L’empreinte du réchauffement climatique est déjà nettement marquée en Belgique
Tout frais, tout chaud… L’Institut Royal Météorologique a présenté ce jeudi matin une mise à jour de l’état des connaissances relatives au climat présent et futur dans notre pays. La précédente édition remontait à 2015, cinq années marquées par plusieurs évolutions notables qui illustrent les dérèglements climatiques en cours.
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Publié le 15-10-2020 à 13h00 - Mis à jour le 15-10-2020 à 19h12
De manière générale, souligne le rapport, ces évolutions « sont beaucoup moins marquées pour les précipitations que pour les températures ». Une différence qui s’explique « en partie par la très grande variabilité des précipitations dans nos régions d’une année à l’autre. »
« Les climatologues prévoient depuis de nombreuses années une augmentation de la température, qui se traduirait par une augmentation des vagues de chaleur, des températures extrêmes chaudes, par une prolongation et intensification des périodes de sécheresses, complète Émilie Delhaye, la porte-parole de l’IRM. Mais il est vrai que ces cinq dernières années, nous avons été surpris par la fréquence des vagues de chaleur (au moins une par an) et par les températures qui ont frôlé ou même dépassé les 40°C dans certaines régions de la Belgique. L’accélération des manifestations du changement climatique est surprenante. »
Un constat qui ne repose pas sur de vagues impressions mais sur d’énormes quantités de données collectées par les scientifiques de l’IRM depuis plusieurs décennies, dans les stations de mesure de Saint-Josse-ten-Noode (dès 1833), d’Uccle (depuis 1886) et via un réseau climatologique qui compte 220 stations dans tout le pays où des observateurs effectuent religieusement des relevés chaque matin.
1. Il fait indiscutablement plus chaud.
Le réchauffement climatique est clairement visible dans les observations de l’IRM à Uccle et dans toute la Belgique, pointe le rapport, qui souligne que l’impact social de ce phénomène se fait également de plus en plus sentir.
Parmi les faits notables, on relève qu’une hausse de la température de 2,1°C est observée en moyenne annuelle entre le milieu du XXe siècle et les trois dernières décennies, à Uccle. Les six dernières années les plus chaudes ont en outre été enregistrées depuis 2015, avec un record de chaleur absolu de 39,7°C établi le 25 juillet 2019. A l’échelle nationale, l’augmentation annuelle moyenne est de +1,9°C depuis 1890.
Tant les températures hivernales et estivales que nocturnes sont en augmentation. Depuis 1981, on a gagné +0,38°C en moyenne par décennie, une hausse qualifiée de « significative ».
Les vagues de chaleur sont également devenues plus récurrentes, plus longues et plus intenses. Du côté des vagues de froid (des températures négatives enregistrées tout au long de la journée pendant au moins cinq jours d’affilée) par contre, il n’y a à ce stade pas d’évolution significative.
A noter que l’écart entre la poussée du thermomètre observée chez nous et la hausse de la température moyenne mondiale (estimée à +1,1°C par rapport à la période préindustrielle 1850-1900) s’explique par le fait qu’à l’échelle globale une large part de cet excédent de température est absorbée par les océans.
2. Des printemps moins pluvieux
Renommée pour son ciel plombé et ses pluies régulières, la Belgique reste la Belgique. Les mesures enregistrées à Uccle montrent en effet des changements beaucoup moins marquants pour les précipitations. Le cumul pluviométrique annuel a bien progressé de 9% entre le milieu du XXe siècle et les trois dernières décennies à Uccle, et on relève une légère tendance à l’augmentation depuis 1981, mais celle-ci n’est pas significative, estime l’IRM, précisant que les pluies hivernales suivent une tendance similaire. A l’échelle du pays, l’augmentation moyenne des précipitations est de l’ordre de 15 %.
En été et annuellement, la fréquence des journées de pluie abondantes (au moins 20 mm) a aussi augmenté depuis 1981.
Les printemps sont cependant moins pluvieux depuis 1981 (-9 mm par décennie), alors que les années 80 s’étaient illustrées par des printemps relativement humides
Côté neige, on ne peut conclure à aucun chamboulement majeur en l’état, tant la situation varie d’une année à l’autre depuis le début des années 2000. Ce qu’illustre l’année 2010 où un record de chutes de neige a été enregistré à Uccle, tandis que ces six dernières années ont plutôt été avares en flocons. Dans les Ardennes, l’enneigement reste globalement faible et stable depuis les années 90.
3. Des sécheresses plus marquées
Comme la plupart des Belges ont eu l’occasion de l’expérimenter ces dernières années, les périodes de sécheresse tendent à se répéter dans notre pays, en particulier pendant la saison printanière qui, comme expliqué ci-dessus, enregistre moins de précipitations. D’après les mesures réalisées à Uccle, la durée des sécheresses au printemps s’est ainsi allongée d’1,5 jour par décennie depuis 1981. Le déficit de pluviométrie enregistré démontre en outre que celles-ci tendent à devenir plus intenses.
