Et si le fumier, les fientes de poules et les déchets verts servaient à créer l'énergie de demain ?
Pour respecter ses objectifs climatiques, la Belgique compte notamment sur la biométhanisation, un processus biologique qui produit tant du biogaz que du fertilisant. Pourtant, celui-ci reste méconnu. Qu’est-ce que la biométhanisation ? Quels sont ses avantages et ses défauts ? Pourquoi les espérances politiques ne se concrétisent encore que peu en terres wallonnes ? Et que pouvons-nous en attendre dans le futur ? Dans le cadre de son dossier "C'est pour demain", La Libre tente de répondre à toutes ces questions.
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- Publié le 13-09-2020 à 12h04
- Mis à jour le 13-09-2020 à 12h16
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"Les enjeux autour de l’agriculture sont colossaux ! Je plaide pour une agriculture qui produit le plus de nourriture possible sur base des ressources disponibles. Pour cela, nous devons repenser le système agricole dans son ensemble, changer les mentalités et favoriser le développement d’un cadre qui encouragera la coopération entre fermiers et autres professionnels", plaide le jeune agriculteur Marc-André Henin. Avec sa sœur et son frère, ils reprennent la ferme familiale et, du même coup, rêvent celle de demain.
Les "ressources disponibles" sont parfois inattendues : fumier et lisier bovins, déchets verts, ensilage d’herbes et de maïs, boues extraites des stations d’épuration et fientes de poules… Grâce à un processus de biométhanisation, toutes ces matières organiques peuvent être valorisées et contribuer à la production de fertilisant, de chaleur et d’électricité. S’ils sont de qualité, ces effluents agricoles peuvent donc aider l’assainissement de la filière alimentaire mais aussi la transition énergétique.
Concrètement, comment ça fonctionne ? L’asbl ValBiom, qui encourage la valorisation de la biomasse, assimile la biométhanisation à la transformation qui a lieu dans le rumen d’une vache, mais d’énormes cuves appelées digesteurs remplacent les panses animales. À température constante et sans oxygène, les matières entrantes y sont biologiquement dégradées par des micro-organismes. Cette fermentation produit du biogaz, principalement composé de méthane et de gaz carbonique, et du digestat.

Biogaz et digestat, à votre service
Le biogaz peut être utilisé de différentes manières. Sa combustion génère de la chaleur mais la chaleur verte n’est pas économiquement soutenue en Wallonie. Ce type de valorisation est donc financièrement peu intéressant.
Du coup, les installations wallonnes optent le plus souvent pour une cogénération, c’est-à-dire une production d’électricité avec un système de récupération de la chaleur. Cette énergie permet d’une part d’assurer l’autonomie du processus de biométhanisation, et d’autre part d’alimenter diverses installations. Dans le cas d’une ferme, elle peut servir au séchage de bois ou de foin. La part restante des énergies est perdue ou revendue. En effet, l’énergie électrique est réinjectable sur le réseau. Ce verdissement est, lui, économiquement soutenu par l’attribution de certificats verts.
Enfin, le digestat, dernier produit de la biométhanisation, a une grande valeur agronomique. Il peut se substituer aux produits fertilisants de synthèse onéreux et énergivores à la production. Un échange peut alors intéresser les agriculteurs : ils amènent leurs résidus organiques et reçoivent en contrepartie du digestat.
LA BIOMETHANISATION EN IMAGES
Outre cette production directe et concrète, Cécile Heneffe, cheffe de projet Biométhanisation pour l’asbl ValBiom, explique que soutenir ce secteur, c’est aussi rendre service au sol, à la recherche, à l’innovation et à l’emploi wallon. En fonction de sa taille et de son activité, une unité de biométhanisation nécessite un à cinq travailleurs. "En plus des emplois directs, ce sont des emplois indirects et locaux qui vont être maintenus ou créés. Il y a de l'entretien, de la matière organique à acheminer et parfois des contractualisations avec d'autres agriculteurs. Des écosystèmes peuvent se créer autour des unités", insiste Cécile Heneffe avec un certain enthousiasme. "Pour les fermiers, ce sont des sources potentielles de revenus directs ou indirects. Soit, ils sont payés pour de l’épandage ou du transport de matières. Soit, sans participer financièrement au projet, ils obtiennent des garanties de revenus en contractualisant certaines matières avec une unité." Des revenus qui ne seront donc plus dépendants des prix internationaux, comme ceux liés au froment ou au sucre.
