Marc Dufumier, agro-économiste: "Qu’une métropole achète des terres en périphérie, c’est très astucieux"
La Trois diffuse le documentaire belge “Sur le champ !” ce lundi soir, consacré à ceux qui ont fait le pari d’une autre agriculture à travers la planète. Pour l'agro-économiste Marc Dufumier, acheter des terres en périphérie de la ville n'est pas forcément une mauvaise idée.
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- Publié le 05-11-2020 à 12h45
- Mis à jour le 29-11-2020 à 11h10
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Agro-économiste, Marc Dufumier (AgroParisTech) défend dans Sur le champ ! une agriculture "inspirée de l’agroécologie scientifique".
On a plutôt l’image d’une agroécologie basée sur des techniques de grand-mère ou venue du fond des âges. Qu’est-ce l’agroécologie scientifique ?
L’agroécologie scientifique, c’est la discipline qui essaye de rendre compte de la complexité des écosystèmes agricoles. Parce que l’on privilégie la croissance et les développements des espèces les plus utiles pour notre alimentation, on les a souvent simplifiés. Et les agroécologues vous diront que les écosystèmes trop simplifiés, sont aussi des écosystèmes fragilisés. Un paysage simplifié, c’est un beau champ de blé ! Il n’y a que du blé, en ligne, bien droit, pas un coquelicot ; on a mis des insecticides, des herbicides, des fongicides, etc. Il suffit qu’il y ait un insecte résistant aux pesticides, il n’aura plus de concurrent et va se mettre à proliférer… et donc il va falloir mettre une nouvelle molécule pesticide. Cela ne devient plus durable. Cela, c’est l’agriculture industrielle. L’agriculture qui va s’inspirer de l’agroécologie scientifique, c’est celle qui va essayer de mettre en place un agroécosystème productif mais sans le fragiliser. […] Certaines variétés sont tolérantes à certains insectes ravageurs, car quand le puceron attaque la plante, un gaz volatil attire la coccinelle, qui va s’attaquer au puceron. Cela, c’est l’explication de l’agroécologie scientifique, mais l’observation de cette tolérance avait été faite depuis des siècles par les paysans. Donc l’agroécologie scientifique ne s’insurge pas contre un certain nombre de savoir-faire anciens, parfois à réhabiliter. Mais en même temps, nos grands-mères ne connaissaient par exemple rien aux champignons mycorhiziens, qui s’incrustent dans la racine de la plante, utilisent l’énergie de la plante, développent un mycélium très fin, pour débusquer des éléments minéraux dans les argiles. Donc l’agroécologie scientifique peut inspirer de nouvelles techniques agricoles.

Cette semaine, l’idée du ministre bruxellois de l’Environnement d’acheter des terres dans les Régions alentour, pour permettre de nourrir les Bruxellois en circuit court, a fait polémique. Que pensez-vous d’une telle idée ?
Il y a deux parties dans cette question. Il y a une partie sur le fait qu’il faut aller acquérir des terrains dans une autre partie de l’État fédéral. C’est spécifiquement belge. Mais dans le monde entier, y compris en France, les grandes métropoles, même s’il n’y a pas ce même cadre juridique, sont parfois bien inspirées - et cela me paraît très judicieux - d’acquérir des terrains à proximité des villes pour pouvoir ravitailler les urbains, en circuit relativement court. Court dans deux sens : c’est souvent moins d’intermédiaires (donc de marges commerciales), mais c’est aussi une proximité géographique. Le grand avantage, si on peut louer ces terrains une fois acquis à des gens pour qu’ils produisent - il peut y avoir un cahier des charges inspiré de l’agriculture bio - et s’il y a aussi des gens qui, étant à proximité, peuvent aussi livrer assez rapidement notamment des produits frais, pondéreux et périssables, entre autres des fruits et légumes. Cela, c’est une excellente idée. Quand il y a une longue durée entre la récolte des fruits et légumes et leur consommation, ces produits perdent leur qualité nutritionnelle ; une grande série de vitamines, d’antioxydants, de polyphénols disparaissent. Or, un des grands torts de notre agriculture industrielle, en Europe de l’Ouest, est d’avoir sélectionné des variétés capables de supporter des kilomètres de transports et les chocs, de pouvoir rester longtemps à l’étalage… Ces sélections de variétés avec ces capacités ont perdu leur qualité nutritionnelle, soit du fait même de la sélection, soit par la durée même.
Les villes peuvent difficilement cultiver autant "intra-muros" ?
Autrefois, il y avait des ceintures vertes fruitières, légumières, parfois aussi fromagères, périurbaines. Elles ont en général disparu car on a bétonné ces espaces. Et désormais, les espaces interstitiels intra-urbains sont extrêmement réduits. En plus, il n’est pas très astucieux de cultiver aux abords des routes, ou sur d’anciennes friches industrielles, qui ont pu être polluées. Végétaliser les toits a un certain sens car la teneur en plomb y est bien moindre, mais pour nourrir des villes très denses, penser que les terres intra-urbaines seules pourraient suffire, la réponse est clairement non. Donc susciter des ceintures légumières, fruitières, aussi fromagères, c’est astucieux. Cette idée n’est pas qu’un nationalisme bruxellois : "on doit s’autosatisfaire, Wallons et Flamands, donnez-nous des terres !" Ce n’est pas un réflexe "franchouillard", comme on dirait en France. Pour la sécurité sanitaire et nutritionnelle des aliments, c’est très astucieux.