Espèces en déclin : qui sont les gagnants et les perdants de ces 30 dernières années en Belgique ?
C'est inédit : le WWF, en association avec plusieurs ONG et institutions scientifiques belges publie le premier "index planète vivante" consacré à notre pays, un indicateur mesurant l'évolution de la biodiversité sur notre territoire. Bonne nouvelle : il révèle une hausse légère de la taille des populations de 283 animaux sur ces 30 dernières années. Mais un tiers des espèces étudiées restent en diminution, en sachant qu'en outre notre pays a connu un fort déclin en matière de biodiversité avant 1990. Alors quelles sont les espèces gagnantes et perdantes depuis cette époque ? Passage en revue.
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Publié le 14-09-2020 à 05h00 - Mis à jour le 14-09-2020 à 11h12
Demoiselles, moineaux, salamandres… Sur ces trente dernières années, quels sont les gagnants et les perdants de la biodiversité en Belgique ? Pour la première fois, un rapport permet de répondre à cette question dans notre pays. Ensemble, des ONG et des institutions scientifiques belges, emmenées par le WWF, ont établi un “index Planète vivante”, indicateur de l’évolution de la biodiversité (diversité du vivant) pour la Belgique. Le Fonds mondial pour la nature réalisait déjà cet index à un niveau global, sur toute la planète. Celui-ci, en 2018, montrait que l’effectif de nombreuses populations de mammifère, de reptiles et d’amphibiens à travers le monde avait été réduit de 60 % en 40 ans.
En Belgique, la collaboration scientifique “sans précédent”, qui implique par exemple l’Institut des Sciences naturelles ou Natagora, a eu pour but de rassembler un maximum de données exploitables sur l’abondance des espèces et leur taux d’occupation spatiale. Concrètement, l’index Planète vivante (IPV) mesure la variation moyenne de la taille des populations de 283 espèces d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens, de reptiles et d’insectes, entre 1990 et 2018. Principal résultat ? L’IPV belge indique une légère augmentation (+ 5, 7 % soit une augmentation de 0,2 % par an) pour la période 1990-2018 et une stabilité ces dix dernières années. Mais avertissent d’emblée les auteurs du rapport, “il faut nuancer cette tendance générale en fonction des groupes d’espèces et d’habitats" Car "cela ne signifie pas que la biodiversité se porte bien : globalement, 28 % des espèces étudiées sont en diminution et ce chiffre peut même grimper à 74 % d'espèces en diminution dans certains habitats (zones agricoles)." En outre, “plusieurs études montrent que la biodiversité en Belgique a connu un fort déclin avant les années 1990, soit avant la période qui a pu être couverte par l’IPV. Si l’on pouvait comparer la situation actuelle à celle qu’a connue la Belgique dans la première moitié du vingtième siècle, la conclusion serait probablement que la biodiversité a atteint un niveau historiquement bas”, signalent encore les auteurs.
LES GAGNANTS

Pour explorer de façon plus approfondie les dynamiques se cachant derrière l’IPV national, des index ont aussi été calculés par grand type d’habitat. Ceux-ci sont calculés à partir des tendances des espèces liées directement à l’habitat concerné. Sur les quatre habitats pris en compte, deux se révèlent gagnants : les zones naturelles ouvertes, et les zones humides. L’IPV montre que dans les zones humides (marais, cours d’eau et eaux stagnantes), les populations animales augmentent de 1, 4 % par an en moyenne, ce qui représente une hausse de 47,6 % au cours des 28 dernières années. Parmi les 80 espèces recensées (oiseaux, odonates, sauterelles, amphibiens…), seules huit sont en déclin. Les index sont en hausse tant pour la Flandre (1,2 % par an) que pour la Wallonie (1,3). Pourquoi cette amélioration ? Selon les auteurs du rapport, elle est l’effet de nos efforts de protection de la nature. En l’occurrence, la directive-cadre sur l’eau et celle sur les oiseaux, qui ont permis de créer des zones de conservation en Europe, ou encore les restaurations d’habitats menées dans le cadre des projets européens Life. Cependant, seules 27 % des masses d’eau de surface sont “en bon état écologique” en Belgique, avertissent les auteurs. Autre habitat à plutôt tirer son épingle du jeu, les zones naturelles ouvertes (prairies naturelles résultant de l’activité d’élevage, et landes), qui enregistrent une hausse de 15 % sur la période. Parmi les 52 espèces concernées, “seule” une quinzaine est en déclin.
Profitant de l’amélioration de la qualité de l’eau et des projets de restauration, les libellules et les demoiselles se portent mieux : leur taux d’occupation augmente chaque année de 1, 3 %. Par ailleurs, bien qu’à l’échelle mondiale, de nombreux amphibiens et reptiles sont menacés, en Belgique 7 des 12 espèces d’amphibiens et 4 des 6 espèces de reptiles étudiées ont vu leur taux d’occupation croître. Là aussi, “un signe encourageant pour les initiatives locales de conservation et les programmes ciblé de protection des espèces”. Exemple ? La rainette verte, qui à l’aube du XXIe siècle était "dans une situation dramatique". A présent, les effectifs sont en progression, notamment grâce à la création d’étangs et de mares.

