"Je pense que je ferais un mauvais ministre" : Qui est vraiment François Gemenne ?
Le politologue et spécialiste des questions de politique migratoire et climatique François Gemenne est l’un des grands visages de la science dans les médias. Rencontre avec un homme qui n’avait pas prévu d’en arriver là.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/aa04232b-f477-407f-bf2a-4d0ca7797c7f.png)
- Publié le 21-08-2023 à 06h36
- Mis à jour le 07-09-2023 à 16h46
:focal(3589.5x2401.5:3599.5x2391.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/HCZSH7QFWFDTFM4QZCBMTSEOR4.jpg)
Nous le rencontrons dans un des rares coins tranquilles de la Gare du Midi. Avec un pied en Belgique et un autre en France, François Gemenne connaît bien le lieu, trait d’union entre la Belgique et l’international. “C’est dommage qu’elle soit dans cet état-là, regrette-t-il. Si on veut que les gens préfèrent le train, il faut rendre les gares attrayantes”.
Une bière posée devant lui, l’homme de 42 ans raconte son parcours et sa vision des médias sans langue de bois. Chercheur pour le FNRS, directeur de l’Observatoire Hugo à l’Université de Liège, enseignant à Sciences Po et à la Sorbonne à Paris, François Gemenne ne se considère pas comme un expert. “Les médias ne font pas toujours bien la distinction entre chercheur et expert. Un chercheur sert l’intérêt général, son travail est validé par les pairs. Il a aussi une certaine humilité devant l’immensité des connaissances qu’il lui reste à étudier. Mais sur base d’un bouquin écrit ou d’une opinion passée en télé, tout le monde peut s’autoproclamer expert. Moi, je suis expert en candidats de téléréalité, mais on ne m’interroge jamais là-dessus, et heureusement !”
Une carrière qui le conduit jusqu’à Paris
Plutôt sollicité par les médias sur les questions de politique climatique ou migratoire, François Gemenne ne se destinait pas à la recherche sur ces sujets. Étudiant en sciences politiques, il rêve de devenir diplomate, mais un stage auprès des Nations Unies à New York l’en dissuade : “Il y avait un devoir de réserve que je trouvais insupportable. Et la Belgique n’est pas vraiment le pays dont on attend la position diplomatique avec impatience. Je n’étais pas fait pour ça”. De retour en Belgique, on lui propose d’intégrer en 2002 le cabinet de José Daras, alors ministre (Ecolo) des Transports, de la Mobilité et de l’Énergie au gouvernement wallon. “C’était la première participation d’Ecolo à un gouvernement, se souvient le chercheur. Le cabinet était très jeune, très dynamique, il y avait beaucoup d’enthousiasme.”
En 2004, suite à l’affaire Francorchamps, les Verts font face à une lourde défaite électorale qui coupe François Gemenne dans son élan. Il se lance alors dans une thèse sur le rôle des chercheurs dans la mise à l’agenda à l’ONU des migrations environnementales. Boursier auprès du FNRS, il ne quittera plus jamais la recherche scientifique et y obtiendra un poste permanent. Son post-doctorat l’amène à prendre part aux négociations de la COP15 à Copenhague, puis de la COP21 à Paris, qui déboucheront sur le fameux accord de Paris sur le climat – qui fixe l’objectif de limiter la température moyenne du globe bien en dessous de 2°C de plus par rapport aux niveaux préindustriels, et si possible à 1,5°C. “C’étaient des années passionnantes, se rappelle François Gemenne. J’ai rencontré des gens fascinants. C’est à partir de là que j’ai gardé un pied à Paris.”

Sa carrière l’emmène aux quatre coins du monde, de Fukushima à la Nouvelle-Orléans, en passant par le Congo ou le Bangladesh. Mais François Gemenne finit toujours par revenir vers Paris, ville qu’il apprécie particulièrement. “Je vis en plein dans le centre, précise-t-il. Les services publics y sont beaucoup mieux gérés qu’en Belgique. Je suis toujours fasciné de pouvoir réserver un cours de tennis sur le site de la Mairie de Paris !” Son autre raison d’attache à la capitale française, c’est son épouse, également chercheuse à Paris : “J’ai une passion dévorante pour ma femme”. Le couple élève trois jeunes garçons.