Limites physiques et technologiques
Petit pays densément peuplé, la Belgique ne peut certainement pas compter uniquement sur le biogaz pour couvrir l’entièreté de sa consommation de gaz actuelle. Consacrer l’entièreté des sols agricoles à la production de ce biogaz ne permettrait pas d’assouvir notre consommation. La biométhanisation ne pourra pas relever à elle seule le défi de la neutralité carbone. C’est une piste intéressante qui doit faire partie d’un ensemble de solutions.
Toute nouvelle technologie présentée comme écologiquement prometteuse se heurte à une même question : d’où proviennent les matériaux nécessaires à son fonctionnement ? "La grande majorité des composantes d'une unité de biométhanisation sont des matériaux issus de l’industrie de la chimie : des bétons, des isolants traditionnels, des géomembranes", décompose Cécile Heneffe. "Ensuite, il y a des moteurs et, évidemment, un système d'automation. Ce sont des composants électroniques traditionnels. Ils ne sont pas complètement exempts de terres rares, toutefois la proportion est extrêmement faible."
Et demain ?
La semaine du 14 au 20 septembre plus exactement. Pour la première fois en Wallonie, une installation wallonne va injecter du biogaz directement sur le réseau de gaz naturel. En effet, certaines unités parviennent à épurer et compresser le biogaz afin de produire du biométhane qui peut servir comme carburant ou être réinjecté dans le réseau de gaz naturel. "C’est vers ces types de valorisation qu’on se dirige, estime Dimitri Burniaux, président de la Fédération des Biométhaniseurs Agricoles (FEBA). La valorisation en biométhane va probablement coexister avec les unités de cogénération actuelles."
À Viroinval, l’agriculteur namurois Daniel Coulonval inaugurera mi-décembre une nouvelle station-service entièrement alimentée par une unité de biométhanisation. "L'idée nous est venue parce qu'on avait du gaz excédentaire. Les infrastructures nécessaires à la production et à la distribution du gaz représentent un investissement important, de l’ordre de 400.000 euros. Si on ne vend que du carburant, on n’est pas rentable mais les nouvelles installations vont assurer une durée de vie beaucoup plus longue à notre unité de biométhanisation. On mutualise donc les frais", précise cet ex-président de la Fédération Wallonne de l’Agriculture et ancien conseiller au cabinet du ministre-président de la Région wallonne, Elio Di Rupo (PS). Pour que cet élan devienne un succès, il lui reste à convaincre les citoyens de sa commune de rouler avec des véhicules au gaz naturel. "Le durable qui n’est pas économiquement stable n’est pas durable. Même si je ne gagne pas beaucoup d’argent, ce n’est pas grave. Je porte une alternative concrète pour décarboniser les carburants grâce à la biomasse."


Pourquoi ça cale chez les Wallons ?
Au sud du pays, il reste du boulot pour développer cette filière qui grandit en Allemagne, en France et en Flandre. En Wallonie, où les fermes sont plus petites, les premiers projets ont été portés par des agriculteurs qui ont vu le potentiel existant dans les matières organiques. Cependant, la plupart d’entre eux n’ont ni le temps ni les moyens d’apprendre un nouveau métier : producteur d’énergie et d’engrais naturels. "Avec nos journées de travail et les prêts à la banque, il ne reste plus beaucoup de temps pour se former, financer, arriver à convaincre et rassembler assez d’agriculteurs intéressés pour alimenter une même unité. Peut-être qu’un mécanisme encourageant les entrepreneurs à mener de tels projets en partenariat avec les possesseurs des matières serait une solution", imagine l’agriculteur Marc-André Henin.
En 2013, l’éclatement de la bulle des certificats verts a mis un net coup de frein aux projets en cours de développement. Après la revalorisation des certificats verts l’année suivante, il a fallu relancer de longues démarches. Dans les conditions actuelles de la législation, il faut trois à cinq ans pour qu’une unité sorte de terre.
Un autre obstacle est celui de la valorisation de la chaleur. La production d’énergie thermique, difficilement transportable et donc vendable, ne bénéficie d’aucun mécanisme de soutien qui pourrait encourager son optimisation. Elle est pourtant une source potentielle de revenus dans le business plan des projets de biométhanisation.
La Belgique compte sur le biogaz et la biométhanisation pour atteindre les objectifs climatiques annoncés à l’Europe. Et les politiques wallons ont annoncé du changement. "La vision globale proposée est intéressante et positive, estime Cécile Heneffe. Les récentes avancées législatives, notamment avec la reconnaissance européenne en 2019 du digestat comme matière de qualité, donnent un bon signal. On s'attend maintenant à la mise en place de nouveaux mécanismes de soutien."