Sarah Baatout, depuis la station polaire belge en Antarctique: "Ici, je marche sur des plages de glace bleue" (VIDEO)
Publié le 02-01-2018 à 18h11 - Mis à jour le 02-01-2018 à 21h16
La biologiste Sarah Baatout est actuellement en mission à la station polaire belge en Antarctique. Chaque jour, elle s’entretient à distance avec des élèves belges, y compris pendant les vacances. Ted, tu as la première question… Vous vous passez le micro ? Et puis après, c’est Maxime." Nous sommes en pleines vacances de Noël, mais une douzaine d’élèves du collège du Biéreau, à Louvain-la-Neuve, ont quand même poussé les portes de l’école, accompagnés de leurs parents. A l’invitation du directeur Stéphane Vreux, ils ont rendez-vous avec Sarah Baatout, qui se trouve à des milliers de kilomètres de là, en Antarctique, à la station polaire belge princesse Elisabeth.
La chercheuse Sarah Baatout a promis, avant son départ, de discuter chaque jour de son séjour, avec deux classes belges, via Skype. A 10 heures pile, Sarah appelle, sur l’ordinateur du professeur. "Ça fait plaisir de vous retrouver", lance la scientifique, dont le visage s’affiche à présent en grand écran dans la salle "cyber" de l’école. "Voilà, je suis en direct de la station polaire reine Elisabeth", poursuit-elle, coiffée d’un bonnet de Père Noël, depuis son laboratoire. "C’est une station très spéciale, car elle fonctionne avec l’émission zéro, parce qu’on produit toute l’énergie dont on a besoin pour fonctionner grâce aux ressources naturelles. On est très content parce qu’on a beaucoup de vent, à 25 km/h, ce qui fait fonctionner les neuf éoliennes, qui sont à l’extérieur de la station. Donc, on a pas mal d’énergie pour l’instant et on est ravi ! On peut fonctionner normalement, ce qui signifie qu’on peut prendre des douches , laver les légumes…"

"On ne sent pas d’odeur, ici. Tant mieux, les douches sont limitées !"
Aïe, problème technique : le visage de Sarah disparaît de l’écran, ne reste plus que le son. Pas de panique, Sarah appelle le responsable informatique de la station à son secours. Car c’est toute une équipe (27 personnes en tout) avec des compétences diverses qui habite dans la station polaire belge… Voilà Sarah de retour, place aux questions de l’assistance. C’est la découverte et la vie quotidienne dans ce milieu hostile qui fascinent le plus ces enfants de sixième primaire.
"Est-ce que l’Antarctique était comme vous l’imaginiez ?", interroge d’abord Ted. "Oui et non, répond Sarah, qui s’imaginait un voyage plus difficile et un atterrissage sur la glace bien plus violent. On a l’impression que l’atterrissage se faisait sur du coton ! Et puis ce qui m’a surpris, c’est la beauté du paysage. C’est extraordinaire de voir la banquise, ces morceaux de glace détachés, c’est très paisible, il n’y a pas de bruits. Et puis, il y a un vent fort, qui modèle la glace. Par exemple, d’un côté, nous voyons comme une mer de glace, de la glace qui a été gelée, mais dans laquelle il y a des vagues ! Ce sont des mers de glace avec des vagues ! Cette glace bleue est transparente. On marche sur des plages de glace bleue. C’est extraordinaire, avec la luminosité qu’il y a ici… On est en été, donc il y a du soleil 24 heures par jour ! Ici, il faut de très bonnes lunettes de soleil, c’est bien plus fort que lorsqu’on va au ski. Ces paysages sont presque extraterrestres !"
Avec tout ce soleil, fait-il alors vraiment si froid là-bas, se demande pour sa part Loïc ? "Il fait entre moins 6° et moins 10° pour l’instant. Dès que les nuages augmentent, la température diminue très très fort, de 5 à 10 degrés d’un coup, explique Sarah. D ès que le vent commence à souffler, aussi. Et puis il y a la sensation de froid : quand on est à 0 degré, on a moins froid que s’il y a du vent à 20 km/h : là, on a la sensation qu’il fait moins 10° au niveau du corps. Ce qui est aussi frappant, c’est qu’il fait très sec, on a soif tout le temps. Mais on transpire à la fois beaucoup moins qu’en Belgique. On a moins la sensation d’être sale. Cela tombe bien parce qu’on ne peut pas se laver tous les jours ! On doit se limiter au niveau des douches. Ici, on ne sent pas d’odeur. On doit mettre beaucoup plus d’épices quand on mange. Mais l’avantage quand on ne se lave pas, c’est qu’on ne se sent pas l’un l’autre !" Rire général dans l’assistance.