Replacer la science au cœur du débat
D’aussi loin qu’il s’en souvienne, les médias ont toujours eu une place importante dans la vie de François Gemenne : “J’ai grandi avec les émissions à grand spectacle. Aujourd’hui, je travaille en regardant la télévision !” Si le chercheur devait changer de métier, il se verrait d’ailleurs bien en directeur d’une chaîne de télévision. “Je pense que c’est un média très puissant, y compris pour définir l’agenda politique, explique-t-il. Il y aurait moyen de faire tellement mieux ! Si j’avais carte blanche, je lancerais une téléréalité sur le changement climatique. Il faudrait faire rentrer ces sujets importants dans des émissions de culture populaire.”
Celui qui se dit aussi fan de Top Chef ou de Danse avec les Stars est actuellement en discussion pour faire intégrer des questions sur le climat dans l’émission Questions pour un Champion : “Ils sont assez ouverts à la discussion. On travaille avec France Télévisions pour renouveler les questions de science qui sont pour le moment assez basiques.”

Le politologue défend l’idée d’une science engagée dans les médias et dont les résultats doivent pouvoir peser sur le débat public. “Mon premier objectif, c’est de transmettre au grand public les résultats de la recherche scientifique. J’interviens aussi quand j’estime que le débat médiatique sur un sujet s’éloigne fondamentalement de ce que dit la science. Je ne crois pas au mythe de la neutralité scientifique, mais je cherche toujours à être aussi honnête que possible. Il ne faut pas déformer la science pour la faire coller à un agenda politique.”
L’homme est aussi très présent sur les réseaux sociaux : “Je lis tout, et j’essaie de répondre à un maximum de personnes. Ça me vaut parfois des railleries de mes proches qui s’étonnent que je réponde aux trolls sur Twitter. Je crois que je vis encore un peu dans ce fantasme de Twitter comme une grande conversation mondiale où chacun peut discuter d’égal à égal, mais le réseau a été très perverti depuis qu’il est utilisé comme outil de militance politique.”
Peur d’être mal compris
Comme pour d’autres personnalités, ses habitudes de communication sur les réseaux sociaux lui valent parfois des messages de haine, voire des menaces de mort. “Ça concerne désormais aussi le sujet du climat, relève-t-il. Avant, c’était exclusivement sur les questions de migration.” Pour lui, le climat est devenu ces dernières années une question politique, là où elle était auparavant surtout une question de science. “Les gens ont l’impression que la recherche sur le climat peut bouleverser leur vie, qu’elle peut mener à des mesures politiques qui auraient des répercussions sur eux. Donc, il y a une tendance à attaquer les chercheurs.”
Même si François Gemenne reconnaît que les chercheurs du climat sont plus souvent écoutés par les décideurs politiques, il estime que la frontière entre les rôles est importante. “On me demande souvent s’il ne serait pas mieux de laisser les scientifiques décider de ce qu’il faudrait faire. Mais on n’est pas élus, on n’a aucune légitimité démocratique. Je ne suis pas convaincu qu’on ferait de meilleurs décideurs. Ma collègue Valérie Masson-Delmotte a été sollicitée par le président français Emmanuel Macron pour devenir sa ministre de l’Environnement, elle a décliné car elle n’était pas certaine de faire une bonne ministre. Ce sont des métiers très différents. Moi, je suis indécis et influençable. Je pense que je serais mauvais.”
S’il réfute vouloir prendre la tête d’un ministère, François Gemenne reconnaît une certaine responsabilité et un certain risque à prendre aussi régulièrement la parole dans les médias. “Ma grande appréhension, c’est d’être mal compris, et qu’on me fasse tenir un discours ou une position que je n’ai pas. J’essaie d’être le plus transparent possible pour éviter ça.” Et de dire ouvertement quels candidats politiques il soutient lors des élections françaises, comme Benoît Hamon (PS) en 2017 ou Yannick Jadot (Les Écologistes) en 2022.
Depuis son débat très remarqué face à Florian Philippot (ex-FN) dans l’émission Salut les Terriens ! en 2017, François Gemenne est devenu un visage connu et reconnu dans les médias. Un statut qu’il trouve utile : “C’est un moyen privilégié de communiquer auprès du public.” Quant à la raison de son succès auprès des journalistes, le chercheur belge l’explique par ses qualités pédagogiques. “Je sais ce qu’attendent les journalistes. Je me déplace parfois pour des directs à des heures creuses, pour boucher les trous. Ils savent qu’ils ne prennent pas trop de risques à m’inviter. Et puis, je suis quelqu’un de sympa !”