Les roses sont-elles dangereuses pour la santé des fleuristes ?
Des chercheurs ont déterminé que l’exposition des fleuristes belges aux pesticides est élevée. Manipuler les fleurs peut avoir des effets sur leur santé et ils ne sont pas conscients de ce risque.
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- Publié le 13-02-2019 à 16h15
- Mis à jour le 13-02-2019 à 18h24
Des chercheurs ont déterminé que l’exposition des fleuristes belges aux pesticides est élevée. Manipuler les fleurs peut avoir des effets sur leur santé, pourtant ils ne sont pas conscients de ce risque.
Pour les fleuristes belges, la Saint-Valentin est, avec la Fête des mères et la Toussaint, la période la plus intense de l’année. En Belgique, les roses sont les fleurs coupées les plus vendues durant cette période, mais aussi durant le reste de l’année, avec les gerberas et les chrysanthèmes. Une période qui ravit les moins endurcis d’entre nous, de jolies fleurs de tous les coloris… Que demander de plus ?
En réalité, c’est, pour les fleuristes, une période “à risque”, passée à manipuler des produits qui le sont tout autant. C’est une conclusion des recherches menées pendant quatre ans par le professeur – à présent honoraire – Bruno Schiffers (Gembloux Agro Bio-Tech) et la doctorante Khaoula Toumi, qui y a consacré sa thèse.
Ils ont étudié la présence de résidus de pesticides sur les fleurs coupées les plus utilisées par les fleuristes belges, le transfert de ces résidus sur les mains de fleuristes, puis leur présence dans les urines, afin de confirmer que les produits phytosanitaires étaient absorbés par le corps. Un thème jusqu’ici peu investigué.
Principal résultat de cette volée de recherches dont la dernière a été publiée en janvier ? “Cette étude a permis de confirmer que les fleuristes belges sont exposés à des quantités notablement élevées de résidus de pesticides dont les propriétés toxicologiques permettent de penser qu’ils pourraient engendrer des effets possibles sur la santé de ces professionnels”, écrivent les scientifiques dans une synthèse de leur travail fournie à “La Libre”.
> Lire les réactions: Les fleurs, dangereuses pour la santé ? Pour l'Union des fleuristes belges, "il y a un acharnement"
Une centaine de résidus de pesticides sur les fleurs et les mains
Plus concrètement, un nombre “très élevé” de substances actives ont été repérées sur les fleurs : 107 et 111 résidus de pesticides ont été respectivement détectés sur les fleurs coupées et sur les mains des fleuristes (dépôts mesurés sur des gants enfilés pour les besoins de l’étude). Septante résidus de pesticides et métabolites ont été identifiés dans leurs urines.
Ces concentrations en résidus sur les fleurs sont “très élevées” : la concentration totale cumulée de tous les résidus peut atteindre respectivement 97 mg/kg et 113 mg/kg pour un seul bouquet de cinq roses et un échantillon de gants portés par un fleuriste. Enfin, la majorité des substances actives détectées présentent une toxicité aiguë et/ou chronique “non négligeable” (irritants, corrosifs, suspectés d’être cancérogènes, d’être toxiques pour la reproduction, etc.).
Allergies aux mains et cancers
“De manière générale, on a trouvé beaucoup de fongicides. Quatre substances dépassaient les seuils autorisés. Par exemple, la clofentézine ,(classée cancérogène possible, NdlR) dépassait de quatre fois les limites acceptables pour l’opérateur. On voit aussi que les roses sont très significativement plus contaminées que les autres espèces”, précise Bruno Schiffers. L’étude constate aussi que l’exposition est plus importante chez les fleuristes que dans la population normale : pour la valeur médiane, huit résidus de pesticides trouvés contre quatre.
Dans les interviews avec les chercheurs, beaucoup se sont plaints d’allergies aux mains (certains ayant même cessé leur activité pour cette raison). Une affection cohérente avec les résidus retrouvés et avec l’habitude des fleuristes de prendre des brassées de végétaux à l’achat et avec la manipulation à main nue des fleurs plusieurs heures par jour, avant et pendant la conception des bouquets.
Certains ont aussi rapporté aux chercheurs des décès par cancer parmi leurs collègues. Mais pour savoir s’il y a davantage de cancers chez les fleuristes que dans le reste de la population – ou pour déterminer exactement l’effet de l’exposition sur leur santé –, il faudrait mener de très larges études épidémiologiques.
