Et si les pesticides sur les fruits et légumes nous rendaient diabétiques?
Publié le 09-08-2018 à 09h59 - Mis à jour le 23-10-2018 à 15h33
En cas d’ingestion chronique, les résidus de pesticides laissés sur les fruits et légumes peuvent-ils, à terme, avoir un effet délétère sur la santé ? Alors que l’ANSES, agence française de sécurité sanitaire des aliments, estime que les bénéfices nutritionnels apportés par ces aliments sont supérieurs aux risques qui pourraient être liés à la présence de résidus de produits phytosanitaires, une récente étude (*) pourrait bien, dans une certaine mesure, faire revoir la copie.
Publiés dans la revue "Environmental Health Perspectives", les travaux de chercheurs français de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) et de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) ont en effet démontré un lien entre l’ingestion régulière de pesticides chez la souris et l’apparition du diabète.
1. Que sait-on des éventuels dangers de l’ingestion chronique de pesticides ?
Tenant compte du fait que, d’un point de vue éthique, il est compliqué de mener chez l’homme des études sur la consommation de pesticides en lien avec la santé, il faut se pencher sur des données épidémiologiques, dont certaines ont bel et bien suggéré un lien entre l’exposition chronique aux pesticides et le développement de maladies métaboliques, comme l’obésité et ses complications. Ainsi l’étude de la cohorte NutriNet, qui suit les habitudes alimentaires de plus de 50 000 personnes en France, a-t-elle démontré en 2013 et 2017, que les plus gros consommateurs d’aliments bio ont moins de risque de souffrir de surpoids ou d’obésité et de développer un syndrome métabolique (précurseur du diabète de type 2), par rapport aux personnes qui ne consomment pas ou alors beaucoup plus rarement ces aliments produits sans pesticides.
2. Comment s’est déroulée l’étude sur les rongeurs ?
Une année durant, soit l’équivalent d’une trentaine d’années pour des humains, l’équipe Toxicologie intégrative et métabolisme de l’unité Toxalim (Inra) a nourri des souris, les unes avec des aliments contenant, à de faibles doses, un cocktail de six pesticides, couramment pulvérisés notamment sur les pommes, et les autres avec l’équivalent d’aliments bio. "Quantifier les doses auxquelles nous sommes exposés est extrêmement difficile, a expliqué la biologiste Laurence Gamet-Payrastre, chercheuse au laboratoire de toxicologique alimentaire de l’Inra (Toxalim), à Toulouse, et co-auteure de ces travaux. Nous avons choisi d’exposer ces souris, proportionnellement, à des doses définies comme non toxiques, l’équivalent de la dose journalière tolérable pour l’homme. Pour savoir si les contaminants alimentaires peuvent avoir un effet sur la santé, il faut étudier des doses faibles, associées, et à long terme. La durée de notre expérience correspond à 30 années chez l’homme." En procédant de cette façon, les scientifiques ont voulu mimer l’exposition aux substances que subit le consommateur.

3. Qu’ont observé les chercheurs au terme de cette expérience ?
Après six mois, les souris exposées aux pesticides ont montré une augmentation significative de leur poids, en comparaison avec les rongeurs non exposés. Mais cela, uniquement chez les mâles lesquels, au bout d’un an, avaient pris deux fois plus de poids que ceux nourris au bio. Les chercheurs ont en outre observé une autre modification. "Ces souris mâles ont souffert des signes précurseurs du diabète, a fait savoir la chercheuse. Une hyperglycémie à jeun et une accumulation de graisses dans le foie (NdlR : stéatose hépatique ou maladie du foie gras)." Et qu’en est-il des femelles ? Rien de tel. En distinguant les sujets mâles et les sujets femelles, l’étude a en effet montré des perturbations métaboliques différentes. "Les femelles ne présentent pas de prise de poids ou de perturbations de leur glycémie, note encore la scientifique. Mais on relève une modification de l’activité du microbiote intestinal. La capacité de détoxification est différente selon le sexe, elle passerait par le foie chez les mâles et par l’intestin chez les femelles." Que déduire de cette constatation ? "Cette différence assez nette entre les sexes signifie peut-être que les œstrogènes ont un effet protecteur contre les effets des pesticides", explique Laurence Gamet-Payrastre, qui a d’ores et déjà mis en route, avec son équipe, des études sur le rôle joué par les hormones sexuelles, le microbiote intestinal ou encore les risques encourus par une exposition dans la période périnatale.
4. Quelles conclusions chez l’homme peut-on tirer de ces travaux ?
Cette étude est la première à mettre en évidence les effets obésogènes et diabétogènes d’un cocktail de produits phytosanitaires d’usage courant. S’il est prématuré de transposer ces conclusions de la souris à l’homme, "nos résultats sont cohérents et importants pour l’interprétation des données de NutriNet, a estimé la biologiste française. Ils permettent de renforcer la présomption d’un lien de causalité entre l’exposition de la population à des pesticides et le risque de troubles métaboliques. Chez l’homme, des études épidémiologiques montrent qu’une alimentation essentiellement bio diminue le risque de développer un syndrome métabolique. Ce qui laisse penser que l’exposition prolongée aux pesticides a également un effet sur nous. […] Nous ne sommes pas là pour dire de ne plus manger de fruits et légumes, mais pour sensibiliser les consommateurs et surtout les décideurs sur les perturbations liées aux pesticides. Peut-être pourrions-nous en mettre moins dans nos cultures ?"
(*) L’étude menée par les chercheurs de l’Inra à Toulouse s’intègre dans le projet Newpom cofinancé par la région Occitanie, l’Union européenne et le Fonds européen de développement régional. L’objectif est de mettre en parallèle les niveaux d’exposition aux pesticides utilisés dans les pommeraies et l’évaluation de l’impact ultérieur sur la santé du consommateur et des professionnels. Parce qu’elle est très consommatrice de produits phytosanitaires, la culture de la pomme a été choisie comme support pour cette étude.