Comment expliquer le comportement des cigales qui se réveillent tous les 17 ans ? "On peut dire qu’elles perçoivent le temps"
Aux États-Unis, les “cigales périodiques” sont sur le point d’émerger, par milliards. Elles ne se réveillent que tous les 17 ans, d’autres tous les 13 ans. Un phénomène unique qui rend encore perplexes les biologistes. Pour mieux comprendre, La Libre a posé 3 Questions au Prof. Frédéric Francis, entomologiste chargé entre autres du cours "Comportement des insectes" à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège).
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- Publié le 29-04-2021 à 18h58
- Mis à jour le 02-05-2021 à 17h07
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Les cigales périodiques peuvent-elles compter ? Comment suivent-elles ces cycles de 13 ou 17 ans ?
On peut vraiment parler d’horloge biologique. On a découvert qu’il y a une génétique par rapport à cette stratégie biologique. Cela vient de perceptions, de "saisons" et "d’années", estimées par rapport à des aspects environnementaux : la température qui diminue - les cigales vont le percevoir et vont donc s’enfoncer plus profondément dans le sol pour éviter le froid. Puis, la température remonte, on est à la saison où il y a des plantes pour se nourrir. La cigale va remonter pour se nourrir de leurs racines. La durée du stade larvaire ou du cycle de vie est aussi liée au système endocrinien hormonal. Certains types d’hormones, à un moment donné, vont être en relation avec les conditions environnementales. On peut avoir une certaine durée pour le stade larvaire qui correspond à une certaine quantité de nourriture que l’on peut ingérer pour avoir grossi suffisamment, pour passer au stade suivant et aboutir au final à un cycle complet. Il y a vraiment des mécanismes précis chez les insectes pour savoir à quel moment précis au niveau de l’année ils sont, ou des années. Il y a donc cet aspect programmé, comme une horloge biologique. On peut dire en effet qu’elles perçoivent le temps. Elles ne le comptent pas de manière volontaire mais le décompte final est en effet bien en place.
Comment expliquez-vous ce "choix" de 13 et 17 ans pour leurs cycles de vie ? Est-ce lié au fait que ce sont des nombres premiers ?
Il n’y a pas un déterminisme par rapport aux nombres premiers, de mon point de vue. Si c’était à ce point préprogrammé, on trouverait cela de manière beaucoup plus commune que dans ce cas, ici, qui est très exceptionnel. En général, chez les insectes, il y aura une génération par an. Il y a des extrêmes : avec les mouches, pucerons, etc., on a plusieurs générations par an. À l’autre extrême, une série d’insectes allongent leur cycle, sur deux ans, voire plus. La majorité des cigales ont un cycle entre 2 et 5 ans. Plus on va s’écarter de ces normes, plus on va avoir une réflexion sur l’adaptation et l’évolution. Il est clair que l’allongement, simplement passer de 2 à 5 ans, est déjà un avantage évolutif. Et plus on allonge le cycle, plus les probabilités de rencontres avec d’autres groupes vont se réduire. Et c’est sûr que si on compare un insecte qui a un cycle de 5 ans et un autre de 15, après trois fois, la probabilité de rencontre est grande. Et plus élevée qu’avec des cycles de 13 et 17, qui ne sont les multiplicateurs de rien. Je comprends donc le calcul purement mathématique, mais il n’y a pas un déterminisme qui dit qu’il faut ce soit 13 ou 17. Il n’y a pas un choix de se dire un jour, je me lève et je vais attendre 13 ou 17 ans !
Néanmoins, il y a de facto un avantage évolutif de ces nombres précis…
Le fait d’être très efficace donne-t-il un avantage supplémentaire ? Oui. Mais est-ce à un moment donné choisi, un objectif ou une manière d’évoluer des insectes, non. Dans la nature, il y a aussi un aspect lié au hasard en tant que tel. Par rapport aux nombres premiers, je pense qu’il y a plutôt une interpellation de la part des scientifiques qui cherchent des explications. Pour des cycles de 13 et 17 ans, comme pour des cycles 14 et 18 par exemple, la même explication en termes d’adaptation pourrait être donnée : des durées différentes d’une espèce à l’autre réduisent les risques de chevauchement entre elles, car l’hybridation mènerait à des durées de développement qui changeraient. L’allongement du cycle et donc la réduction des risques de chevauchement vaut aussi pour les ennemis naturels (parasites et prédateurs). Si vous avez une émergence de manière échelonnée, les prédateurs pourraient consommer les insectes au fur et à mesure et il ne pourrait y avoir aucun survivant. À l’inverse, si vous avez des colonies de centaines de milliers d’individus synchronisées, vous diminuez le risque pour chacun d’être dévoré. La probabilité de survie est nettement supérieure. En outre, une autre hypothèse serait que, via une adaptation avec une durée de développement à ce point longue, vous évitez une proportion significative des prédateurs. Si la durée de développement totale de l’insecte est supérieure à celle de son prédateur, celui-ci sera mort, parti, ou la prochaine génération pas encore prête lors de l’émergence, ce qui réduit encore le risque de prédation (or, le but ultime d’éviter la prédation, c’est qu’il y ait des adultes qui arrivent et puissent se reproduire pour assurer la génération qui suit. C’est l’objectif final de la stratégie adaptative). Cela dit, cela n’est pas toute l’explication, car certains parasites ou prédateurs, comme les guêpes, qui mangent d’autres insectes, sont là tous les ans ! Là, la démonstration mathématique ne tient plus car cela dépend du type d’ennemis naturels.