Faut-il être maigre pour survivre au Tour de France?
À moins d’un circuit uniquement composé de descentes, le coureur filiforme aura toujours l’ascendant sur son rival enrobé. Mais dans un régime sportif comme sur le vélo, tout est question d’équilibre.
- Publié le 05-06-2023 à 12h00
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Une chronique "Science étonnante" de Fabrizio Bucella, physicien, docteur en sciences et professeur à l’ULB, dont les livres, qui allient sciences et pédagogie, sont publiés aux éditions Dunod (Paris). Une fois par mois, il nous propose une chronique de vulgarisation scientifique où sont mis en avant des découvertes et des débats scientifiques qui sortent de l’ordinaire.
Le Tour de France 2023 prévoit trois semaines et trente cols. Il s’agit d’un record pour le nombre de “grimpettes” que les coureurs devront se farcir. Du coup, une question vient à l’esprit : vaut-il mieux être maigrichon ou costaud pour survivre à pareille épreuve ?
En première approximation, on se dit que toute montée est suivie d’une descente. C’est souvent le cas lors du Tour, mais pas systématiquement. Les arrivées en altitude faussent les calculs, car le lendemain on ne part pas exactement du même point. Ceci étant dit, évacuons ce point pour la suite de la discussion.
La science indique qu’un cycliste plus maigre est favorisé en montée et qu’un cycliste plus gros est favorisé en descente. Le premier doit effectuer un travail qui dépend de sa masse, soit déplacer ladite masse sur une distance, qui plus est en montée. Le second profite de l’énergie potentielle acquise en haut du pic, celle-ci étant d’autant plus grande qu’il est plus lourd. Alors que le grimpeur doit vaincre la gravitation pour hisser sa masse au sommet, le descendeur profite de la gravitation pour dévaler en trombe.
Un verdict sans appel
Le maigre et le “gros” compenseraient-ils leurs avantages respectifs ? Malheureusement pour le second, que nenni ! Le temps mis pour monter est bien plus important que le temps mis pour descendre. Prenons Marco Pantani. Lors de son ascension mythique de l’Alpe d’Huez en 1997, celui-ci a avalé la montagne et la concurrence à une vitesse moyenne de 22 kilomètres par heure. À l’inverse, les bons descendeurs atteignent des vitesses trois à quatre fois plus élevées lors de la descente (entre 70 et 80 km/h).
En conséquence, le maigre peut profiter de sa condition ascendante pendant un temps plus long que le coureur non-maigre de sa position descendante. Le verdict est sans appel : lors de la descente, on ne réussit pas à récupérer le temps perdu en montée.
La quête du poids idéal
Le paramètre essentiel dans le cyclisme est le fameux rapport poids versus puissance (en vérité, il faudrait parler de rapport masse – puissance). Il s’agit de la proportion entre le poids du cycliste – y compris vélo et son équipement – et la puissance qu’il peut générer par coup de pédale. Un rapport poids – puissance faible signifie qu’un cycliste peut produire plus de puissance par unité de poids, ce qui est généralement avantageux.
Vu que le poids se trouve au numérateur, il suffit de le diminuer et le tour est joué. Le poids minimum de la bicyclette étant fixé par l’Union cycliste internationale à 6,8 kilogrammes, afin d’éviter des vélos trop légers et les ambitions trop grandes, il ne reste plus guère de marges sur lesquelles jouer : on jette les bidons, on met une combinaison ultralégère… Ensuite, il faut bien s’attaquer au cœur du réacteur : le poids du cycliste lui-même.
Survient la question sur laquelle les diététiciens s’empoignèrent : quelle “maigritude” maximum peut être autorisée au cycliste ? Tout en gardant à l’esprit qu’il y a lieu de lui conserver une masse musculaire suffisante pour répondre aux efforts continus, sinon c’est ballot. On se doute qu’on pourra gagner quelque chose du côté de la masse adipeuse en diminuant le pourcentage de graisse.
Selon une étude de l’Université de Berne, l’indice de masse corporelle des cyclistes a baissé depuis 1992. Cet indice mesure le poids d’une personne en rapport avec le carré de la taille. Plus il est faible et moins la personne est lourde. Comme de juste, il ne tient pas compte du poids du squelette qui participe à la masse de l’individu, mais sur lequel il n’est pas possible de gratter quelque chose, sauf à en remplacer certaines parties par du titane (un matériau hors de prix).
Avant 2010, l’indice de masse corporelle des cyclistes était supérieur à 21. Depuis, il flirte avec 20. Certains prédisent qu’on risque de passer sous ce nombre dans quelques années. Pour rappel, selon les normes standards, en dessous de 18,5 on se trouve en situation de sous-poids.
Masse vs surface
Reste un dernier élément plus subtil. La masse du cycliste influence aussi la surface corporelle. Autant la masse constitue le poids, autant c’est bien la surface qui se meut dans le fluide et modifie la force de traînée, qui ralentit la progression de la bicyclette en tirant le mobile vers l’arrière.
Les cyclistes réalisent des simulations en soufflerie afin d’optimiser la surface de traînée et les chances de victoire. Les modifications doivent être subtiles et bien pensées, car il faut tout à la fois diminuer ladite force de traînée et préserver la puissance développée par coup de pédale. On ajuste ainsi la position de la selle, des poignées, du corps… sur l’engin. Des orientations différentes sont d’ailleurs préconisées en fonction des tâches à effectuer : on ne grimpe pas un col comme on dispute un contre-la-montre – en vérité, le matériel lui-même est différent.
Des modèles ont essayé de comprendre comment la force de traînée était modifiée par une diminution de la masse corporelle. Celle-ci est plus faible pour un maigre qu’un gros. Le cycliste qui perd du poids est donc doublement avantagé : le travail à effectuer est moins important, car la masse à déplacer est plus faible et, par ailleurs, il est moins ralenti, la force de traînée étant également plus faible.
Tout ceci ne répond pas à la question du combien le maigre peut-il être maigre tout en n’étant pas trop maigre pour grimper. Vous me suivez toujours ? La science physique atteint ses limites. Les psychologues et nutritionnistes expliquent qu’il faut conserver une part de masse adipeuse suffisante si l’on veut éviter des blessures, des dépressions… et de rester en bas de la côte. Le cycliste maigre reste avantagé, mais il ne doit pas avoir la peau sur les os, tel le Matamore du Capitaine Fracasse, qui dormait “roulé dans sa cape grise, et ressemblait à un hareng dans du papier”.