Face à l'opposition des scientifiques, Céline Tellier gèle sa réforme sur l'expérimentation animale
La ministre Céline Tellier met "sur pause" sa réforme sur le recours à l’expérimentation animale en Wallonie. L’opposition des scientifiques était forte.
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- Publié le 08-12-2020 à 20h04
- Mis à jour le 13-12-2020 à 11h16
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La ministre wallonne Céline Tellier (Ecolo) met un coup de frein à sa réforme sur l’expérimentation animale. C’est ce qu’elle a annoncé ce mardi à La Libre en exclusivité. La volonté est d’avoir une approche concertée dans ce dossier, précise la ministre. Ce projet de texte, qui faisait polémique, va être gelé le temps qu’un comité wallon sur l’expérimentation animale se mette en place. Ce comité devrait être mis en place “dans la deuxième partie de 2021” et le nouveau mode de recours aux animaux d’expérience devrait mis en application “dans le courant de l’année 2022 ou 2023 maximum”.
Opposition académique
Ces dernières semaines, le projet d’arrêté avait fait face à une opposition des chercheurs, qu’ils appartiennent aux universités francophones ou aux grandes entreprises pharmaceutiques wallonnes. Ceux-ci avaient remis un avis très négatif dans le cadre d’une consultation publique. Les vice-recteurs à la recherche de cinq universités francophones avaient également signé lundi une opinion cinglante. “Dans le contexte particulier du Covid et de la recherche d’un vaccin, les chercheurs ont autre chose à faire que de se soucier d’une nouvelle réglementation contraignante maintenant, estime d’abord la ministre. En outre, nous avons lancé des réflexions, et on se rend bien compte que les débats vont devoir nécessiter un peu plus de concertation, un peu plus de temps, pour pouvoir aboutir. Effectivement, j’ai souhaité mettre ce dossier sur pause à ce stade-ci, et pouvoir vraiment organiser une concertation beaucoup plus structurée. Même avant la carte blanche, j’avais rencontré les académiques, et j’ai bien pris conscience que les questions étaient fort sensibles. Cela me semble donc important de pouvoir constituer un comité wallon qui a vraiment comme fonction de remettre des avis sur l’ensemble de cet arrêté, mais aussi pour stimuler des alternatives, et pour pouvoir rendre des avis sur d’autres dossiers en lien avec les animaux d’expérience.”
Le choix de la composition du comité sera une décision politique, émanant du gouvernement wallon. “L’idée, poursuit Céline Tellier, c’est d’avoir un équilibre entre les personnes qui pratiquent ou sont impliquées dans l’expérimentation et les personnes qui peuvent porter un regard de spécialistes du bien-être animal : vétérinaires… Bien évidemment, on cadre cela. Déjà, dans le projet d’arrêté, on avait proposé des balises en termes de diplôme, de formation. Ce comité pourrait être l’interlocuteur, comme cela existe en Flandre et à Bruxelles, de la Wallonie sur ces questions.”
Avec l’avant-projet d’arrêté à présent mis sur pause, la ministre Ecolo du Bien-être animal a pour objectif en train de compléter le chapitre 8 du Code wallon du Bien-être animal (déjà adopté sous la précédente législature). Ce chapitre est consacré aux animaux d’expérience, et correspond en fait à une réglementation européenne, transposée dans les trois régions du pays depuis 2013. Un cadre légal existe donc déjà. "Il n'y a pas de vide juridique", précise la ministre.
La directive européenne, entre autres, “vise à limiter l’expérimentation animale et à imposer des normes obligatoires concernant l’exploitation, l’hébergement des animaux et les soins qui leur sont prodigués”. Mais dans leur avis, les scientifiques, qui affirment s’efforcer de développer des alternatives fiables (culture de cellules, modèle mathématique…) aux animaux d’expérience comme le demande la loi et qui soulignent que les animaux restent indispensables dans certains cas (recherche en cancer, en vaccin, en neurologie…), considéraient que l’avant-projet tel qu’imaginé par la ministre allait trop loin. Il ne respectait pas l’esprit de la directive européenne et ne s’alignait pas avec ce qui était appliqué dans les autres régions et le reste des Etats-membres.
Les éléments qui crispent
Ils pointaient notamment la refonte des commissions d’éthiques autorisant les usages d’animaux, qui devaient faire appel pour plus de la moitié – avec “un risque pour les secrets d’affaires”- à des membres extérieurs à l’établissement, dont des membres de la société civile qui pourraient avoir un droit de véto. Ils étaient aussi fâchés par l’idée d’une redevance forfaitaire et à payer pour chaque animal, “qui pèsera à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros sur le monde la recherche wallonne, là où aucune redevance n’est appliquée ailleurs.” Les signataires évoquaient des risques de délocalisation de la recherche ailleurs en Belgique ou en Europe.
Ces éléments qui crispent ont-ils vocation à être éliminés de la version finale ? “À travers le comité, on reprendra l’ensemble de ces questions et on les mettra en débats, répond Céline Tellier. Je ne peux bien sûr pas vous dire maintenant comment on se positionnera au final sur les différents éléments. Ici, on a le seul point de vue académique, que j’entends et qui est parfaitement légitime. Par ailleurs, il y a d’autres points de vue. Au final, l’important est d’avoir un chemin équilibré qui permette de prendre en compte la nécessite de la recherche – on pense évidemment au vaccin du Covid – et la situation de terrain des scientifiques mais aussi du sort de ces animaux de laboratoires. Le seul élément que je peux déjà donner maintenant, c’est que j’entends très clairement du secteur scientifique d’avoir une cohérence entre les différentes régions et non des réglementations différentes en termes d’expérimentation. Clairement, on doit pouvoir entendre cette demande logique, et avoir un dialogue avec les autres régions pour voir à quoi on peut aboutir par rapport à cela.”
Chiffre en baisse
De manière générale, en termes d’animaux de laboratoires utilisés lors d'expérimentation en Wallonie, le chiffre “est clairement à la baisse (286 000 en 2014, 161 000 en 2019). C’est une bonne nouvelle, souligne la ministre. Il est aussi important de noter que les tests ‘sévères’ étaient de 10 % en 2014, et sont tombés à 7 % en 2019. Par rapport à l’image que l’on a parfois, le nombre de test sévères sur le terrain est donc à relativiser. Cela fait 11 000 animaux susceptibles d’éprouver une douleur ou une angoisse intenses ou modérée pendant une longue période durant l’expérience. Donc, notre objectif c’est surtout de travailler sur cet aspect, pour voir comment on peut limiter au strict nécessaire l’expérimentation animale et surtout la sévérité de ces tests. Légalement, il faut aussi rappeler aussi que si une alternative existe, il est interdit de réaliser une expérimentation animale. Pour le moment, malheureusement, il reste des situations où les expérimentations animales sont nécessaires (vaccin, cancer, neurologie).”
Pour remédier à cela, la ministre a souhaité que la Wallonie prenne part à un projet de la VUB et de Sciensano, qui vise à rassembler l’expertise sur les méthodes alternatives et soutenir leur développement dans les universités. Un chercheur wallon devrait être financé dans ce but.