L’art de rendre une sanction dissuasive
Le montant des amendes infligées aux armateurs reste ridicule par rapport aux économies réalisées par des navires ne se mettant pas en conformité.
Publié le 28-02-2023 à 16h56
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Une sanction efficace doit être “effective, proportionnée et dissuasive” indique la Directive sur le soufre de l’Union européenne (UE), qui vise en priorité à priver les contrevenants des “avantages économiques tirés de l’infraction”. En Belgique, depuis 2017, les auteurs d’infractions à la pollution atmosphérique peuvent être poursuivis au niveau pénal et administratif. Le service Amendes administratives de la Direction générale Navigation du SPF Mobilité et Transports est compétent en la matière.
Pourquoi avoir opté pour un tel régime ? Car les sanctions pénales comportaient des limites, comme l’explique Henrik Ringbom, juriste à l’Académie d’Åbo en Finlande. Le régime pénal implique de prouver “l’intention ou au moins de la négligence (grave – criminelle) de la personne responsable”, ce qui allonge voire alourdit considérablement les procédures, qui durent en moyenne entre deux et quatre ans. À titre d’exemple, au cours de l’année 2016, sur les 13 cas de violations rapportés au procureur général, aucune sanction n’a finalement été infligée à l’accusé, expliquait Christopher Swolf de la DG Navigation dans une étude parue en 2017.
Les sanctions administratives doivent être privilégiées, avance le juriste norvégien “car elles sont plus flexibles et peuvent être basées sur une responsabilité stricte”.
Une trentaine d’amendes
Dans les faits, tous les cas de non-conformité ne donnent pas forcément lieu à une amende. Lorsqu’il est prouvé que les quantités de soufre dans le carburant sont comprises entre 0,1 % tel que prévu par la loi et 0,15 %, les autorités portuaires rédigent une simple déclaration publique, “une sorte d’avertissement”, selon les termes de Ward Von Roy.
Parfois, il s’agit simplement de déclarations publiques parce que les preuves n’étaient pas suffisantes, parce qu’il s’agit d’une défaillance de l’épurateur ou parce que les quantités de soufre prélevées ne dépassent pas 0,15 % (en-deçà la marge d’erreur est trop importante pour valider une violation). Entre 2017 et 2021, une trentaine d’amendes administratives ont été infligées à des navires contrevenants à la pollution au soufre, d’après les données transmises par le SPF Mobilité.
Les sanctions ont-elles été efficaces ?
Quatre ans après la mise en place du système des amendes administratives en Belgique, le gouvernement fédéral dressait un bilan, plutôt positif : “L’expérience […] a montré que le système des amendes administratives est un système efficace pour mener une politique de répression effective et dissuasive dans le domaine de la navigation.”
Nous avons contacté la DG Amendes en janvier 2022 pour connaître la proportion d’amendes liées au soufre par rapport à la totalité des amendes délivrées par la DG Amendes. La base de données communiquée comportant de trop nombreux écueils, n’a pu être utilisée en l’état. “Nous avons identifié un problème de l’extraction des statistiques de notre base de données” nous a-t-on notamment répondu du côté de la DG. À l’heure où nous écrivons ces lignes, malgré nos multiples sollicitations, nous n’avons pas obtenu de données fiables.
Seule réponse reçue par mail de la part de Steven Werkers, conseiller juridique au Service public fédéral Mobilité et Transports : “Il est difficile de déterminer un montant moyen de nos amendes car chaque infraction est différente. Surtout en ce qui concerne les infractions environnementales. Nos “recettes” varient entre 400 000 et 700 000 euros par an. En cas de non-paiement, nous pouvons généralement faire appel à la garantie. Le navire ne peut pas quitter le port sans fournir une garantie en cas de suspicion d’infraction. Nous pouvons saisir le navire si c’est nécessaire. Les garanties varient entre 50 000 et 300 000 euros selon les infractions. Nous pouvons imposer le maximum de l’amende légale comme garantie”.
Le montant total des amendes imposées depuis 2017 avoisinerait les 1 425 200 euros, selon les données transmises par le SPF Mobilité.
Faible, au regard du nombre d’infractions constatées, ce montant ne serait évidemment pas suffisamment dissuasif à en croire les calculs des auteurs de la dernière étude publiée par l’Institut royal des sciences naturelles : “Prenons un gros porte-conteneurs qui consomme entre 124 et 367 tonnes de carburant par jour. S’il décide de ne pas utiliser le carburant conforme dans la zone SECA, il peut gagner 190 000 dollars par jour”.
Le type de sanction le plus efficace, selon Henrik Ringbom, juriste norvégien, n’est autre que le bannissement d’un navire par un port. Au 7 février 2023, deux navires étaient bannis des ports belges pour “manquement aux réparations requises” selon Thetis. “City of Tokyo”, banni depuis le 15 décembre 2016 bat pavillon libérien, tandis que “Kassie”, sous pavillon christophien, est banni depuis le 7 septembre 2017.
“Faire payer” les responsables
Au-delà des sanctions pécuniaires, jouer sur la réputation d’un navire contrevenant pourrait avoir un impact bien plus important, selon Kare Press-Kristensen de l’ONG Green Transition Danemark, qui défend l’idée qu’ “il faut, outre une amende élevée, lancer une action de “name and shame”. Faire en sorte que les compagnies maritimes ne veuillent pas tricher parce qu’elles savent que ce sera très difficile pour elles, si elles trichent et si leur réputation de mauvaise compagnie est révélée publiquement. Beaucoup de ces compagnies maritimes ont des prêts dans des banques, des fonds de pension comme investisseurs. Lorsque les compagnies d’assurances voient que leurs clients trichent, elles vont leur rendre la vie dure”.
D’où l’importance de faire payer, dans tous les sens du terme, les escrocs en col blanc, comme le suggère Henrik Ringbom. “Il est plus pertinent de cibler les entreprises qui exploitent le navire et qui sont responsables du choix du combustible qu’il utilise que de s’adresser à des membres d’équipage individuels” explique-t-il dans cette étude.
La réponse des armateurs : “C’est bien comme ça”
Wilfried Lemmens, directeur de l’organisation qui regroupe les armateurs belges – la Royal Belgian Shipowners' Association – explique que “Tout ce qui est frais de fuel, combustible ou autres, est payé par l’affréteur. Tout ce qui est coût financier pour le navire – équipage, maintenance, et autres – est payé par l’armateur.”
Pour lui, comme pour son confrère allemand Sebastian Ebbing, les amendes ont bien un effet dissuasif. Ce dernier souligne, sans surprise, que “l’amende est assez élevée, assez coûteuse pour les compagnies maritimes, et par conséquent personne ne prendra le risque de ne pas se conformer aux exigences.”
Leur homologue néerlandais, Nick Lurkin, est plus tempéré : “ça dépend” répond-il d’emblée en pointant l’absence d’harmonisation européenne. “En Europe, chaque pays a son propre système de sanction. En Allemagne, il y a un document qui stipule les sommes précises pour chaque type de faute, alors qu’aux Pays-Bas, l’amende dépend de la quantité de soufre”.
Les gains économiques d’une fraude, eux, sont identiques, quel que soit l’endroit où le navire contrevenant se trouve. Logiquement, il faut donc que la sanction à laquelle il s’expose soit identique, quelles que soient les eaux qu’il traverse.