Les navires plus récents polluent proportionnellement davantage
Les mesures prises pour réduire les émissions de dioxyde d’azote négligent une réalité propre à la mer du Nord : la faible vitesse du trafic dans la zone.
Publié le 28-02-2023 à 16h49
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“Contre toute attente, il a été constaté que les navires plus récents émettaient davantage d’oxyde d’azote dans la zone belge [de la mer du Nord] que les navires plus anciens” avance la dernière étude publiée de l’institut royal des Sciences naturelles, dont les résultats sont limpides : les navires les plus récents sont neuf fois moins conformes à la législation sur l’azote que les navires plus anciens (9,1 % contre 1,1 % en 2021). L’hypothèse de base de la Convention Marpol est donc aux antipodes de la réalité sur le terrain. En soumettant les navires plus récents à des limites plus strictes, elle partait de l’idée et prévoyait qu’ils émettraient justement moins d’émissions de NOx. D’où vient ce décalage entre la théorie et la pratique ?
Une question de moteur
Un élément clé explique cette inadéquation : le comportement des moteurs, qui dépend fortement de l’âge du navire. “Les émissions augmentent à des charges (et donc des vitesses) plus élevées du moteur pour les navires dont la quille a été posée avant 2011, tandis que c’est l’inverse pour les moteurs plus récents”, indiquent les auteurs du Scipper project. En d’autres termes, les navires anciens émettent davantage à charge – et donc vitesse – élevée, alors les navires récents émettent proportionnellement davantage à charge et vitesse faible.
Or, le cadre théorique, à savoir le Code Technique de NOx de 2008, qui fixe les limites d’émissions de NOx en fonction des charges du moteur, méconnaît cette réalité. Il fixe les règles en tenant compte de quatre niveaux de charge du moteur différents : 25 %, 50 %, 75 % et 100 %. Avant son installation à bord, chaque moteur est testé sur ces quatre niveaux en laboratoire, afin d’être certifié par la Convention Marpol et de se voir fixer une limite d’émission de NOx.
Sauf que “quand ces moteurs sont utilisés dans “la vraie vie”, ils ne fonctionnent pas comme ils le font en laboratoire”, pointe Bettina Knuden patronne de l’entreprise Explicit ApS, spécialisée dans les systèmes de surveillance environnementale et de cartographie des émissions. Ward Von Roy, de l’Institut des Sciences Naturelles, corrobore cette inquiétude : “dans la régulation, aucune limite n’est fixée pour les moteurs ayant une charge inférieure à 25 %. Si les navires émettent 30 grammes de NOx par kilowattheure et que la puissance du moteur à ce moment-là est de 13 % ou 20 %, ils sont parfaitement en ordre avec la régulation”.
La mer du Nord, zone de basse vitesse
Entre 0 % et 25 % de charge, la législation est donc dans une “zone grise” estiment les auteurs du rapport du ministère de l’environnement dannois paru en janvier 2022. Or, pour les navires récents, c’est justement “lorsque la charge du moteur est inférieure à 25 %, qu’il y a une forte augmentation des émissions de NOx”, précise Bettina Knuden d’Explicit. Et c’est précisément cette charge basse qui est la plus fréquente en mer du Nord, où le trafic se fait à vitesse faible.
“Quand on calcule les charges des navires au sein de la zone ECA de la mer du Nord, on se rend compte que les charges sont assez basses, et certainement plus basses que les hypothèses faites par l’IMO” souligne ainsi Bettina Knuden. “Et cela génère de plus importantes émissions de NOx”.
Sollicitée par La Libre Belgique, l’Organisation Maritime Internationale botte en touche et renvoie à une question de procédure : “Si une question n’est pas soulevée au moment de l’adoption d’un règlement, elle ne peut être prise en compte. Un État membre peut à tout moment soulever une préoccupation ou une question lors d’une réunion du MEPC de l’OMI afin de revoir et éventuellement de modifier un règlement” répond sa porte-parole Natasha Brown.
Les armateurs profitent de cette faille juridique
“En restant silencieuse sur la conformité des points de charge autres que les quatre inclus dans les cycles d’essai, la Convention Marpol ouvre un vide juridique”, écrivent les auteurs d’un rapport du ministère de l’environnement danois. Et les armateurs en tirent largement profit.
“En mer du Nord, les navires vont naviguer en “slow steaming” donc avec une puissance inférieure à 25 %” confirme Ward Von Roy. Réduire sa vitesse est d’ailleurs valorisé et promu car cela permet de limiter les émissions de CO2 : “Une diminution de la vitesse de 10, 20 et 30 % permettrait de baisser les émissions de CO2 de 13, 24 et 33 % d’ici à 2023”, lit-on dans une note de l'Institut Supérieur d’Économie Maritime.
Diminuer sa vitesse peut, enfin, entraîner par ailleurs une hausse d’autres polluants comme le carbone noir ou les particules fines. “La réglementation internationale qui prévoit une simple réduction des émissions d’azote ne semble donc pas adaptée aux conditions de navigation spécifiques du sud de la mer du Nord” selon les dernières conclusions de l’Institut royal des Sciences naturelles.