Adélaïde Charlier : "Je ne rate pas du tout ma jeunesse, au contraire"
La jeune activiste affirme qu'elle a "marié le climat pour le meilleur et pour le pire".
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Publié le 21-02-2021 à 15h45
Elle était encore mineure lorsqu'elle prenait part au mouvement "Youth for Climate" et devenait l'une des organisatrices des grèves scolaires pour le climat. Aujourd'hui âgée de 19 ans, Adélaïde Charlier commence des études universitaires à la VUB, en sciences sociales. "Je ne sais pas où ça va me mener mais j'aime que le cursus soit très large. Je veux comprendre l'humain, comment il réagit. Mais aussi connaitre notre monde politique, nos institutions, la communication", décrit la Namuroise, dont l'activisme climatique est chevillé au corps. Interview.
Etre, si jeune, une représentante de l'activisme climatique, est-ce une charge difficile à porter ?
Je n'aime pas beaucoup qu'on me considère comme représentante. Je ne représente pas la jeunesse, je n'ai pas été élue, personne n'a choisi que ce serait moi. Je suis juste une jeune très active. Certains attendent de moi que j'organise des actions climatiques, ça met de la pression. On veut continuer à sensibiliser et à mobiliser le citoyen pour changer ses comportements et pour conscientiser le politique.
Comment expliquer que vous ayez émergé comme l'une des figures de cette jeunesse active ?
J'ai aidé à organiser les marches dès le début. Anuna De Wever, qui était l'organisatrice principale, cherchait un francophone pour répondre aux médias. Nous entretenions de bons contacts donc elle orientait les journalistes francophones vers moi. Mais chaque jeune peut évidemment parler au nom de Youth for Climate, à condition d'appartenir au mouvement.

Des tensions ont tout de même éclaté. Kyra Gantois reprochait à Anuna De Wever de la laisser dans l'ombre. Existe-t-il de la concurrence entre jeunes activistes ?
Ca a été un moment très difficile pour le mouvement. Les accusations ont été émises publiquement alors que cette histoire était très personnelle. Notre mouvement n'a pas de hiérarchie, il n'a pas une structure exacte. Et il est constitué de jeunes qui n'ont pas d'expérience. Parfois, ça peut entraîner des disputes. On veut que ça ne se reproduise plus.
Quel fut le déclic pour que vous vous impliquiez tant dans le mouvement ?
Il y a eu deux moments importants. Tout d'abord, en décembre 2018, il y a eu la marche rassemblant quasiment 100.000 citoyens à Bruxelles pour mettre la pression sur les politiques belges en vue de la Cop24. Deux jours après, on apprenait que la Belgique, avec la seule République tchèque, votait contre une proposition de directive sur l'efficacité énergétique lors du Conseil des ministres européens. C'était une claque. Ensuite, en janvier 2019, j'ai été interpellée par le discours de Greta Thunberg à Davos. Je la voyais partout sur les réseaux sociaux. Son audace, sa façon d'oser interpeller les dirigeants m'ont vraiment étonnée. Je me suis dit qu'il était possible d'aller beaucoup plus loin dans l'engagement que juste en prenant le vélo pour aller à l'école.
Quelles sont les grandes avancées que vous estimez avoir obtenues en bientôt deux ans ?
L'une des plus grandes victoires, c'est la conscientisation des citoyens. Ces dernières années, on n'a jamais vu autant de jeunes passer par la désobéissance civile, en refusant d'aller à l'école, pour parler du climat. Au niveau de la politique européenne, un Green Deal est sorti durant nos mobilisations. Ce n'est pas dû qu'aux jeunes, mais la pièce que nous avons ajoutée a donné un coup de pouce. Ce Green Deal n'est pas parfait, c'est juste un premier pas. Mais l'Europe montre l'envie d'avancer...
Et au niveau belge ?
Au niveau fédéral, on a été assez vite bloqué, il n'y a pas eu d'avancée. La loi Climat n'a pas été votée. A l'échelon provincial ou communal, on sent l'envie de certains politiciens d'avancer sur les questions climatiques. On voit de petits changements.
Lorsque vous rencontrez des hauts dirigeants, osez-vous les mettre face à leurs responsabilités?
C'est vraiment le but ! Le message qu'on entend dans la rue doit être relayé dans les cabinets de nos leaders mondiaux. Ce sont eux qui prennent les décisions importantes. Il faut leur mettre un coup de pression. On leur explique pourquoi ils ne vont pas assez loin dans les mesures. On leur présente les chiffres, mais aussi des histoires concrètes de personnes à sauver parce qu'ils sont frappés par l'urgence climatique. L'Europe a une responsabilité énorme, historique. Elle doit s'assurer que la situation n'empire pas. Pensons à la migration qui va augmenter et à laquelle nous devrons faire face.
Sentez-vous parfois du dédain à votre égard lorsque vous prenez la parole ?
Bien sûr ! J'ai par exemple participé à un événement où je présentais mon idéal universitaire face à des recteurs, professeurs et étudiants. J'invitais les jeunes à sortir de la bulle théorique et à s'engager. Certains me demandaient "Mais qui es-tu, toi, la jeune femme de 19 ans, pour nous dire de telles choses alors que tu commences à peine à l'université ?". Je comprends cet avis. Mais il faut aussi pouvoir entendre que certains jeunes n'ont pas envie d'apprendre comme leurs parents l'ont fait. Regardez où ça a mené le monde... Pour des chefs d'entreprises, mon discours est encore plus difficile car ils ne sont pas forcément favorables au changement. Pourtant, on va devoir changer, parfois même drastiquement, parce que des millions de personnes meurent de nos comportements, et ça fait mal à entendre. On doit aussi parler des alternatives, du positif.
Vous avez manifesté lundi, avec d'autres activistes, devant le palais royal, une zone où de tels rassemblements sont interdits. Comptez-vous mener plus régulièrement des actions coup de poing ?
C'est important de donner des piqûres de rappel à nos politiques, aux citoyens. On doit leur montrer qu'on s'active pour le climat. Pendant l'été ou durant la crise du coronavirus, on nous a souvent demandé pourquoi on n'était plus actif. Or, nous l'étions encore. Ces interrogations signifiaient que nos actions n'étaient pas assez fortes. Il faut intéresser les médias pour intéresser les citoyens. Donc on a voulu frapper fort pour signaler qu'on attend un gouvernement depuis un an et demi et qu'il doit s'engager pour le climat. Il n'y a plus de temps à perdre. On doit utiliser différents modes d'action, en restant respectueux et non violent.
Avez-vous parfois l'impression de passer à côté d'une partie de votre jeunesse ?
On me pose souvent cette question. On me dit aussi "N'oublie pas ta vie". Mais mon activisme, c'est la vie ! Si la jeunesse consiste à nier les réalités du monde alors, oui, je loupe ma jeunesse. Mais moi je pense que je ne la rate pas du tout, au contraire. Peut-être que je louperai des soirées universitaires parce que j'aurai un événement ou parce que je devrai préparer une action. C'est ça la jeunesse : douter du système et être actif.
Votre vie n'est quand même pas 100% orientée climat ? Vous avez des amis, vous sortez ?
Bien sûr ! J'ai beaucoup d'amis dans le mouvement, et d'autres qui ne sont pas impliqués. J'aime beaucoup faire la fête, je ne sais pas rester seule. Je suis aussi passionnée de sport et de scoutisme. Mais j'ai marié le climat pour le meilleur et pour le pire...