Faut-il faire une croix sur le béton, le deuxième matériau le plus utilisé au monde ?
Très polluant, y compris à cause de son procédé de fabrication, le béton reste essentiel lors de la construction de nouvelles infrastructures. De plus en plus de nouveaux matériaux visant à en limiter l'utilisation font leur apparition. L’ère du béton touche-t-elle bientôt à sa fin ?
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Publié le 02-07-2017 à 12h10 - Mis à jour le 11-10-2020 à 12h00
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Le béton est utilisé depuis l’époque romaine. Suite à l’industrialisation de la fabrication du ciment au 19eme siècle, le béton s'est rendu indispensable au secteur de la construction. On estime que plus de 4 milliards de tonnes de ce matériau ont été produites dans le monde au cours de l’année 2019, dont 56% en Chine. Ces quantités impressionnantes en font la deuxième substance minérale la plus utilisée au monde, juste après l’eau.
La Belgique n’échappe pas à la règle. Selon Hervé Camerlynck, président de la Febelcem (Fédération de l’industrie cimentière belge), la consommation de ciment gris en Belgique se situe aux environ de 6,5 millions de tonnes par an.
Des bétons innovants
Son succès, le matériau le doit en partie aux nombreuses avancées technologiques, comme le béton à haute performance : “L’idée, c’est d’augmenter la capacité de résistance mécanique du béton et de pouvoir lui donner des formes qui sont beaucoup plus légères”, commente Hervé Camerlynck.
Depuis une dizaine d'années, la recherche a permis de développer de nouveaux types d’assemblages qui peuvent pallier certains problèmes. C’est par exemple le cas des bétons drainants ou encore des bétons auto-réparants. Autre innovation plus récente, le béton imprimé en 3D. La Belgique innove d'ailleurs en la matière. Au Kamp C de Westerlo, le centre provincial pour la durabilité et l’innovation dans la construction, une maison a été “imprimée” avec la plus grande imprimante 3D pour béton d’Europe. Composée de deux étages, la bâtisse de 90m2 a été imprimée en une seule pièce : une première mondiale.
Un procédé qui reste toutefois très anecdotique. “On n’a pas encore trouvé la vraie valeur ajoutée de l’impression 3D pour le béton, explique Hervé Camerlynck. Mais ça viendra, on continue de chercher.” Dans les prochaines années, l’impression 3D du béton va se perfectionner et pourrait, à terme, permettre des constructions réalisées plus rapidement et, surtout, à moindre coût.
Le problème de la pollution
S’il est robuste et permet de construire des structures impressionnantes, le béton représente un réel problème pour l’environnement. La réduction des émissions de CO2 est un défi crucial pour l’industrie cimentière, dont l'empreinte carbone est immense. L'organisation Chatam House estimait en 2018 qu'à elle seule, l'industrie du ciment génère 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit 2,8 milliards de tonnes. Selon la Febelcem, elle représente 10% des émissions de gaz à effet de serre en Wallonie.
Alors, pourquoi le béton pollue-t-il autant ? Pour l’expliquer, il faut revenir sur le procédé de fabrication. Cet assemblage est constitué de granulats, de sable, d’eau et enfin de ciment. Pour produire du ciment, il faut cuire le calcaire à deux reprises, à très haute température. Une première cuisson, à 850°C, permet le phénomène de décarbonatation. C’est à ce moment-là qu’un important dégagement de CO2 est observé. On estime que 60% des émissions totales de gaz à effet de serre du secteur résultent de ce procédé.
Ensuite, une deuxième cuisson expose la chaux à 1400 °C pour obtenir le clinker, la matière active du ciment qui réagit avec l’eau par la suite. “On a besoin de beaucoup d’énergie. Pour produire cette énergie, typiquement, on brûle des énergies fossiles et on émet donc beaucoup de CO2”, explique André Stephan, professeur à la Faculté d'architecture, d'ingénierie architecturale, d'urbanisme de l’UCLouvain.
En plus de la problématique des émissions de gaz à effet de serre, le béton nécessite des ressources naturelles importantes. Selon André Stephan, “l’industrie du béton exerce une pression énorme sur les ressources naturelles prêtes à l’utilisation, et sur les ressources issues d’autres filières”. C’est par exemple le cas du sable, qui se fait de plus en plus rare en raison de la limitation des zones d'extraction disponibles. Il faut donc prendre en compte les ressources matérielles en tant que telles, mais également les impacts environnementaux indirects de celles-ci.
