Albert II de Monaco à La Libre : "L’homme pourrait mener le monde à sa perte"
Publié le 07-05-2018 à 06h33 - Mis à jour le 07-05-2018 à 08h03
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Le prince Albert II de Monaco, invité des Grandes Conférences catholiques ce samedi, répond à "La Libre Belgique". Le Prince dénonce les actes humains qui menacent les mers, mais il souligne aussi l’énorme potentiel de celles-ci.
Invité exceptionnel des Grandes Conférences catholiques en compagnie du scientifique Jean-Pascal van Ypersele et du juriste Olivier De Schutter, le prince Albert II de Monaco a exposé - ce samedi au Bozar de Bruxelles - les motivations de son combat pour la protection de l’or bleu. En exclusivité, "La Libre Belgique" s’est entretenue avec le prince souverain monégasque juste après cette conférence à trois, à la fois didactique et passionnante, intitulée "L’air, la mer et la terre : enjeux vitaux du siècle". Précisons toutefois que l’entourage du Prince a insisté pour que notre entretien ne sorte pas du cadre de cet événement. Raison pour laquelle nous n’avons pas abordé d’autres thématiques, telle que la fiscalité en vigueur dans la principauté.
Monseigneur, vous avez fait un état des lieux extrêmement préoccupant concernant les mers et les océans. Comment l’expliquez-vous ?
Les perspectives sont sombres. L’homme pourrait mener le monde à sa perte à cause de son exploitation irresponsable des ressources marines et de la pollution des eaux. A cela s’ajoute le bouleversement des équilibres marins liés au réchauffement climatique : fonte des glaces, ouragans, cyclones, récifs coralliens menacés, acidification des océans…
Percevez-vous cependant des solutions crédibles ?
Il faut mettre en œuvre toutes les pistes de solutions tant qu’il en est encore temps. En complément de l’économie verte, il y a une économie bleue à développer, à découvrir. Ces deux économies doivent fonctionner de la même façon. Miser sur l’économie bleue, cela signifie que nous devons davantage faire appel aux biotechnologies et aux sciences. Les mers et océans ont énormément de ressources et peuvent nous rendre de nombreux services si nous parvenons à les utiliser de manière durable et efficace.
Pourquoi pensez-vous qu’il faille davantage s’appuyer sur la science ?
Tout simplement parce que la science fait des découvertes essentielles, encourageantes et enrichissantes. Nous devons apprendre à écouter ceux qui savent, que ce soient les scientifiques ou des populations locales qui font des observations sur le terrain. Ces gens ont aussi des connaissances et des expériences des milieux marin ou terrestre que nous n’avons pas. Ecoutons-les.
Concrètement, quels potentiels percevez-vous dans la mer ?
Il y en a énormément, à commencer par le potentiel énergétique lié aux marées et aux courants marins. Ces potentialités peuvent aisément compléter l’apport de l’éolien et du solaire. Mais il y en a bien d’autres, comme la fabrication de plastiques à partir d’algues.
Vous avez été le premier chef d’Etat à critiquer Donald Trump lorsqu’il a décidé de retirer les Etats-Unis de l’Accord de Paris. Pensez-vous que le "petit Etat" qu’est Monaco puisse réellement peser sur les géants chinois ou américains ?
On avait sollicité ma réaction, je n’ai pas eu peur de la donner, car cette décision est extrêmement grave. Bien sûr, on écoute davantage les grands pays qui sont fort économiquement, mais je crois que tous les pays ont droit à une voix. C’est le principe même des Nations unies. Concernant le climat, c’est une lutte qui nous concerne tous ! Nous nous sommes engagés dans l’Accord de Paris, dont les négociations ont été très difficiles et longues, tout comme le seront ses mises en œuvre. Mais cet accord est capital pour notre avenir. Dès lors, si un des grands signataires se désengage, c’est un signal extrêmement négatif. Puis, quel exemple pour tous les autres pays, notamment ceux - plus modestes - qui sont en voie de développement. Ce désengagement est grave pour l’Accord climatique, mais aussi pour les Etats-Unis eux-mêmes qui auraient pu jouer un rôle de leadership et d’influence dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Vu votre pouvoir exécutif et législatif, pourriez-vous interdire à Monaco les véhicules à moteurs thermiques pour imposer le 100 % électrique ?
