Jean-Luc Crucke : "La Wallonie doit devenir 'pas carbone'"
Pour Jean-Luc Crucke, l'enjeu du réchauffement climatique doit devenir une priorité pour tous les niveaux de pouvoir, mais également pour tous les citoyens. L'heure n'est pas au défaitisme mais est à l'action, martèle-t-il.
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Publié le 09-12-2018 à 18h45 - Mis à jour le 09-12-2018 à 18h46
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Pour Jean-Luc Crucke, l'enjeu du réchauffement climatique doit devenir une priorité pour tous les niveaux de pouvoir, mais également pour tous les citoyens. L'heure n'est pas au défaitisme mais est à l'action, martèle-t-il.
En charge de l’énergie et du Climat, le ministre wallon Jean-Luc Crucke est en route pour la Pologne où se déroule la 24e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques.
Une participation qui se déroule dans un contexte particulier, une semaine après que plus de 70 000 personnes se sont mobilisées dans les rues de Bruxelles et que Fédéral et Régions ont exposé leurs divergences de vues au grand jour.
Qu'attendez-vous de cette réunion ? En quoi cela peut-il être utile ?
Ce n'est pas la première fois que j'assiste à une COP. Je peux comprendre que ceux qui n'ont pas vécu cette conférence de l'intérieur trouvent que c'est un gros machin et s'interrogent sur son efficacité. Moi, je suis convaincu que c'est utile. Quels que soient les outils de communication modernes, le genre humain n'a encore rien de trouvé de mieux pour résoudre les problèmes que d'avoir des hommes et des femmes qui se confrontent - et qui s'affrontent parfois - en direct.
Le fait de voir son interlocuteur permet souvent de trouver des solutions là où on n'a pas réussi à le faire par d'autres moyens. C'est encore plus vrai pour le monde politique. Beaucoup de dossiers sont préparés par des collaborateurs, les administrations, mais ceux-ci ne peuvent avancer que jusqu'à un certain niveau de conciliation. Pour passer le pas suivant, il faut l'autorité politique. Et pour franchir ce pas, il est important que les gens se voient.
On entre dans la phase d'atterrissage concrète du processus lancé par l'Accord de Paris en 2015. On va devoir reparler d'ambitions à la hausse. Or, selon la Commission européenne la Belgique n'est déjà pas sur la voie pour respecter ses objectifs 2020. Qu'est-ce qui coince ?
En ce qui concerne la Wallonie, les objectifs 2020 seront atteints. C'est moins vrai pour les autres Régions et le Fédéral. Le but n'est pas de dire que l'un est mieux que l'autre, mais c'est un fait.
Ensuite, il y a du positif. Nous avons passé le Pacte énergétique et nous travaillons sur le Plan national Energie-Climat qui sera déposé pour fin de l'année. Il y aura un accord entre entités fédérale et fédérées. Et ce plan sera traduit en actions concrètes au niveau wallon.
Nous sommes de plus en train de finaliser une position commune avec les Pays-Bas et le Luxembourg pour augmenter notre degré d'ambition. Cela s'inscrit dans le cadre de la demande faite à l’UE par une série d’états membres de revoir ses objectifs 2030 à la hausse et de déposer une nouvelle contribution en 2020, comme le prévoit l’Accord de Paris.
Notre pays a pourtant refusé de signer un projet de déclaration commune sur des objectifs à long terme avec les Pays-Bas et le Luxembourg il y quelques semaines... Pourquoi ?
Il y avait des différences interrégionales, parfois substantielles. Mais cela ne sert à rien de passer son temps à pleurer sur le passé, ça ne m'intéresse pas. Cela n'a pas été fait, mais aujourd'hui, on est dans une dynamique où ça va se faire. Un message commun du Benelux au sein de l'Europe aura beaucoup plus de poids qu'individuellement.
« Le rapport du Giec est alarmant, mais je reste convaincu que l'on ne peut pas être alarmiste car cela n'arrange rien. Pleurer ne sert à rien. Les constats appellent une réaction rationnelle. »
La gouvernance du climat est problématique en Belgique. Ne faudrait-il pas recentraliser davantage, voire refédéraliser, cette matière ? Des voix s'élèvent en ce sens, y compris dans votre parti. Y êtes-vous favorable ?
J'y suis tout à fait opposé. Je n'ai pas encore vu une seule fois un dossier géré sur un plan fédéral qui soit plus opportun et plus intéressant pour les Régions, en termes de dynamique. Je suis un régionaliste ouvert, mais pas aveugle. Parler avec la Flandre et Bruxelles, sûrement. Travailler avec la Flandre et Bruxelles, sûrement. Que l'on ait de meilleure coordination pour avoir plus d'impact, ça j'y crois. Mais penser que l'on va faire une marche arrière… Du côté francophone, je sais que, même dans mon parti, certains pensent encore à cela. Mais côté flamand, il n'y en a qu'un, il s'appelle Alexander De Croo.
