Redistribuer davantage les richesses pour éviter le chaos climatique: "Il y a une espèce de cercle vicieux..."
Les effets des dérèglements climatiques contribuent à appauvrir les plus pauvres et tendent à accentuer la concentration des richesses. Pour le Laboratoire sur les Inégalités Mondiales, les solutions passent par une modernisation des systèmes fiscaux et l’orientation d’une partie des moyens collectés vers les pays du Sud.
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Publié le 31-01-2023 à 06h52 - Mis à jour le 31-01-2023 à 10h00
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Alors que nous n’en sommes qu’à la manifestation des premiers effets des dérèglements climatiques, ceux-ci contribuent déjà notablement à élargir et approfondir les inégalités entre pays riches et pays pauvres, en particulier les pays à revenu faible et intermédiaire. Un creusement des inégalités qui se marque également à l’intérieur des États. Tels sont deux des enseignements livrés par le “Climate inequality report 2023” publié ce mardi matin, qui avance également des voies de coopération au développement et des politiques fiscales et sociales pour s’attaquer à ce phénomène. Explications en compagnie de l’économiste Lucas Chancel, professeur à Sciences Po Paris et codirecteur du Laboratoire sur les Inégalités Mondiales.
Le constat de ce rapport n’est pas neuf. Qu’apporte-t-il de plus ?
Ce que nous essayons de mettre en avant, c’est cette triple crise des inégalités climatiques. La première inégalité, c’est celle des impacts différenciés, donc entre les pays et à l’intérieur des pays. La combinaison de ces deux niveaux d’inégalités crée une situation où les 50 % des plus pauvres du monde vont être confrontés à la plus grande partie de ces impacts. C’est eux qui vont en proportion de leurs revenus perdre le plus. Je pense qu’on n’a pas encore assez bien réalisé l’ampleur de ces chocs qui existent déjà et qui vont s’amplifier dans les années à venir. Il faut vraiment prendre cela davantage en compte.
La deuxième crise, c’est la dimension inégalitaire dans la contribution à la pollution ; des données que nous essayons de mettre en lumière en miroir de cette inégalité des impacts. Soit le fait que 10 % de la population mondiale sont responsables d’à peu près la moitié du problème. Et inversement, 50 % de la population mondiale qui ne représente que 10 % des émissions.
Le troisième point, c’est l’inégalité des capacités d’action, c’est peut-être le plus important. Tout le monde ne possède pas la même chose, au niveau mondial et à l’intérieur des pays. Or, face aux changements climatiques, on a besoin de ressources financières soit pour changer sa voiture, changer de technologie de chauffage, isoler sa maison… Mais aussi, quand il y a un choc climatique, être en capacité de reconstruire son logement, de subvenir à vos besoins si vous perdez votre emploi ou en raison d’une baisse des rendements agricoles comme on peut le voir dans de nombreux pays à bas et moyens revenus. Cette inégalité de patrimoine est extrêmement forte et va être exacerbée par la crise climatique. Il y a une espèce de cercle vicieux. En fait, vous allez tomber dans une trappe à pauvreté et vous allez avoir encore moins de patrimoine à la sortie. D’où le besoin impérieux de redistribuer davantage les richesses pour que le monde ne rentre pas dans cette période de chaos qui peut arriver suite à des chocs climatiques plus nombreux et plus violents.
Éradiquer la pauvreté dans le monde ne fera-t-il pas exploser les émissions de la planète, comme l’avancent certaines voix ?
C’est un discours qu’on a parfois entendu dans les pays riches. Pour notre part, nous disons que sortir ces millions de personnes de la pauvreté – ces milliards de personnes si l’on se base sur la définition la plus extensive de la Banque mondiale, à savoir ceux dont les revenus sont en dessous de 5,5 dollars par jour – engendrerait un surcroît d’émissions qui est à peu près équivalent à ce qu’émettent les 1 % les plus émetteurs au niveau mondial. On peut donc lutter contre la pauvreté sans faire exploser les émissions de la planète. C’est vraiment un enjeu de surconsommation, de sur-émissions des très aisés. Plus on va réduire rapidement ces émissions en haut de la pyramide, plus cela libère de l’espace pour réduire la pauvreté.
Eradiquer la pauvreté engendrerait un surcroît d’émissions qui est à peu près équivalent à ce qu’émettent les 1% les plus émetteurs au niveau mondial.
Il y a une fenêtre d’opportunité qui s’ouvre. Cette année, suite à la dernière Cop climat, des discussions sur la manière de financer les pertes et dommages climatiques irréversibles subis par les pays les plus vulnérables vont débuter. Dans le même temps, on continue parallèlement à discuter de la manière dont on peut repenser l’architecture mondiale de taxation, notamment des multinationales. Mais il n’y a à l’heure actuelle aucune espèce de connexion entre ces deux négociations qui, in fine, parlent pourtant de la même chose : c’est-à-dire comment récupérer des ressources supplémentaires pour financer les biens publics. Il nous semble absolument nécessaire de rassembler ces deux discussions Nous disons qu’une partie de ces ressources devrait être davantage fléchée vers les pays du Sud notamment pour financer les dérèglements climatiques induits en partie par les actions les activités de ces multinationales et de ceux qui les possèdent.
Vous évoquez aussi l’idée d’une taxe “1,5 % pour 1.5°C” pour les personnes dont la fortune dépasse 100 millions de dollars…
Oui, cela permettrait de lever des sommes conséquentes qui permettraient aux pays riches de finalement tenir leur promesse faite aux pays pauvres. Pourquoi ces gouvernements ont-ils du mal à trouver les 100 milliards annuels promis il y a plus de dix ans ? Parce que les classes moyennes et les classes populaires dans leur pays disent qu’elles contribuent déjà beaucoup et qu’elles ne veulent pas payer davantage. Et il y a un niveau de concentration tel des patrimoines au sommet de la pyramide mondiale que même des impôts relativement faibles sur ces grandes fortunes récolteraient des sommes qui sont considérables.
Quand vous avez possédez 100 milliards, 50 milliards ou même 800 millions, si vous êtes un peu taxé, cela ne va pas mettre à terre l’économie mondiale.
Je pense que certains acteurs très fortunés se rendent bien compte qu’il y a un souci et que si l’on n’arrive pas à en passer par là, le dérèglement non seulement climatique mais aussi social, politique et économique de notre monde va continuer. On a effectivement tous, en tant que société, intérêt à aller dans cette direction. On prend la voie de cette modernisation de nos systèmes fiscaux. Le problème, c’est que c’est beaucoup trop lent. On perd beaucoup de temps à discuter d’évidences. Quand vous avez 100 milliards, 50 milliards ou même 800 millions, si vous êtes un peu taxé, cela ne va pas mettre à terre l’économie mondiale. Tout cela, ce sont des mythes agités pour nous faire perdre du temps.