Si le record datant 1883 (44 jours consécutifs sans chutes de pluie significatives) tient toujours, l’IRM relève les printemps de 2007 (37 jours), 2012 (29 jours) et 2020 (28 jours ex-æquo avec l’année 1906) ont également été particulièrement secs. La période avril-mai 2020 a été la plus sèche à Uccle depuis 1890, alors que les quantités de pluies printanières ont varié d’environ 50 % de la normale en Hesbaye et 70 % en Flandre et en Lorraine belge.
La probabilité que des événements météos extrêmes telle que la sécheresse de ce printemps se produisent plus souvent dans le futur est augmentée par le changement climatique en cours, insiste le rapport. « Une telle évolution, si elle se poursuit, peut avoir des conséquences importantes non seulement pour l’agriculture, mais aussi par exemple dans le domaine de l’approvisionnement en eau dans certaines régions du pays », alertent les scientifiques.
4. Un peu moins de vent et de tempêtes
A Uccle, une diminution de la vitesse moyenne du vent de -0,1 m/s par décennie a été enregistrée depuis 1981 ; une tendance également observée à l’échelle nationale en particulier depuis le début du XXIe siècle.
L’intensité des tempêtes, tout comme leur fréquence, n’a pas augmenté au cours des trois dernières décennies, elle a au contraire plutôt eu tendance à diminuer. Un constat qui n’étonne pas les scientifiques de l’IRM, commente Émilie Delhaye, et qui rejoint la tendance observée dans les pays voisins. « Un jour de tempête dans le rapport est défini comme une journée au cours de laquelle les pointes de vent mesurées en une station ont dépassé au moins à une reprise la valeur seuil de 80 km/h », précise-t-elle.
5. Le soleil brille davantage
Ce n’était donc pas qu’un mirage, le soleil brille effectivement plus souvent sous nos latitudes. Depuis 1981, l’évolution de l’ensoleillement est significative dans les relevés opérés à Uccle avec une hausse moyenne de 58 heures de la durée d’insolation par décennie. Ici encore, c’est le printemps qui se démarque le plus nettement avec une moyenne de 35 heures de soleil supplémentaires par décennie au cours des quarante dernières années.
Conséquence logique, la quantité l’énergie solaire arrivant en surface est aussi en croissance (+42 kWh/m¯² par décennie). Une hausse qui s’explique en partie par l’amélioration de la qualité de l’air dans nos régions, grâce aux efforts pour réduire l’émission de polluants qui faisaient écran au rayonnement solaire.
6. C’est grave, docteur ?
Si l’on se réfère aux scénarios élaborés par le Giec, l’évolution du climat dans notre pays doit interpeller tous les citoyens et les responsables politiques. A l’heure actuelle, en effet, les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont plus proches du scénario le plus pessimiste en vertu duquel la hausse de la température moyenne en Belgique pourrait flirter avec +5°C d'ici à la fin de ce siècle.
Dans ce cas de figure, le modèle climatique utilisé par l’IRM montre que l’on doit s’attendre à des hivers nettement plus humides, un triplement du nombre de vagues de chaleur qui seront aussi plus longues et plus intenses (avec des impacts très importants en zones urbaines), une multiplication des épisodes de sécheresse exceptionnelle – comparables à celle de 1976 – ainsi que des précipitations extrêmes.
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Plaidoyer pour la création d’un Centre climatique national
La transformation accélérée du climat a, on peut déjà le percevoir, de nombreuses conséquences dans de multiples secteurs. Si l’IRM fournit de longue date des services météorologiques à diverses organisations, l’Institut est de plus en plus sollicité pour des services climatiques à long terme par divers acteurs. “De nombreux secteurs ont besoin d’informations climatiques détaillées et fiables, surtout pour prendre des mesures d’adaptation climatique, explique la porte-parole. Par exemple, les villes ont besoin de savoir comment développer l’espace urbain de demain pour protéger au mieux les habitants contre les vagues de chaleur ou les inondations. Il y a aussi les infrastructures, comme pour le secteur du transport et de la mobilité, qui ont subi de gros dégâts lors des températures extrêmes de plus de 40°C qui ont été atteintes durant l’été 2019. Nous recevons aussi des demandes pour la gestion de crise, par exemple du Centre de Crise belge, pour les évènements extrêmes.” L’IRM collabore également avec le secteur énergétique pour préparer la transition vers les énergies renouvelables en modélisant l’évolution du vent et de l’ensoleillement à l’horizon de plusieurs décennies. Ces dernières années, l’IRM a aussi cordonné la mise en place du projet Cordex qui associe tous les groupes de recherche belges actifs dans la modélisation du climat et de ses impacts. Ses responsables lancent aujourd’hui un appel du pied au monde politique pour la mise en œuvre d’un cadre structurel permettant de créer un véritable centre climatique belge qui offrirait une porte d’entrée unique vers toutes les expertises disponibles. G.T.