5G : un bilan énergétique et écologique qui fait débat
Vitesse améliorée et latence réduite : les avancées de la 5G semblent prometteuses. Les défenseurs de la sobriété numérique pointent de leur côté son importante empreinte écologique.
- Publié le 14-09-2020 à 14h43
- Mis à jour le 14-09-2020 à 14h44
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"Télécharger un film de 5 GB en 40 secondes au lieu de 6 minutes." Proximus, l’un des cinq opérateurs belges à avoir reçu les droits d’utilisation, ne cesse de chanter les louanges de la 5G par rapport aux générations précédentes. Mais obtenir des débits dix fois plus rapides a un coût, surtout énergétique. Avec une croissance qui double tous les neuf ans (1) pour le secteur du numérique, l’arrivée de la 5G risque d’accélérer les émissions de gaz à effet de serre à un rythme sans précédent.
"La cinquième génération de technologie de téléphonie mobile est la dernière couche d’un empilement technologique depuis la 1G", constate Anne-Cécile Orgerie, chercheuse au CNRS. Alors qu’il existe divers scénarios de déploiement, aucune stratégie de démantèlement des anciens équipements n’est pourtant envisagée.
Les ondes millimétriques utilisées pour la 5G ont une portée plus courte et un faible taux de pénétration. Il faudra donc augmenter le nombre de dispositifs pour avoir une couverture et un débit dignes de la 5G. Une étude du cabinet Tactis a estimé à près d’un tiers le nombre de sites supplémentaires à ériger dans les zones périurbaines.
Plus nombreux, les équipements seront aussi plus énergivores. Selon un livre blanc publié par le géant chinois Huawei, les stations de base 5G seraient jusqu’à trois fois et demie plus gourmandes en énergie.
À cette voracité énergétique s’ajoutent l’obligatoire renouvellement du parc des smartphones et l’absence d’un système de recyclage efficient. Selon un rapport de l’Ademe (l’agence française de l’environnement) de 2018, une cinquantaine de métaux et plus généralement 70 matériaux différents interviendraient dans leur fabrication. Un bilan auquel viennent s’ajouter les ravages écologiques et les violations des droits humains causés par l’industrie minière dans certaines zones d’extraction comme dans la région des Grands Lacs, en Afrique de l’Est. Multipliées par trois, ces nouvelles données devront aussi être stockées dans des data centers et réseaux fixes, eux aussi très gros consommateurs d’énergie, souligne Anne-Cécile Orgerie.
Dans les pays où la 5G est déjà opérationnelle, cette surconsommation inquiète. C’est le cas en Chine, où Unicom a annoncé mettre ses stations en pause durant la nuit afin de soulager le réseau électrique.
Effet rebond
Plus d’équipements, plus de données, plus de stockage. De ce triptyque découle l’un des effets indirects les plus pervers et paradoxaux du progrès technologie : celui du rebond.
"L’accélération des débits créera un appel d’air qui boostera la consommation de plus de données", s’inquiète Hugues Ferrebœuf, le directeur du projet "sobriété" au Shift Project, un groupe de réflexion sur la transition énergétique. En raison d’un accès haut débit aux données, les utilisateurs de 5G en dévorent toujours plus, au risque d’effacer les bénéfices énergétiques des performances technologiques.
Si les détracteurs de la 5G fustigent cette surconsommation, pour ses partisans, le progrès technique intégrerait les enjeux énergétiques dès la conception des réseaux. Ils mettent également en avant les gains en la matière que pourraient apporter certaines de ses applications, telle une meilleure gestion de la consommation des équipements domestiques.
Une empreinte carbone difficile à maîtriser
L’opérateur Orange communique ainsi sur la mise en place de "mécanismes d’efficacité calibrés" couplés avec "des modes ‘veille’ avancés". Orange Lab, la division recherche et développement du groupe, a conçu des équipements permettant de mieux cibler les émissions de données vers les smartphones utilisant la 5G en haut débit.
Selon Éric Hardouin, le directeur du domaine de recherche Connectivité ambiante d’Orange, cette focalisation spatiale est très prometteuse : "Si une antenne 5G consomme en moyenne aujourd’hui trois fois plus qu’une antenne 4G, ce rapport devrait passer à 50 % à l’horizon 2021 et à 25 % en 2022." Quant aux nouveaux systèmes de mise en veille, ils pourraient réaliser jusqu’à 50 % d’économies d’énergie, affirme Orange.
Alors que la 5G arrive à peine sur le Vieux Continent, les regards sont déjà tournés vers la génération suivante. Toujours plus rapide, la 6G présage aussi des records de consommation énergétique. Dans cette course technologique, partisans et opposants s’accordent sur un point : l’indispensable travail de pédagogie et d’accompagnement des clients. Car, si aucun effort de consommation n’est réalisé par les utilisateurs, la pollution numérique pourrait devenir la première cause d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Un nouveau signal d’alarme pour la protection de la planète.
La sensible question des ondes
Déjà opérationnelle en Chine ou en Corée du Sud, la 5G est désormais autorisée pour cinq opérateurs en Belgique. Pourtant, son déploiement se heurte à de vives critiques, voire au refus de certaines communes de la développer sur leur territoire en raison du flou sanitaire qui entoure cette technologie.
Lobbes et Nivelles ont ainsi refusé l’installation du nouveau réseau de téléphonie mobile tant que les autorités locales n’auront pas reçu les évaluations sanitaires et environnementales de la Région wallonne. Et pour cause, par le déploiement massif de nouvelles antennes, le "fog électromagnétique" dans lequel nous vivons n’en sera que densifié. En découle une exposition plus grande aux ondes, dont on ignore les réelles conséquences sur la biodiversité et la santé humaine.
Outre certains effets suspectés sur des insectes, certains mammifères présenteraient aussi des signes d’"électro-hypersensibilité". Une étude du professeur émérite André Vander Vort (UCLouvain) sur des rats de laboratoire a dressé deux effets potentiels des micro-ondes : une hausse des risques de cancers et une accélération par deux de leur vieillissement.
Un gros manque de données
Si la pollution électromagnétique semble avérée auprès de certaines espèces animales, aucune recherche médicale n’a mis en évidence de menaces sur la santé humaine. En France, le rapport de l’Anses (l’agence nationale de santé publique) publié en janvier 2020 souligne cependant " un manque important, voire une absence, de données relatives aux effets biologiques et sanitaires " permettant d’évaluer les risques de la 5G pour la santé.
Dénonçant des "théories de conspiration" , l’Institut scientifique de santé publique belge, Sciensano, tente de rassurer les futurs utilisateurs du réseau : "Les effets de la 5G se produiront principalement dans les couches superficielles de la peau et des yeux et non dans les tissus plus profonds ." Un avis vertement critiqué par Paul Lannoye, président de l’ASBL Grappe, qui pointe notamment du doigt le fait que Sciensano se réfère aux effets thermiques mais en aucun cas aux effets biologiques.
À l’échelle internationale, l’OMS publiera courant 2022 une évaluation sur les risques pour la santé liés à l’exposition aux radiofréquences.
La Ville de Bruxelles prévoit quant à elle l’organisation d’un débat public sur les enjeux "technologiques, socio-économiques, sanitaires et environnementaux" de la 5G, d’ici au mois de juin 2021.
(1) Kevin Marquet, Jacques Combaz et Francoise Berthoud, "Introduction aux impacts environnementaux du numérique", in "1024", bulletin de la Société informatique de France, pp. 85-97, 2019.
