Sans les incendies, les séquoias géants auraient disparu
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- Publié le 21-08-2019 à 15h15
- Mis à jour le 23-08-2019 à 10h35
Un panache de fumée et des flammes s’élevant au-dessus de la Giant Forest, en Californie, et des célèbres séquoias millénaires qu’elle abrite. L’amorce, en ce mois de juillet 2019, d’un nouvel incendie catastrophique qui risquerait de ravager ces “merveilles américaines” ? Pas du tout. Au contraire, un geste humain délibéré, destiné à régénérer la forêt du Sequoia National Park.
Ce parc national abrite de nombreux séquoias géants, dont le “General Sherman”, mesurant 83 mètres de hauteur. Avec ses quelque 1500 m3, il est parfois considéré comme l’être vivant le plus volumineux de la planète. Et il continue à grandir… Endémique de la Sierra Nevada, chaîne de montagnes qui comprend aussi le fameux parc Yosemite, le séquoia géant se caractérise aussi par sa longévité puisqu’il peut atteindre plus de 3 000 ans. Le Général Sherman est ainsi contemporain de Jules César…

Doctorant audacieux
Un des secrets du séquoia, qui n’a été découvert que depuis quelques décennies ? Il a besoin du feu pour se reproduire. En effet, dans le passé, lorsque la politique était de stopper les incendies à tout prix dans les parcs nationaux, on remarquait que peu de nouveaux séquoias poussaient. Pour quelle raison ? Le mystère n’a été résolu que dans les années 60, lorsqu’un doctorant, Richard Hartesveldt, étudia l’impact des activités humaines sur les séquoias géants du parc Yosemite, en particulier la relation entre les incendies et la régénération de l’arbre. “Sans le feu, le séquoia géant deviendrait une espèce en voie de disparition”, résumera-t-il plus tard. Tournant le dos à quasi un siècle de suppression totale des incendies, il mène des expérimentations avec des “prescribed fires”, du “brûlage dirigé” à petite échelle, qui résulte en la germination des graines de séquoias et en de nouveaux plants, alors que cela n’arrive pas en l’absence de feux.

Les cônes éclatent
“Depuis ces expériences, les chercheurs ont continué à démontrer les bienfaits du feu sur les séquoias, explique-t-on au Sequoia National Park. La dendrochronologie a déterminé que des incendies de surface de faible intensité balayent les grands arbres tous les 5 à 15 ans environ. Les séquoias comptent sur le feu pour libérer la plupart de leurs graines de leur cône – la chaleur intense fait éclater les cônes, équivalents des pommes de pin, les écailles s'écartant, NdlR-, pour exposer le sol nu et enrichi en matière minérale, dans lequel les semis peuvent prendre racine, pour recycler les nutriments dans le sol et créer des trous dans la canopée, par lesquels le soleil peut atteindre les jeunes pousses.”
Dans le même temps, les séquoias sont naturellement équipés contre le feu : leur écorce épaisse jusqu’à un mètre pour les plus vieux offre une véritable gaine de protection.
Sans oublier que les incendies mettent aussi à mal la compétition, comme le sapin du Colorado et le cèdre blanc de Californie qui aiment l’ombre et peuvent essaimer dans un sous-bois encombré, ce qui était favorisé par la suppression totale des feux. Alors qu’en fait, le bois mort et les broussailles servent de carburant à de catastrophiques incendies. Soulignant que le feu fait partie de l’écosystème local, dans le Yosemite et le Sequoia National Park, les autorités pratiquent à présent le “brûlage dirigé” ou encore la gestion des feux naturels causés par la foudre – en prenant en compte l’état de la végétation et les conditions météo – afin de protéger leurs précieux séquoias de feux incontrôlés et dévastateurs – et dans le même temps favoriser leur régénération.

Tous les feux qui se déclarent ne sont pas laissés en l’état, mais la recherche a démontré que les zones où sont pratiqués les brûlages contrôlés connaissent moins de mortalité d’arbres et sont plus à même de survivre à des incendies intenses.
Australie, Chili, Canada…
Comme nous l’expliquait Marc Dufrêne, professeur à Gembloux Agro-Bio Tech, les forêts californiennes sont des écosystèmes qui ont l’habitude de brûler et ont toujours brûlé ; la végétation a été naturellement sélectionnée en ce sens. Même constat dans les forêts boréales comme au Canada – les fruits du pin gris, récouverts d'un revêtement cireux ont aussi besoin de chaleur pour s'ouvrir- et dans toutes les forêts de type méditerranéen (Californie, Australie, Chili, pourtour de la Méditerranée…).
Ainsi, en 2015, une étude a montré que lors d’un incendie à Valence (Espagne), seul 12 cyprès sur 946 avaient brûlé. La raison ? Les feuilles du cyprès, grâce à leur forme d’écaille, sont capables de retenir l’eau, avec jusqu’à 96 % d’humidité. En outre, quand le feu approche et que la température de l’arbre atteint 60 °C, celui-ci libère une partie de sa résine inflammable, ce qui réduit le risque de se consumer – et prévient même, grâce à ces composés organiques volatils, les cyprès voisins avant que leur température n’augmente (nous revenons sur cette capacité étonnante dans cet épisode de la série).

“Vital”
De manière générale, en Méditerranée, les incendies peuvent aussi constituer un véritable facteur écologique, “parfois vital” dans les écosystèmes. “Au cours de l’évolution, certaines plantes se sont adaptées aux effets du feu en développant des tissus plus coriaces, plus spongieux, des racines plus profondes”, énumère-t-on à l’Inra (Institut français de la recherche agronomique). Les graines, fruits ou cônes de certains végétaux peuvent aussi résister au feu et les écorces de certains arbres être difficilement inflammables. Par exemple, le chêne-liège fait partie de ces espèces dites pyrophiles. “Son écorce épaisse et isolante ne brûle que superficiellement. Ainsi, les tissus profonds conducteurs de sève sont protégés. […] Après le passage d’un feu, des bourgeons dormants’présents sous l’écorce peuvent conduire à la formation de nouvelles pousses. Ces mécanismes de régénération permettent aux chênes-lièges de retrouver leur feuillage environ vingt mois après le passage du feu.”

Premières espèces à recoloniser un milieu incendié, certains pins méditerranéens sont aussi particulièrement adaptés au passage du feu. Les jeunes plans se développent très vite et bien dans les milieux ensoleillés où le sol est fertilisé par les cendres. Quant aux graines de nombreuses cistes, arbrisseaux typiques des garrigues, elles ne peuvent même germer qu’après un épisode d’incendie.

A savoir
Série d’été. Cette semaine, La Libre vous propose de partir à la découverte des capacités étonnantes développées par certaines espèces de plantes ou d’animaux. Un domaine où le champ des découvertes reste largement à défricher.
À suivre ce vendredi : Et si les arbres “parlaient” entre eux ? Ils s’échangent des signaux olfactifs sur la qualité de l’air, du sol ou encore sur une agression potentielle. Une réelle forme de communication.