La Suisse et la France attaquées pour “inaction climatique” devant la Cour européenne des droits de l’homme
C’est une première qualifiée d’“ historique” par nombre d’observateurs : ce mercredi à Strasbourg, la Cour européenne des droits de l’homme a entamé l’examen de deux requêtes liées à l’inaction des États face au changement climatique.
Publié le 30-03-2023 à 13h52
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Ces affaires visent la Suisse mise en cause par une association de plus de 2000 retraitées, “les Aînées pour la protection du climat suisse”, ainsi que la France, accusée par l’eurodéputé Europe Écologie les Verts Damien Carême.
Ancien maire de la commune de Grande-Synthe dans le Nord du pays, celui-ci avait, au nom de sa collectivité et en son nom propre, saisi le Conseil d’État notamment pour non-respect des engagements de réduction des gaz à effet de serre pris par la France dans le cadre de l’accord de Paris, arguant que sa commune et donc son domicile situés sur le littoral sont – effectivement – menacés de submersion.

Déboutés devant les juridictions nationales – à l’exception de la plainte déposée au nom de la commune de Grande-Synthe – les “grands-mères” suisses et l’élu écologiste se sont tournés vers la Cour européenne des droits de l’homme au motif d’inaction contre le changement climatique de leurs États respectifs, cette inaction violant leur droit à la vie et leur droit à une vie privée et familiale normales garantis par les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Vouées à faire jurisprudence puisque premières du genre, ces affaires ont été classées prioritaires par la Cour et sont examinées par la Grande Chambre, sa formation suprême présidée par l’Irlandaise Siofra O’Leary et composée de 17 juges nationaux.
Pas moins de 2 000 procès climatiques en cours dans le monde
Si les deux affaires sont basées sur les mêmes griefs, elles présentent aussi des différences.
Les avocats des retraitées soutenues par Greenpeace Suisse ont ainsi dû argumenter scientifiquement pour attester de la particulière vulnérabilité des femmes âgées au changement climatique notamment pendant les canicules, condition sine qua non pour établir leur statut de victime au regard des critères de la Cour et affermir leur droit de déposer requête en tant qu’association puisque la Cour statue sur des violations de la Convention commises par des États sur des individus et non des collectifs.
Corine Lepage, avocate de Damien Carême a quant à elle dû faire état des attaches familiales de son client qui a grandi et vécu cinquante ans à Grande-Synthe, commune où ses parents sont enterrés et où habite son frère. Eurodéputé, il réside essentiellement à Bruxelles, a-t-elle précisé mais il y retournera à la fin de son mandat.
Les argumentations et contre-argumentations juridiques sont d’une extrême complexité et les audiences qui se sont tenues à Strasbourg ne préjugent en rien des décisions de la Cour qui seront prononcées d’ici la fin de l’année, sans doute après une troisième affaire du même type portée cette fois par des adolescents portugais qui requièrent quant à eux contre 32 États européens, toujours pour inaction climatique. L’audience la concernant est annoncée pour l’automne prochain.
La Convention européenne des droits de l’homme entrée en vigueur en 1953 n’a pas été taillée pour faire face aux défis environnementaux et une condamnation de la Suisse et/ou de la France ne pourrait s’appuyer que sur une interprétation des droits qu’elle garantit.
Ce qui, a déclaré le représentant de l’État suisse, Alain Chablais outrepasserait ses fonctions en imposant des mesures contraignantes d’ordre “quasi-législatif”.
Corine Lepage a rappelé quant à elle les arrêts déjà prononcés à l’encontre d’États par de hautes juridictions nationales (Cour suprême des Pays-Bas, Cour constitutionnelle de Karlsruhe en Allemagne) et internationales (Cour américaine des droits de l’homme par exemple) et signalé qu’il n’y avait “pas moins de 2 000 procès climatiques en cours dans le monde”.
“Rarement, une décision de votre Cour n’aura été attendue avec autant d’espoir et d’intérêt de la part de l’humanité tout entière”, a-t-elle conclu en s’adressant aux juges européens devant une salle comble.