La proximité est un élément important dans le domaine climatique. Il est clair que le climat n'est pas arrêté par les frontières, mais c'est aussi vrai pour la frontière avec la France. Est-ce que pour cela il faudrait réunir la France et la Belgique dans un seul pays ? Mais non. Le climat n'a plus le temps de débat théorique, il a besoin d'actions et de réactions. Avançons avec la Belgique de demain, pas celle de papa, de grand-papa et des nostalgiques.
Le dernier rapport du Giec dit que nos sociétés doivent opérer une transformation sans précédent dans l'histoire. On a le sentiment que la pièce n'est pas encore tombée chez tout le monde, notamment au niveau politique… Je crois qu'elle tombe de plus en plus, mais pas encore assez. Les nouvelles générations ont totalement intégré cette donne-là. Les plus jeunes et même les seniors. Peut-être est-ce la génération entre les deux qui, aujourd'hui, ne prend pas assez le temps de le voir.
Le rapport du Giec dit qu'il n'est pas encore trop tard mais qu'on ne peut plus attendre. Je refuse le défaitisme. Je suis persuadé que la prise de conscience est intervenue aussi au niveau politique. J'en prends pour exemple la motion interparlementaire votée par tous les Parlements de Belgique et tous les partis. C'est quand même un élément nouveau. Je sais bien que ce ne sont pas les parlements qui vont décider à la place des gouvernements, mais quand un texte comme celui-la existe, le gouvernement qui jouerait à l'aveugle se fera très rapidement rattraper par le Parlement. Cela montre que l'on vise les mêmes objectifs.
Après, l'application dans les Régions peut être différentes parce que les situations sont différentes. La Wallonie et la Flandre, ce n'est pas la même chose. Il y a une concentration d'habitats énorme au Nord, un réseau de gaz quasiment partout. Nous, nous avons un territoire bien plus diffus. Donc, on réfléchit à d'autres solutions.
A la demande de la ministre Marghem, tout un travail a été réalisé pour voir comment on pouvait donner un « signal prix » via une tarification du CO2. Y êtes-vous favorable ?
Je ne suis pas un opposant, mais je crois qu'il y a aujourd'hui deux difficultés à une taxe carbone et elle doivent être résolues.
La première, c'est qu'elle n'a réellement de potentiel que si elle est appliquée sur l'ensemble du territoire européen afin d'éviter une concurrence qui profiterait à certains. C'est un enjeu qui européen. La deuxième, c'est l'adaptabilité sociale. La taxe carbone, c'est un renchérissement de prix. Celui qui m'explique autre chose, c'est qu'il est poète. Aujourd'hui, il faut travailler sur cet élément de prix, mais aussi de l'acceptation en termes de coûts sur la vie : comment le décline-t-on de manière pratique en aidant ceux qui en ont le plus besoin.
"Est-ce que la priorité dans une commune, c'est d'avoir plus de pistes cyclables ou bien d'avoir demain une nouvelle piscine ? Quand on est face à la survie de cette planète, il n'y a pas trente-six réponses, il n'y en a qu'une."
Comment voyez-vous la Wallonie en 2050 ?
Elle doit être non pas « bas carbone », mais « pas carbone ». C'est l'ambition qu'on doit afficher même s'il y aura clairement des étapes transitoires avant cela.
La meilleure manière d'avoir demain un mode de vie respectueux de son environnement, c'est de réconcilier l'économie et l'écologie. Les deux ne sont pas contradictoires, mais complémentaires
Investir aujourd'hui dans ces solutions, c'est aussi créer de l'emploi, de l'activité économique.
On doit aussi réfléchir à ce que l'on établit comme priorité dans le budget. Est-ce que la priorité dans une commune, c'est d'avoir plus de pistes cyclables ou bien d'avoir demain une nouvelle piscine ? Quand on est face à la survie de cette planète, il n'y a pas trente-six réponses, il n'y en a qu'une.
Il y a les limites budgétaires que l'on connaît. Il faut donc se dire que s'il y a des moyens disponibles c'est pour s'adapter c’est-à-dire avoir des logements moins énergivores, des transports plus respectueux, employer son véhicule à bon escient… Il faut que chacun se pose pas tous les jours la question « qu'est-ce que je peux faire ? » et réfléchisse à la manière dont il fonctionne. Et quand on peut prendre son vélo plutôt que sa voiture, il faut le faire.
Pour ma part, ce n'est pas le pessimisme qui me fait avancer, c'est la confiance en ce que l'homme est capable de faire. Regardez ce qui a été fait pour régler le problème du trou dans la couche d'ozone. Il a fallu un certain courage pour faire cela à l'époque. On peut y arriver pour le climat aussi.