Objectif zéro carbone 2050
Pour satisfaire les exigences imposées par l’accord de Paris, les émissions annuelles de CO2 liées au secteur du ciment doivent encore diminuer de 16% d’ici 2030. A plus long terme, l’industrie cimentière mondiale doit viser la neutralité carbone pour 2050. Pour faire face à l’urgence climatique, le béton se réinvente. Des changements structurels ont lieu petit à petit.
La première évolution consiste à utiliser des substituts au clinker, la partie émettrice de CO2 du ciment. Des recherches sont en cours dans plusieurs pays pour réduire la part du ciment dans le béton. Des bétons alternatifs voient également le jour : à base de géopolymères, ils peuvent réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 50% (à performances égales).
Pour le président de la Febelcem, c’est un domaine dans lequel la Belgique est à la pointe : “Cela fait plus d’un siècle que la Belgique utilise du ciment de hauts fourneaux et, aujourd’hui, il y a une grande part de nos ciments qui ne contiennent pas de clinker”. Mais c’est une particularité qui est propre à la Belgique et qui ne représente qu’une infime partie de la production mondiale de béton.
Un deuxième changement consiste à limiter l’usage des énergies fossiles par les cimenteries. En Belgique, selon les chiffres de la Febelcem, près de 60% des combustibles utilisés dans ce secteur sont des combustibles de substitution. Au lieu d’utiliser des énergies fossiles, les cimenteries belges utilisent par exemple du bois, des déchets de l’industrie agro-alimentaire ou des boues de stations d'épuration qui ont un contenu organique. “Depuis le début des années 80, on a mis en place des techniques pour pouvoir utiliser ces combustibles de substitution”, ajoute Hervé Camerlynck, président de la Febelcem.
Une troisième piste est également étudiée : la capture de CO2 par le béton. “De nouvelles études montrent que, durant son cycle de vie, ce matériau ré-absorbe des quantités non-négligeables de CO2”, commente le professeur André Stephan. C’est possible grâce à la carbonatation, procédé qui modifie la structure du béton : le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère peut alors être piégé dans le matériau. Une technologie très intéressante pour le secteur qui devrait se développer dans les années à venir. “On ne pourra pas atteindre la neutralité - donc 0 tonne de CO2 par tonne de ciment - sans faire de la capture de CO2”, estime ainsi le président de la Febelcem.
Construire autrement
Le secteur de la construction va sans doute également devoir se moderniser. Une des possibilités consisterait à se tourner vers de nouveaux matériaux, comme le bois lamellé-collé (BLC). A Melbourne, en Australie, un bâtiment de 10 étages en BLC a été construit. A Vancouver, c’est un bâtiment de 20 étages qui a vu le jour plus récemment. L’utilisation de bois structurel, qui permet de ne presque pas utiliser le béton, a le vent en poupe. L’un des avantages majeurs est qu’il permet de stocker du CO2, qui n’est donc pas libéré dans l’atmosphère. L’utilisation de bois rend possible également la limitation de l’usage d’autres matériaux (peintures, plâtre, etc.) et donc, de diminuer encore un peu les émissions de gaz à effet de serre sur le long terme.
Une autre piste envisage la construction de manière circulaire. La conception des bâtiments passe alors par des constructions qui s’adaptent aux besoins, sans devenir obsolètes. Cette vision implique de penser à la récupération des matériaux une fois le bâtiment en fin de vie. C’est le principe de l’urban mining. “On essaie de cartographier la ville et voir où sont le bois, le béton, l’acier… Ce que l’on peut réutiliser, quand et comment”, détaille le professeur André Stephan, qui travaille sur le sujet.
La mise en place d’outils qui permettent d’évaluer l’impact environnemental des éléments architecturaux ou des bâtiments est également essentielle. En Belgique, les trois régions ont présenté en 2018 l’outil TOTEM : il se base sur une analyse scientifique et neutre, adaptée au marché belge de la construction. Il permet également de stimuler l’innovation et encourage l’éco-conception des bâtiments et, surtout, peut déclencher une prise de conscience.
Une chose est sûre, aucune solution magique ne permet de construire sans émettre de gaz à effet de serre. “Il faut que tous les secteurs industriels se coordonnent et fassent des choses en même temps”, conclut le professeur André Stephan. “Si l’on continue comme on le fait aujourd’hui, même avec les meilleurs scénarios politiques, j’ai du mal à voir comment on va pouvoir atteindre l’objectif de 2050 si on n’opère pas un changement radical”.