Cinq astuces de juristes pour échapper à l’enlisement belgo-belge sur le climat
Face à cette complexité fédérale bien belge, des solutions sont possibles, selon des juristes qui ont présenté leurs pistes climatiques lors d’une conférence de la Coalition Climat.
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Publié le 19-05-2023 à 14h54
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1 En finir avec ce maudit "burden sharing"
"En Belgique, (les politiques) discutent beaucoup du problème de la répartition entre l'État fédéral et les Régions de l'effort climatique (burden sharing, lire ci-contre), c'est vraiment là-dessus que cela coince, observe Delphine Misonne, spécialiste du droit environnemental et des politiques climatiques à l'Université Saint-Louis. Parce qu'ils n'arrivent pas à véritablement s'entendre et parce qu'il est fortement question d'argent, de coûts et de bénéfices. Mais doit-on vraiment passer par un burden sharing ? On peut se poser la question de l'anomalie. Comment les autres pays font-ils pour se répartir cet effort ? On est surpris de constater qu'il n'y a pas de discussion. Les autres États de nature fédérale ne sont pas structurés de la même manière, mais en Allemagne ou au Royaume-Uni, il y a bien une répartition. Pas par rapport à des Landers ou à des États mais par rapport aux secteurs. La répartition est pensée à l'échelle de l'économie, ce qui est vraiment intéressant comme source d'inspiration. À la fois pour d'éventuelles réformes de notre fédéralisme à l'avenir, mais même à l'intérieur du système actuel. La sortie de cette complexité sur la répartition de l'effort pourrait être de penser le système autrement."
2 Établir une loi climat contraignante
Par ailleurs, parmi les pays européens, la Belgique dispose d'un cadre législatif climatique a minima comme la Pologne ou la Slovaquie : seul le cadre européen et international impose des obligations de rapportage et de monitoring. "Le seul instrument qui existe au niveau national, c'est le Plan national énergie climat, mais qui n'a aucun statut juridique réel. Il répond un peu au bon vouloir de chaque entité. Nous n'avons pas de cadre national plus contraignant", regrette la juriste Rebecca Thissen, qui appelle à une "loi climat" comme il en existe en France, au Danemark ou au Royaume-Uni. "Nous avons besoin d'entériner ces principes dans une législation climat, pour avoir une vision à long terme et envoyer un message clair et fort aux politiques actuels et futurs et aux différents secteurs."
Certes, le règlement européen établit déjà que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais celui-ci ne prévoit pas de mécanisme de sanction, excepté un processus de naming and shaming, relève Delphine Misonne. "Au niveau de la transformation de la société, on sait bien qu'une loi n'est qu'un élément parmi d'autres. Mais si on ne dispose déjà pas de cet élément, où va-t-on ? Une loi nous donnerait plus de transparence, d'objectivation et un outil nécessaire pour accentuer de manière adéquate la coordination. En outre, une question importante autour du climat est : comment cela va-t-il se transformer en droit et obligations ? Le climat est terriblement contentieux : on touche à des intérêts acquis, dans un basculement civilisationnel… Et ce n'est que le législateur qui peut - si c'est nécessaire et de manière proportionnée - porter des limites à certains droits existants.On se trouve ici dans le champ de la balance des droits en présence."
3 Créer un comité d’évaluation indépendant
Cette loi climat pourrait rappeler les objectifs européens et les endosser de manière claire - "certaines entités ne sont pas toujours convaincues de la place des objectifs européens dans le cadre belge", rappelle Rebecca Thissen, alors que la Flandre vient de présenter un plan climat manquant aux exigences européennes - intégrer des étapes avec des buts chiffrés, associées à des budgets carbone comme en France et au Royaume-Uni… Mais aussi une évaluation. "Pour l'instant, au niveau belge, la possibilité d'avoir des rapports annuels qui disent où on en est totalement absente. Idéalement, cette évaluation devrait être liée à un processus budgétaire, car, souvent, les politiques climatiques sont complètement déliées des questions financières", note la chargée de recherche en justice climatique au CNCD-11.11.11.
La Coalition climat, s’inspirant des hauts comités français ou britannique, recommande d’ailleurs la création d’un comité d’experts indépendants qui rendrait une évaluation nationale des politiques climatiques (en détachant ceux qui existent déjà au niveau régional).
4 Revoir un accord de coopération "obsolète"
Par ailleurs, actuellement, le processus de coordination des différentes entités du pays au niveau climatique est prévu dans un accord de coopération datant de 2002.
Un accord devenu à présent "obsolète" et qu'il conviendrait donc de réviser, selon Delphine Misonne. "En plus de 20 ans, le cadre a radicalement changé sur la scène internationale et européenne. Pourquoi ne pas mieux impliquer le grand public et les jeunes dans ces discussions ? Il faut oser innover et cet accord de coopération n'y est pas du tout. Il fige les choses d'une telle manière qu'il cadenasse l'imagination. Il est composé de représentants du Fédéral et des Régions ainsi que de leurs experts et rien d'autre. Comment voulez-vous que cela invite à penser autrement ?" La Coalition climat demande pour sa part qu'une assemblée citoyenne soit impliquée dans ce débat démocratique climatique.
5 Scinder la Commission nationale climat, cette "boîte noire"
L’accord de coopération de 2002 prévoit entre autres l’existence de la Commission nationale climat (CNC) qui regroupe donc les représentants des quatre entités et coordonne le Plan national Climat (politique nationale en matière de climat) ainsi que les obligations de rapportages européen et internationaux et européens.
Selon le Conseil d'État (lire ci-dessous), cette CNC "échappe à tout contrôle parlementaire direct". "C'est la boîte noire opaque de la politique climatique belge", renchérit Rebecca Thissen. "La transparence est un devoir démocratique, on a le droit de savoir qui décide et qui bloque les négociations au niveau climat et pour quelles raisons… Pour l'instant, c'est complètement impossible. Croyez-moi, on essaye…"
Par ailleurs, la juriste propose de s’inspirer des sommets climat organisés par l’Onu pour séparer les compétences techniques de la CNC (chiffres et calculs qui seraient pris en charge par l’administration) et ses compétences politiques (sujets sensibles à trancher par les élus eux-mêmes). Et ce en vue d’accélérer et de faciliter les discussions.
Un rapport du Sénat recommande également d'impliquer plus directement le Codeco (Comité de concertation entre le fédéral et les Régions, rendu célèbre par la crise Covid) dans la gestion et la décision des politiques climatiques. Le but serait d'échapper à l'enlisement lorsqu'une entité se refuse à décider ou cherche à éviter une réunion en matière de climat.