Un chef coq et des repas extraordinaires
Mais les élèves semblent aussi impressionnés : cela ne fait-il donc pas peur d’être dans cette station ? Sarah avoue qu’elle n’était pas très à son aise, avant son départ, ne sachant pas à quoi s’attendre. "Mais plus les semaines avancent ici, plus je me sens à l’aise et vraiment bien. Les gens qui habitent ici avec moi, sont très robustes, très forts - ils travaillent beaucoup à l’extérieur - mais aussi extrêmement sociables et très gentils. Je suis super bien entourée. Et on a aussi un chef coq de restaurant qui nous prépare des repas extraordinaires !"
Visite "virtuelle" du laboratoire
Pour sa part, Sarah Baatout travaille surtout dans son laboratoire, qu’elle fait d’ailleurs visiter "virtuellement" à son jeune public, en tournant sa caméra. "Regardez, ici, c’est le laboratoire médical, à côté de la salle de consultation du médecin - il y a aussi une salle de chirurgie qui est en train d’être construite, c’est ici que je fais les premières analyses de salive, de sang…" "Vous voyez ce qui bouge ici ?", montrant huit tubes remplis d’un liquide foncé, en train d’osciller dans un support. "Ce sont les échantillons de sang : quatre personnes ont donné leur sang ce matin. J’ai plusieurs appareils : l’un pour mesurer la formule sanguine, un incubateur pour conserver le sang à 37°… Je veux voir si le système immunitaire reste efficace ou s’affaiblit au cours du temps" (lire aussi ci-dessous).
C’est déjà la fin de la demi-heure de conversation : d’autres élèves belges attendent l’appel de Sarah juste après. Pour le collège du Biéreau, le rendez-vous suivant est pris avec une autre classe, pour le 8 janvier. Sarah, elle, rentrera en Belgique, une semaine plus tard.
L’impact des conditions extrêmes sur nos défenses
Chercheuse au centre d’étude nucléaire de Mol (SCK-CEN), Sarah Baatout est présente à la station polaire pour (entre autres) étudier le comportement et la santé de l’équipage. Elle prélève plusieurs fois par semaine des échantillons (sang, salive, urine, matières fécales) de vingt membres. Et étudie les variations au fil de la mission. “Je veux voir à quel point le système immunitaire, le système de défense du corps est efficace, et s’il reste efficace au cours du temps. L’Antarctique est un analogue : ce lieu donne une bonne complémentarité par rapport à la recherche spatiale. On sait que les astronautes ont un système immunitaire qui va s’affaiblir au cours de leur mission, lorsqu’ils se trouvent dans des conditions spatiales.” La radiobiologiste essaye donc de déterminer si c’est le cas en Antarctique aussi, car c’est également un lieu de conditions extrêmes : “Température, isolement (dans la station, nous sommes loin de nos familles, nous sommes aussi loin d’une autre station : la plus proche est à 200 km). Nous sommes confinés car, si nous travaillons un peu à l’extérieur, nous restons essentiellement à l’intérieur de la station… C’est ce qui fait que nous sommes dans un environnement qui simule bien les conditions spatiales, dans lesquelles les astronautes peuvent vivre.”
En bref
La “saison” estivale bat son plein à la station polaire belge Princesse Elisabeth. Une vingtaine de scientifiques sont actuellement à l’œuvre dans cette base à vocation de recherche scientifique de l’Antarctique, sous la direction de l’ingénieur Alain Hubert. Construite en 2004 par la Belgique, la station Princesse Elisabeth est dotée d’une architecture capable de résister aux conditions météorologiques extrêmes de l’Antarctique, comme des vents de 250 km/h.