Le parc de véhicules électriques (autos, vélos et camionnettes) a considérablement augmenté ces dernières années dans la principauté. C’est très encourageant et c’est pourquoi je pense que l’interdiction doit vraiment venir en dernier recours. Nous devons soutenir cette économie et nous voulons convaincre tout le monde que l’électrique est une technologie propre, fiable et efficace. C’est pourquoi nous avons installé près de 600 bornes pour recharger les batteries un peu partout à Monaco.
Pour répondre aux demandes d’appartements, Monaco s’étend sur la mer Méditerranée. Le dernier projet gigantesque, soit la construction de 6 hectares de superficie supplémentaires sur la mer, est-il compatible avec votre vision de l’environnement ?
Oui, car nous imposons un cahier des charges extrêmement rigoureux et très précis. Prenons l’exemple des herbiers de posidonie (NdlR : une plante aquatique à fleurs), ils ont été déplacés avec beaucoup de soin grâce à de nouvelles techniques. Sur les parois des caissons enfouis dans la mer, nous avons prévu des enrochements artificiels pour favoriser la colonisation de surfaces par des espèces marines. Le cahier des charges, très lourd, est à votre disposition.
Votre tradition familiale est marquée par la défense de la nature, mais quelles sont les racines de votre engagement personnel ?
Certainement le fait d’avoir baigné dans cette tradition familiale et cette vision extraordinaire qu’avait mon trisaïeul le prince Albert Ier. A son époque déjà, il y a donc 100 ans, il a su appréhender tous les problèmes qui risquaient de surgir, telle que la surpêche ou la nécessité de protéger des lieux emblématiques en mer ou sur terre. Son héritage, tout comme celui de mon père concernant la protection de la Méditerranée, était important pour moi. Fort de cela, mais aussi de mes convictions et de ma curiosité personnelle, j’ai voulu en savoir davantage sur la Méditerranée au bord de laquelle nous vivons. En 1992, j’ai accompagné mon père au premier Sommet de la Terre à Rio, j’ai pu y toucher du doigt la situation particulièrement alarmante. Malheureusement, elle n’a pas progressé depuis.
Depuis 2006, la Fondation prince Albert II de Monaco est dédiée à la protection de l’environnement, mais avec quelles actions concrètes et moyens ?
Je l’ai créé pour compléter les actions déjà entreprises par le gouvernement princier, mais aussi et surtout, parce que j’ai pris conscience qu’il y avait urgence à entreprendre des actions autres et plus personnelles. La Fondation est impliquée dans 420 projets à travers le monde, pour un total d’environ 50 millions d’euros. Ils concernent la défense de la biodiversité, la lutte contre le changement climatique et la gestion de l’eau. Cela comprend notamment le développement d’énergies renouvelables.
On vous surnomme volontiers le "prince vert". Quelle empreinte souhaiteriez-vous laisser de votre règne ?
Ce n’est pas à moi de le dire. Certains le feront sans doute dans quelques années. Je ne suis pas un scientifique, mais je peux sonner l’alarme. Comme d’autres le font aussi. Si je n’étais pas convaincu de l’importance capitale de ce combat, je n’aurais pas fait autant d’actions en faveur de l’environnement et des océans. La situation est tellement grave qu’il me semble crucial que tout le monde se sente concerné par ce combat. Il faut une prise de conscience de chacun, car même si les technologies évoluent, on est encore très loin d’avoir trouvé la solution miracle. Faisons les efforts nécessaires pour améliorer les choses et pour que chacun suive le mouvement.