Le parfum manipulateur des plantes: quand les odeurs deviennent des armes
Loin d’être des oiseaux pour le chat, certaines plantes ont développé des mécanismes étonnants pour lutter contre les insectes ravageurs. Les odeurs deviennent des "armes". Des scientifiques s’en inspirent pour développer des alternatives aux pesticides. Récit Gilles Toussaint
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- Publié le 20-08-2019 à 09h36
- Mis à jour le 20-08-2019 à 01h55
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Loin d’être des oiseaux pour le chat, certaines plantes ont développé des mécanismes étonnants pour lutter contre les insectes ravageurs. Les odeurs deviennent des "armes". Des scientifiques s’en inspirent pour développer des alternatives aux pesticides.Récit Gilles Toussaint Certes, elles arborent parfois des épines ou quelques poils urticants, mais les plantes semblent bien démunies face à l’appétit vorace des multiples insectes qui aiment se régaler de leurs feuilles, de leurs fruits ou de leur sève.
Détrompez-vous cependant, loin de servir passivement de buffet aux pucerons et aux chenilles, nombre d’entre elles ont développé de multiples stratégies pour faire face à ces envahisseurs. "Une plante présente ce que l’on appelle une odeur constitutive. C’est un parfum composé de nombreuses molécules dont se servent les insectes pour localiser les végétaux qu’ils apprécient. En réalité, ces derniers utilisent en effet très peu leur vision. Leur sens privilégié, c’est l’odorat", raconte François Verheggen avec la flamme des passionnés.
Recruter un prédateur
A priori défavorable, cette signature olfactive qui semble les offrir en victimes consentantes à leurs bourreaux peut aussi se retourner contre ces derniers. "Une fois que la plante est endommagée par un insecte, elle va investir une partie de son énergie dans la synthèse de composés qui vont induire une odeur différente", poursuit celui qui enseigne la zoologie à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège).
Une manœuvre qui répond à un double objectif : "En premier lieu, la plante produit une odeur répulsive. Un puceron, par exemple, qui perçoit l’odeur d’une plante déjà attaquée par d’autres, va s’en détourner. Ce qui évite d’aggraver la situation. Ensuite, et c’est encore plus fascinant, ces odeurs induites vont servir à la plante pour recruter d’autres insectes qui sont des prédateurs naturels de leur assaillant. Dans le cas du puceron, il peut s’agir de coccinelles ou du syrphe, une petite mouche pollinisatrice qui rassemble à une abeille. Le syrphe adulte ne s’attaque pas du tout au puceron, mais par contre ses larves ne mangent que cela en quantité très importante. Il est donc capable de détecter de façon très précise les odeurs de pucerons ou celles des plantes qui signalent la présence de pucerons."
Toutes les plantes ne sont cependant pas capables d’utiliser ce stratagème de manière absolument efficace, tempère le scientifique, car l’énergie mobilisée pour déployer ce processus ne pourra pas l’être pour la production de graines. Il y a donc toujours une forme d’équilibre coût-efficacité qui doit s’établir entre la maximisation de la production de graines et le déploiement de ressources défensives.
Stimuler les défenses naturelles
Alors que l’agriculture est appelée à réduire drastiquement l’utilisation de pesticides de synthèse, cette capacité des plantes à manipuler les insectes ravageurs suscite un intérêt grandissant parmi les chercheurs.
À Gembloux, François Verheggen et Nicolas Leroy, l’un de ses doctorants, mènent ainsi des expérimentations pour voir si un sol enrichi en silicium est capable de stimuler les défenses naturelles d’une plante en amenant celle-ci à moduler ses odeurs afin de moins éveiller l’appétence des ravageurs. Et les premiers résultats semblent plutôt encourageants.
Les empoisonneuses
Outre la manipulation par l’odeur, certains végétaux disposent aussi de moyens plus radicaux. La famille des choux, par exemple, est spécialisée dans la production de toxines contre les insectes. "À quelques exceptions près, vous pouvez placer plein de chenilles sur ces choux, aucune ne va survivre, illustre notre interlocuteur. C’est pour cette raison que la plupart des ravageurs de ces légumes sont des insectes ‘spécialistes’ qui ont évolué avec eux et se sont adaptés. Des pucerons qui sont capables d’ingérer ces toxines puis de les évacuer voire, pour d’autres, de les transmettre à leurs propres prédateurs."
En prudentes armurières, ces plantes disposent ainsi de compartiments séparés dans leurs cellules. "Chacun contient des ingrédients différents qui, s’ils sont mélangés, donnent naissance à un composant cyanogène très toxique pour les insectes. La chenille qui vient mâchouiller une feuille va briser ces cloisons et du coup s’empoisonner."
Simple et redoutablement efficace.