matière de l’Univers et dont on ignore actuellement la nature.
Vue d'artiste de deux trous noirs orbitant l'un autour de l'autre. Ils vont finir par fusionner, produisant des ondes gravitationnelles.
“En fait, résume Sébastien Clesse, on peut observer de nouveaux objets, donc ça suscite de nouvelles questions complètement inattendues ! Ce qui est aussi très excitant, c’est qu’au fil des observations, on a de plus en plus de détails. Et d’autres détecteurs sont attendus dans les prochaines années, encore plus sensibles.”
Détecteur hyperprécis… en Belgique ? Ces détecteurs mesurent très précisément la distance entre deux miroirs et sont capables de percevoir la moindre vibration et l’infime distorsion de l’espace, entraînée par des méga collisions à des milliards années-lumière dans l’Univers. Pour le détecteur Ligo – qui travaille à présent avec le Virgo, en Italie –, les miroirs sont placés à 4 km l’un de l’autre. Mais avec le projet européen Lisa, prévu pour 2030, les miroirs seront disposés à des millions de kilomètres l’un de l’autre. Et dans l’espace ! “Lisa pourra percevoir les ondes gravitationnelles de trous noirs encore plus massifs, se réjouit Sébastien Clesse, qui fait parti de l’équipe Lisa, dont la Belgique est un contributeur. Et un détecteur d’ondes gravitationnelles pourrait même peut-être s’installer un jour… en Wallonie. A Plombières plus précisément. Ce village liégeois, au sol très stable et aux ondes sismiques très faibles, fait partie des lieux envisagés pour le projet “Einstein Telescope”, souhaité par un consortium de scientifiques européens. “Ce serait la première fois qu’une expérience de cette taille s’installerait dans notre région."