À Nieuport, un barrage anti-inondation pour s’adapter face à la montée des eaux
Risques de submersion et d’érosion des côtes de plus en plus marqués… Le littoral Belge n’est pas épargné par les effets du dérèglement climatique. Face à l’élévation du niveau de la mer, le gouvernement flamand entreprend de s’adapter. Reportage.
- Publié le 19-08-2023 à 14h23
- Mis à jour le 21-08-2023 à 10h36
C’est au port de Nieuport, tout au bout du chenal, que Peter Van Besien nous a donné rendez-vous. Là, quelques voiliers progressent lentement sur l’eau, leurs coques blanches contrastent avec le ciel d’un gris uniforme, symbole de cet été 2023. À gauche, on distingue une longue plage bordée de blocs d’immeubles. À droite, un chantier à l’arrêt – pendant la période estivale – où s’entassent tubes d’acier, blocs de béton et barres métalliques interpelle. “Ce barrage anti-inondation sera vraiment le meilleur compromis entre sécurité et circulation de l’eau et des bateaux”, s’enthousiasme le directeur-ingénieur du développement côtier de l’agence maritime et côtière flamande (MDK).

Comme tant d’autres régions de bord de mer, la Flandre voit son avenir s’écrire en pointillé. Partout sur la Côte, les plages s’érodent à cause de l’urbanisme et des prélèvements de sable, tandis que le niveau des mers monte inexorablement, sous l’effet du réchauffement climatique. L’élévation est générée par l’expansion thermique des océans – quand l’eau chauffe, elle prend plus de place et sa surface s’élève mécaniquement – et par la fonte des glaciers, notamment des calottes glaciaires groenlandaise et antarctique. “Mais depuis les années 1990, le phénomène s’accélère. Chaque année le niveau de la mer augmente d’un peu plus de 3 millimètres”, analyse Sebastian Dan, chercheur chez Flanders Hydraulics.
En Flandre, 15 % des terres se situent à moins de 5 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer. Cela fait de la Belgique le deuxième pays européen le plus vulnérable aux inondations, après les Pays-Bas. Et Nieuport, comme toute commune en bordure du littoral, va devoir composer avec la montée du niveau des mers qui pourrait atteindre un mètre d’ici à 2100 – d’après les projections du Giec (voire davantage, selon certains scénarios plus pessimistes), si l’on ne parvient pas à stopper la croissance effrénée des émissions de gaz à effet de serre.
Un barrage “nécessaire pour faire face aux risques de submersion”
Pour éviter que la mer ne grignote petit à petit l’ensemble du littoral belge, des solutions sont mises en œuvre. “On a imaginé des mesures douces, telles que le rehaussement des plages et le renforcement des dunes, mais aussi des mesures dures qui nécessitent des interventions d’ingénieries comme des digues et des murs anti-tempêtes. Et plus récemment, un barrage anti-inondation à l’embouchure de l’Yser, à Nieuport”, explique Peter Van Besien.

Ce projet, lancé en 2018 par l’Agence maritime et côtière flamande (MDK) devrait s’achever en 2025. Il s’agira d’un mur amovible en acier de 38 mètres de large censé – en cas de forte montée des eaux ou de tempête – empêcher la mer de pénétrer dans le chenal portuaire et ainsi protéger le port contre la violence des vagues. Les travaux sont effectués dans le cadre du Masterplan Kustveiligheid (Plan directeur de Sécurité côtière) établi en 2011 par le gouvernement flamand pour protéger l’ensemble de la Côte et l’arrière-pays jusqu’en 2050 de l’élévation attendue du niveau de la mer, soit 30 cm.
Sur la plage, un maître-nageur sauveteur arpente le sable au bord de l’eau, les yeux rivés sur la mer. “Je crois que la plupart des habitants n’ont pas encore compris que le niveau de la mer montait”, s’agace Kasper De Muynck, 26 ans. Originaire de Nieuport, il veille sur les vacanciers et les baigneurs chaque été. “Mais je pense qu’un tel barrage anti-inondation est nécessaire pour faire face aux risques de submersion. Mieux vaut prévenir que guérir.” Une solution qui est cependant extrêmement coûteuse, puisque sa facture – initialement estimée à 58 millions d’euros – s’élève aujourd’hui à 70 millions d’euros.

Des conséquences de plus en plus importantes
Face à ces solutions d’adaptation, les avis divergent. “Chaque ville côtière présente des défis différents et nécessite une approche spécifique. Le barrage anti-inondation est la solution la plus adaptée pour Nieuport”, certifie Peter Van Besien. Mais avec l’accélération de l’élévation du niveau des mers, les conséquences sur la Côte risquent d’être de plus en plus importantes d’ici à la fin du siècle, et le barrage, qui a une durée de vie de 100 ans, devra être rénové au fil des années.
”Le risque, c’est que le coût du barrage anti-inondation augmente de façon exponentielle. À très long terme, ce sera difficilement viable”, estime Xavier Bertin, directeur de recherche (CNRS) qui coordonne le service national français d’observation du trait de côte. Pourtant, Peter Van Besien l’assure, le projet a été conçu dans une perspective à long terme. “Toutes les limites ont été prises en compte, et même si nous le modifions ou l’adaptons à l’avenir, nous limiterons le coût”, affirme le directeur-ingénieur du développement côtier au MDK.
”D’un autre côté, les solutions fondées sur la nature – telles que la dépoldérisation ou la restauration de prés-salés [des zones tampons qui amortissent la houle et stockent du carbone en grande quantité] – ne fonctionneraient pas sur la Côte belge, directement exposée à l’action des vagues”, reconnaît Xavier Bertin. “Si l’on veut continuer à y vivre, il n’y a pas vraiment d’autres options [que la construction d’un tel barrage]”, juge-il.
Une solution éphémère
Sur l’estacade, un couple de vacanciers néerlandais déchiffre le panneau d’explications du projet. “C’est intéressant de voir que des mesures sont prises ici aussi”, sourit Rosalie, 32 ans. “C’est important de pouvoir maintenir l’eau à distance de la côte.” Bart, son compagnon, acquiesce. “Mais à l’avenir il faudra prendre encore plus de mesures, c’est certain”, reconnaît-il.
”L’élévation du niveau des mers ne s’arrêtera pas brutalement en 2100. Même si l’on parvenait à stabiliser les températures, la mer continuera de monter”, rappelle François Gemenne, chercheur au FNRS, directeur de l’Observatoire Hugo à l’Université de Liège et auteur principal du Giec. “Il ne faut pas l’oublier. Sinon ce barrage anti-inondation risque de devenir une forme de maladaptation où l’on se croit protégé mais où, en réalité, on ne l’est pas.”
Pour le chercheur belge, cette solution est éphémère et doit seulement permettre de se donner du temps pour organiser un vrai retrait. “À terme, la solution serait de réfléchir à un repli stratégique de certaines zones d’habitation, voire de certaines zones économiques. La difficulté dans l’immédiat, c’est qu’il y a des activités économiques très importantes sur la Côte, comme à Nieuport.”
Pour l’heure, la plaine côtière belge reste un espace très convoité et le déplacement des biens et des personnes ne semble pas être une option envisagée par le gouvernement flamand.