Utilisation intense de produits au Kenya
Ce qui explique la variété et la quantité de résidus de pesticides chez les fleuristes belges, précise l’étude, c’est que les fleurs vendues en Belgique sont importées d’un grand nombre de pays étrangers – sans d’ailleurs que le fleuriste connaisse toujours l’origine exacte –, dont la Colombie, l’Équateur, l’Ethiopie ou le Kenya, connu pour être un grand producteur de roses.
“Dans les serres de production que j’ai pu visiter au Kenya dans la région du lac Naivasha, j’ai été assez épouvanté de voir comment ça se passait : on traite aux pesticides d’un côté de la serre, pendant que de l’autre côté, des dames sont en train de cueillir les roses, raconte Bruno Schiffers. Et il y a aussi une utilisation intense de produits agressifs et à large spectre, ce qui conduit même à des résistances des agresseurs, sur les fleurs. Ils traitent aussi fréquemment, car la moindre tache rend la fleur invendable.”

Pour les fleuristes belges, “ce qui pose surtout problème, c’est ce que ces fleurs sont produites à l’étranger où il y a encore moins de contrôle que chez nous et où il n’y a aucun intérêt pour contrôler les pesticides dans les fleurs coupées. Et ce qu’on ne mange pas, tout le monde s’en fiche ! Donc on s’en fiche des résidus de pesticides….”
L’autre problème, selon lui, c’est l’absence de contrôle sur les résidus à l’importation des fleurs en Belgique. “La seule chose qu’on contrôle au niveau sanitaire – c’est l’Afsca qui le fait – à l’aéroport de Bierset, ce sont les organismes nuisibles réglementés. Ce qu’on pourrait faire, c’est un contrôle des résidus de pesticides, notamment pour les substances interdites en Europe pour raison de santé. Cela pourrait se faire au point d’entrée à Bierset, et pour la production belge, aux champs. Mais à ce stade, la réglementation européenne ne prévoit pas de limites maximales en résidus pour les fleurs car ce n’est pas un produit comestible.”
Zone blanche en matière de contrôle
Il y a donc une sorte de zone blanche pour les fleurs et ceux qui les manipulent. Le professeur Schiffers a donc pris contact avec le SPF Santé publique pour lui présenter son étude. Celui-ci “s’est montré ouvert”, et parle à présent de mettre en place des contrôles, voire de fixer des limites de résidus autorisés, et a déjà placé un avertissement aux fleuristes sur son site.
Constatant lors des interviews que les fleuristes étaient ignorants des risques liés aux pesticides et qu’ils ne prennent pas de précautions, Bruno Schiffers avait dans un premier temps pris contact avec l’Union royale des fleuristes belges, afin que leurs membres bénéficient des informations révélées par l’étude. Mais “j’ai eu une fin de non-recevoir. Ils m’ont dit que diffuser l’information allait porter atteinte à la réputation des fleurs, et qu’ils avaient déjà fait des campagnes sur les protections à porter”, regrette-t-il.
Pourtant, si vendre et préparer des fleurs peut nuire à la santé, en acheter est sans risque. “Pour le consommateur, le risque est négligeable. Le contact des mains est limité, mais il vaut mieux se les laver. Ce qui pourrait poser problème, c’est l’inhalation de ce qui se dégage dans la maison par volatilisation des produits du bouquet, mais à partir de 5/6 fleurs, il n’y aura pas de forte concentration dans l’air, Donc là aussi, l’exposition sera négligeable en regard des apports alimentaires .”
Fleurs belges et étrangères :
Au niveau des résidus de pesticides, y a-t-il des différences entre les fleurs a priori d'origine belge et celle d'origine étrangère ? "Il n'y a pas de différence entre fleurs "belges" (déclarées telles; 38 échantillons analysés) et les autres origines pour les concentrations, nous répond Bruno Schiffers. Mais les analyses des échantillons déclarés d'origine belge ou néerlandaise révèlent la présence anormale de 15 substances actives dont l'utilisation n'est pas autorisée dans l'UE. Ces résultats doivent toutefois être relativisés car nous n'avons aucune garantie ferme quant à l'origine des échantillons prélevés dans les locaux du détaillant plutôt que chez les producteurs. Néanmoins, la fréquence de la présence de substances actives non autorisées dans l'UE est sensiblement plus élevée dans les échantillons belges, quelle que soit l'espèce concernée, ce qui pourrait être alarmant si des fleurs étaient produites en Belgique mais, en général, les contrôles officiels belges ne reflètent pas un mauvais usage des pesticides."