La face cachée de la Lune, un nouveau défi de la conquête spatiale
Publié le 03-01-2019 à 18h50 - Mis à jour le 04-01-2019 à 09h50
La sonde chinoise Chang’e-4 s’est posée sur la face cachée de notre satellite. Une mission inédite dans la conquête de l’espace. Qui permet à Pékin de s’affirmer en tant que puissance spatiale.Mission accomplie. Dans la nuit de mercredi à jeudi, à 3 h 26 précisément, la sonde chinoise Chang’e-4 est devenue le premier engin spatial à se poser sur la face cachée de la Lune.
L’événement, qualifié de "majeur dans la conquête spatiale" par les médias d’État chinois, ne représente pas qu’une prouesse technologique, il symbolise la réussite éclatante du programme spatial à marche forcée dans lequel le régime communiste est engagé depuis une vingtaine d’années.
"Techniquement parlant, la principale difficulté résidait dans le fait que l’on se situe du côté de la Lune qui tourne le dos à la Terre en permanence. On ne peut donc pas communiquer directement avec le module et il faut passer par un satellite relais qui permet à la fois de transmettre les ordres que la sonde doit exécuter et de récupérer les données envoyées par celle-ci. C’est ce qu’ont fait les Chinois", explique Véronique Dehant, planétologue à l’Observatoire royal de Belgique et professeur à l’UCLouvain.
La mission Chang’e-4 s’est en effet déroulée en plusieurs étapes. En mai 2018, un satellite baptisé Queqiao a été envoyé en orbite lunaire, se positionnant à quelque 65 000 kilomètres en retrait de celle-ci. Un point d’où il peut rester en contact avec les stations basées sur Terre. Le 7 décembre dernier, Chang’e-4 s’est envolée à son tour depuis la base de lancement de Xichang pour prendre position autour de l’astre sélène cinq jours plus tard, avant de finalement accomplir sa descente de façon autonome vers le cratère Von Karman. Un site connu comme étant le plus ancien et le plus profond cratère lunaire, large de 186 kilomètres.
Notre satellite ne présente jamais qu’une seule facette de son visage aux Terriens en raison du phénomène dit de "rotation synchrone". Le temps que met la Lune pour tourner sur elle-même - sa période de rotation - est en effet identique au temps qui lui est nécessaire pour tourner autour de la Terre - sa période de révolution -, soit un peu plus de 27 jours.
Une face mystérieuse
La face cachée présente une série de caractéristiques géologiques propres, poursuit notre interlocutrice. "On y rencontre peu de ‘mers lunaires’, ces agglomérats de roches volcaniques qui sont très présents sur la partie visible. La surface de la face cachée présente également un relief plus montagneux avec des cratères profonds qui sont la conséquence des impacts avec des météorites ou des planétoïdes au début de la formation du système solaire. La croûte est aussi un peu plus épaisse."
Jusqu’à présent, on ne disposait que d’informations indirectes sur cette partie de la Lune photographiée pour la première fois par la sonde soviétique Luna 3 en 1959. Les analyses et les mesures existantes ont été réalisées grâce à des données collectées à distance à l’aide d’orbiteurs.
D’un point de vue scientifique, cette mission dans une zone inexplorée s’avère donc "sympa et intéressante", juge Véronique Dehant. La sonde et ses équipements devraient permettre de collecter de nouvelles informations d’ordre géologique (sur les éventuelles ressources minières de la Lune notamment) et topographique. Surtout, elle ouvre la porte à la suite du programme lunaire élaboré par Pékin.
La prochaine mission a pour objectif de ramener des échantillons de roches et de sol sur Terre, explique le Pr Dehant. "On sait que plus on observe de cratères, plus l’endroit où ceux-ci se sont produits est ancien. On remonte le temps vers la formation du système solaire. Disposer d’échantillons est très intéressant car leur analyse permet de dater la roche. Cela permettra d’affiner l’échelle de datation, c’est-à-dire la relation qui existe entre le nombre d’impacts et l’âge de la Lune."
Les ambitions de Pékin
L’agence spatiale chinoise a en outre le projet d’installer un télescope spatial fixe sur la face cachée de notre satellite. Un outil complémentaire aux télescopes existants, qui permettra de réaliser des observations qui ne seront pas influencées par les radiations terrestres, ajoute la scientifique. La Chine, qui entend s’affirmer comme une puissance spatiale à l’égal des États-Unis et de la Russie, travaille également sur sa propre station orbitale qui devrait être opérationnelle dans trois ans. Pékin a par ailleurs annoncé son intention de mener à bien un vol habité vers la Lune et une mission d’exploration sur Mars.
Aux yeux de Véronique Dehant, le futur de l’exploration de notre satellite devrait cependant s’inscrire dans le cadre du projet de "village lunaire" porté par l’Agence spatiale européenne. "L’idée est de construire une station permanente sur la Lune dans le cadre d’une coopération internationale sur le mode de l’ISS. Les partenaires internationaux ont manifesté leur intérêt." En attendant, les amateurs d’astronomie se feront plaisir en observant l’éclipse totale qui aura lieu dans la nuit du dimanche 20 au lundi 21 janvier. Le phénomène devrait être visible depuis l’Europe.