Grâce à une directive européenne qui le protège, le bannissement de certains pesticides, et des programmes de réintroduction, le faucon pèlerin est quant à lui réapparu en Belgique dans les années 90. On compte à présent 80 couples nicheurs. La répartition des sauterelles et criquets connaît elle aussi une tendance positive. “Ce sont en général des espèces thermophiles, dont la propagation est favorisée par le réchauffement climatique”, remarquent les auteurs. En effet, les scientifiques ont voulu analyser l’effet du changement climatique sur la distribution des espèces en Belgique. Leur conclusion : les espèces qualifiées de méridionales (ce qui est déterminé sur base de la moyenne des températures annuelles sur l’air de répartition de l’espèce) se portent mieux que les espèces à tendances septentrionales. On observe une hausse modérée des premières (28, 5 % sur la période). La libellule écarlate, par exemple, une espèce méridionale, est en augmentation chez nous.

LES PERDANTS
Le rapport identifie clairement les zones agricoles et leurs “hôtes” comme les grands perdants sur ces trente dernières années. L’IPV des zones agricoles est calculé en fonction des oiseaux, seule espèce présente dans l’étude spécifique à cet habitat. “Les populations d’oiseaux évoluant en milieu agricole régressent à une vitesse alarmante”, alerte le rapport. Elles diminuent en moyenne de 3, 3 % par an. Ces populations ont donc baissé en moyenne de 60, 9 % entre 1990 et 2018. “Ces chiffres sont inquiétants d’autant plus que les zones agricoles couvrent une grande surface du territoire belge (43 % en Wallonie et 45 % en Flandre)”. En Belgique, le moineau friquet est une des espèces déclinant le plus. “De nombreuses études montrent que le déclin vertigineux des populations d'oiseaux en Belgique et en Europe est associé à l’intensification des pratiques agricoles. L’agriculture intensive nuit considérablement à l’environnement par sa contribution à l’eutrophisation et à l’assèchement des sols, par l’usage excessif de pesticides et par la généralisation des monocultures, supprimant divers éléments du maillage écologique et mettant en péril les fleurs sauvages, les insectes ou encore les oiseaux”, souligne le rapport du WWF.
Les forêts constituent l’autre habitat “perdant”. Les populations d’espèces forestières perdent chaque année en moyenne 1, 1 % de leurs effectifs (-26, 6 % sur la période). Près de la moitié des espèces considérées sont en déclin. Pour un certain nombre d’oiseaux, comme le loriot d’Europe, la situation apparaît particulièrement sérieuse. Certains experts attribuent ce déclin d’oiseaux à un déséquilibre dans les nutriments en raison de l’acidification des forêts.

Comme un tiers des espèces étudiées, la vipère péliade, qui apprécie entre autres les lisières forestières, a tendance à décliner dans notre pays. La population du cuivré de la verge d’or, un papillon, connaît également une forte diminution. La salamandre tachetée, qui fréquente les forêts feuillues, voit sa survie menacée par un champignon pathogène venu d’Asie du Sud-Est, qui fait mourir les amphibiens en trois semaines. "Dans les milieux forestiers, notre recommandation est de prévoir de la place pour les processus naturels, indique Antoine Lebrun, CEO du WWF Belgique. Ce qui explique la disparition de la biodiversité dans les espaces forestiers, c'est la disparition du bois mort qui est la base du système alimentaire, la disparition de ce que l'on appelle les forêts de lisières, et c'est aussi la disparition de la diversité des forêts, en espèces d'arbres et en âge. On a besoin de forêts qui soient mixtes."

De façon a priori étonnante, malgré la tendance positive générale pour l’espèce, certaines libellules et demoiselles, comme le Sympétrum à corps déprimé, sont en déclin. Les experts font l’hypothèse que les espèces qui ne vivent que dans un habitat bien spécifique se portent moins bien que les espèces généralistes. De façon générale, à l’inverse des espèces méridionales, les espèces qualifiées de septentrionales, souffrent du réchauffement climatique : 37 % de telles espèces sont en diminution.
En conclusion, les auteurs remarquent que beaucoup d'espèces n'ont pu être intégrées dans le calcul, par manque de données adéquates. Pour assurer un suivi adéquat de la biodiversité, il est indispensable de disposer de suffisamment de données (de préfère d'abondance) qui soient standardisées et répétées sur le long terme. Cela n'existe pas pour de nombreuses espèces, remarquent les auteurs du rapport qui appellent à une amélioration du suivi, afin de pemettre de prendre des mesures nécessaires en temps utile.