La colère gronde après les incendies en Grèce: "J’ai eu le temps de montrer Parnitha à ma fille. Mais pour mes petits enfants, c’est foutu"
Confrontés à une nouvelle vague d’incendies depuis plusieurs jours, les habitants des zones sinistrées constatent les dégâts. La colère monte.
- Publié le 25-08-2023 à 18h41
- Mis à jour le 25-08-2023 à 18h47
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Deux couleurs dominent le ciel aux abords du Mont Parnitha, le dernier poumon vert d’Athènes : l’ocre qui couvre le soleil, et le noir de la forêt qui brûle depuis cinq jours. La moitié de Parnitha n’est en effet plus qu’un tapis de cendres, parsemé d’arbres carbonisés. Certains fument encore.
Habillé d’un marcel, casquette négligemment posée sur sa tête, Panayiotis scrute le ciel. “Quand la fumée sera blanche, cela voudra dire que les arbres arrosés d’eau flambent. Ce n’est pas bon signe”, lâche-t-il. Âgé de 75 ans, il vit depuis 30 ans aux pieds du Mont Parnitha où il a construit tout seul sa petite maison, “pierre par pierre”. Aussi pas question pour lui aussi de l’abandonner aux flammes sans se battre. “Ils m’ont évacué trois fois de force. Les policiers me traînaient par les bras, me menaçaient, mais à chaque fois je suis revenu. Je connais le moindre recoin, le moindre chemin de Parnitha. Pas eux”, dit-il, un petit sourire en coin.
Rester à tout prix
Malgré des flammes hautes de plusieurs mètres qui léchaient les premières maisons de sa rue, il est resté nuit et jour pour arroser les murs de sa maisonnette, son jardin, ses arbres. “J’arrosais la route devant aussi, et les arbres autour. Mais le tuyau d’arrosage n’était pas assez long pour que je mouille aussi les murs de la maison de mon voisin, évacué de force. Et regardez, il n’en reste plus rien” .
Malgré la tristesse face à cet environnement calciné Panayiotis sourit, en racontant son histoire : “Je suis comme Parnitha, dit-il, en soulevant son marcel noirci par la fumée pour nous montrer son énorme cicatrice, je n’ai plus qu’un seul poumon. Mais je vais continuer ; La vie est plus forte”. Il marque une pause : “Toute cette noirceur que vous voyez là, je l’ai arpentée avec mes chiens. Je ne reverrais plus la forêt. J’en aurai que les images que j’ai prises”. Il sort alors son téléphone portable pour nous montrer les photos et les vidéos de ce qu’était, il y a quelques jours, le Mont Parnitha. “La vie est plus forte, oui, mais
Quelques maisons calcinées plus loin, au début d’une rue qui descend vers la place du village d’Aghia Paraskevi, les vestiges d’une grande cheminée se dressent face à la vallée, telle une statue surréaliste qui rappelle le Christ Rédempteur qui veille sur Rio au Brésil. Ici, elle rappelle plutôt le cauchemar qu’a vécu cette femme qui refuse de nous parler. Le visage fermé, rougi par les larmes, elle regarde ce qui fut la pièce principale de sa maison. À gauche la salle de séjour marquée par cette terrible cheminée, à droite la cuisine. Le lave-vaisselle ouvert attend des couverts qui ne viendront jamais. Le réfrigérateur a explosé, fondu sous l’effet de la chaleur, ce qui laisse imaginer la violence des flammes. Un squelette de hamac sur ce qui fut une terrasse renvoie à un paradis perdu. Son fils, qui refuse aussi de parler, essaie de la consoler et de la faire partir. Il n’y arrive pas, alors c’est les voisins qui s’y mettent. Sans plus de succès.
La maison de Zaharia est juste en face. Âgé d’une cinquantaine d’années, ce petit homme râblé n’ose pas approcher sa voisine car sa propre habitation a été épargnée par les flammes. Seul son établi a brûlé : “Il était sous des pins que la mairie m’a empêché de couper. Si je l’avais fait il serait encore là”. Zaharia sait que l’heure n’est pas à la polémique, mais en aparté il nous explique, presque en colère, que les maisons du village qui ont brûlé sont celles dont les propriétaires n’avaient ni élagué les arbres de leur jardin ni débroussaillé. “On est en pleine forêt, lâche ce Roumain tombé amoureux de la Grèce. Les pompiers étaient ici en nombre suffisant. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient, mais avec des flammes de plusieurs mètres de haut, tu ne peux pas faire grand-chose ! En revanche en amont il y a des choses à faire, que les Grecs ne font pas. J’ai un arrosage automatique qui arrose trois fois par jour mon jardin, j’ai coupé les branches les plus basses des arbres autour. Je débroussaille mon jardin toutes les semaines. J’ai commencé à mouiller les murs de la maison bien avant l’incendie car avec une telle canicule et des vents aussi forts, je redoutais le feu”. Comme beaucoup, il a refusé d’être évacué : “Avec mes 100 kilos, il leur était difficile de me forcer à faire quoi que ce soit”.
Un peu plus bas dans le village, peu avant le dernier barrage de la police, Isaac, un volontaire, et Nikos, pompier municipal d’une trentaine d’années, éteignent les derniers foyers au sol. Ils font équipe depuis le début de la catastrophe et cela fait trois nuits qu’ils n’ont pas dormi. “C’est ça notre boulot, éteindre ces petits foyers. Sinon cela peut repartir à tout moment”. Ils tiendront encore jusqu’à la dernière étincelle. “J’ai eu le temps de montrer Parnitha à ma fille. Mais pour mes petits enfants, c’est foutu”, marmonne Isaac. “Je ne peux pas rester les bras croisés”.
Un front de 15 kilomètres
Ce vendredi, l’incendie de Parnitha n’avait plus, selon le porte-parole des pompiers “de gros foyers actifs”, mais les vents qui vont se lever dans les jours qui viennent risquent d’activer à nouveau les flammes. C’est exactement ce qui se passe dans le nord-est du pays où l’incendie autour de la ville portuaire d’Alexandroupoli fait rage depuis une semaine. Il s’est uni à celui qui ravage la réserve de Dadias, un biotope unique et protégé. Cette zone est un passage fréquent des migrants qui veulent entrer en Grèce. Le corps d’un nouvel exilé a ainsi été retrouvé carbonisé, ce vendredi, portant à 21 le nombre de morts, dont 19 migrants dans cette région de l’Evros.
Le front du feu dépasse les 15 kilomètres. Les incendies de Parnitha et d’Evros, plus que ceux de Beotie, alimentent ainsi une grosse polémique. Les journaux d’opposition ont ainsi publié une loi de 2021 signée par le Premier ministre conservateur Kiriakos Mitsotakis, qui limite le nombre de gardes forestiers et la protection des parcs et réserves naturelles comme Dadias et Parnitha, où vivent des cerfs, des oiseaux et des rapaces protégés. Le gouvernement n’a pas répondu à ces mises en cause, préférant mettre en avant les 163 interpellations et les 79 arrestations d’incendiaires présumés.
Mais au sein de la population, la colère n'en finit pourtant pas de monter face à ces feux à répétition, alimentant certains actes racistes sur base de fausses rumeurs imputant aux migrants l'origine des incendies.