Comment les colons européens ont causé l'érosion express de l'Amérique du Nord
En Amérique du Nord, l’arrivée des colons a causé une érosion dix fois plus rapide qu’auparavant. En raison du déboisement et des pratiques agricoles européennes. Une leçon pour le futur.
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Publié le 08-12-2020 à 11h19 - Mis à jour le 16-12-2020 à 23h00
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L’arrivée des colons européens sur ce qui deviendra les États-Unis a mené à une érosion des sols dix fois plus importante que ce que la nature et/ou les Américains natifs auraient pu entraîner à eux seuls. C’est la conclusion de chercheurs américains et belges qui ont rassemblé et analysé des données étalées sur 40 000 ans. En matière de dégradation des sols, il y a clairement un "avant" et un "après" la colonisation européenne.
"Le défrichement a joué un rôle très important. Avec l’arrivée des Européens sur le sol américain, il y a eu une phase de déboisement importante", explique la géomorphologue Veerle Vanacker, professeur à l’UCLouvain et coauteure de l’étude parue dans Nature Communications. "C’est ce déboisement qui a entraîné des problèmes d’érosion de sol. Sur les parcelles agricoles, il y a eu une accélération de l’érosion ; par érosion hydrique (pluie, NdlR), ces sols sont transportés vers les systèmes fluviaux, il y a donc eu une sédimentation dans les plaines alluviales (ces espaces assez plats autour du lit d’un cours d’eau où les sédiments ou alluvions - cailloux, boue, sable - peuvent se déposer). Ce qu’on a mesuré dans cette étude, c’est le changement dans le taux d’accumulation de sédiments dans les plaines alluviales. Il y a beaucoup plus de sédiments arrivés dans les plaines alluviales après le défrichement. Cette augmentation va vite : entre le taux naturel pendant toute la période avant la colonisation et le taux après la colonisation, il y a une multiplication par dix." Pourquoi cette hausse si radicale après la colonisation européenne, - dont la part la plus importante est située par les chercheurs entre 1720 et 1920 - alors que ces terres étaient déjà habitées (et cultivées) par les Américains natifs ? "On sait que le taux de défrichement a été supérieur à celui du déboisement avant la colonisation. Il y avait des agriculteurs sédentaires avant, et du déboisement, mais pas de cette magnitude." Or, un sol sans arbres est aussi plus facilement érodé.
La catastrophe du "Dust Bowl"
D’autres recherches ont aussi lié cet impact du défrichement, qui a fait place à des champs et des fermes, aux types de labours utilisés par les colons européens. "Ceux-ci arrivent avec des pratiques de labours de sol qui sont connues sur le continent européen, mais ces types de labours introduisent de grands changements dans la structure, le contenu en matière organique et la perméabilité du sol et cela rend celui-ci bien plus susceptible à l’érosion", continue la géomorphologue. La construction de barrages à moulins a pu aussi contribuer à la réduction du transfert de sédiments, car ils changent la morphologie des rivières.
Cette phase de déboisement et ce sol érodé ont mené à des conséquences négatives, qui se sont fait sentir des années et même des siècles plus tard. Une des plus connues est le Dust Bowl (bassin de poussière), dans les années 1930. Cette région assez plate à cheval sur l’Oklahoma, le Kansas et le Texas fut touchée par la sécheresse et des tempêtes de poussière, causant une catastrophe écologique et agricole. "Avec le Dust Bowl, on a eu une phase d’érosion très importante, liée à la sécheresse et à l’activité agricole qui n’était pas adaptée, détaille la chercheuse. L’augmentation des terres labourées et l’exposition des sols dégradés à l’action érosive du vent ont accéléré l’érosion. La poussière est emmenée par le vent, car les terres dégradées étaient pauvres en matière organique et donc très vulnérables à l’érosion."
Double effet
L’érosion a des effets sur les champs eux-mêmes : elle influe sur la fertilité du sol, la matière organique dans les sols baisse, et les sols deviennent encore plus susceptibles de s’éroder. "Mais il y a aussi des effets en dehors du site lui-même. Une grande quantité de matière érodée est transportée dans les rivières, et va polluer l’eau. Avec toute une série de problèmes connexes que l’on voit encore dans les pays en développement : dans la production de l’eau, les systèmes d’irrigation…"
Si l’inondation d’un site programmée, contrôlée et temporaire, comme dans le bassin du Nil ou au Pérou, peut hausser la fertilité d’un sol, puisque les alluvions contiennent des nutriments, dans le cas des États-Unis, ces floodings n’étaient pas contrôlés.
Même phénomène en Europe
Rien qu’entre 1850 et 1950, les activités humaines ont encore entraîné en Amérique du Nord des mouvements de sédiments équivalents à 3 000 ans d’érosion naturelle, selon l’étude. Néanmoins, dans les années 1960-70, aux États-Unis, de grands programmes de conservation d’eau et de sol ont été mis en place, afin de lutter contre cette érosion du sol. "Cela visait par exemple à changer de type de labours ou à placer des bandes herbeuses. Des constructions de barrages étaient destinées à augmenter la sédimentation dans les réservoirs et à éviter que ces sédiments aboutissent dans les zones côtières." Ces dernières décennies, les taux de sédimentation commencent d’ailleurs à baisser légèrement, il semble donc y avoir une amélioration.
"Dans une perspective historique, note le Pr Vanacker, c’est important de dire que cette phase de déboisement a eu lieu à différentes époques et sur différents lieux de la planète. On l’a eue en Europe au Moyen Âge, avec des impacts environnementaux assez importants. On a eu un pattern assez similaire. Par exemple, au début du XIXe siècle, les Préalpes françaises ont connu des problèmes d’érosion et d’inondations dus à de grands défrichements. Des programmes de restauration ont dû être mis en place. Actuellement, ce déboisement se fait en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud, où il y a l’avancée de la frontière agricole. Cela peut engendrer une accélération rapide de l’érosion et de la sédimentation dans les plaines alluviales. Mais des solutions fondées sur la nature peuvent contribuer à gérer de façon durable l’agriculture."
Et, ajoute-t-elle encore, pour toutes les zones comme l’Europe où le défrichement ou la colonisation ont eu lieu il y a des siècles, dans la gestion du système fluvial, il faut aussi tenir compte de cet "héritage d’alluvions", de tout ce matériel déposé dans les rivières, afin de savoir comment celles-ci répondront aux changements climatiques et anthropiques.