Ces cigales, qui ne se réveillent que tous les 17 ans, sont sur le point d'émerger par milliards
Aux États-Unis, les “cigales périodiques” sont sur le point d’émerger, par milliards. Elles ne se réveillent que tous les 17 ans, d’autres tous les 13 ans. Un phénomène unique qui rend encore perplexes les biologistes.
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- Publié le 02-05-2021 à 16h00
- Mis à jour le 02-05-2021 à 16h01
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Bientôt vingt ans qu’elles se trouvent sous terre, à attendre le bon moment pour émerger. Ce n’est pas un film d’horreur ou une légende antique : mais des milliards de cigales vont bientôt occuper une partie des États-Unis, dont la capitale Washington. Le phénomène est rare et spectaculaire.Tous les 17 ans, ces cigales "périodiques" sortent en masse au grand air pour s’accoupler, pondre… puis mourir. "Le sol était couvert de cigales qui tombaient, raides mortes. C’était vraiment étrange, comme si ça venait d’un autre monde" , a raconté à l’AFP Melanie Asher, qui a assisté à l’événement en 1987. Peter Peart, qui a vécu leur arrivée en 1987 et 2004 a été frappé par leur chant : "Une cacophonie. C’est fort, c’est incessant. Mais on s’y habitue, ça devient un bruit de fond."
Cette année, les cigales sont attendues ces jours-ci et dans le courant de mai, dans certaines parties d’un vaste territoire s’étendant de Washington à l’est de l’État de l’Illinois, en passant par la Géorgie. "Elles volaient tout simplement partout", explique Melody Merin, résidente de Washington de 46 ans qui assiste à l’émergence de 2004. En voiture, "elles venaient frapper le pare-brise, on ne pouvait pas conduire les fenêtres ouvertes", poursuit-elle.
Submerger les prédateurs
"C’est vraiment assez unique", explique à l’AFP John Cooley, qui enseigne au département d’écologie et biologie évolutionnaire à l’université du Connecticut l’université à la pointe de cette recherche. Ces cigales, qui sont inoffensives et ne mangent pas les plantes, "ont un cycle de vie de 17 ans". Et voici comment se déroule leur existence, à la fois longue quand elles sont sous nos pieds, et éphémère une fois visibles. "Dès que le sol atteint une certaine température, environ 17 °C par une soirée qui pourrait être un peu humide, mais pas trop pluvieuse, les nymphes vont commencer à sortir de terre puis muer. Ensuite, elles vont traîner dans la végétation sans faire grand-chose pendant une semaine. Et puis elles vont adopter un comportement adulte." À savoir se lancer dans une orgie géante. Car "c’est de cela qu’il s’agit" : se reproduire. "Le bruit, c’est le mâle qui appelle pour attirer une réponse de la femelle. Une fois que mâle et femelle sont réunis, ils s’accouplent, la femelle pond et peu après, ils meurent. Les œufs vont éclore six à huit semaines plus tard, et le cycle tout entier va se répéter." Les nymphes vont donc aller s’enterrer et passer les 17 années suivantes à se nourrir de sève prélevée sur des racines. Selon John Cooley, les cigales périodiques peuvent émerger à ces intervalles réguliers, en comptant les impulsions de fluides circulant dans les racines dont elles se nourrissent. Elles ne suivent donc pas le temps, mais comptent les cycles des plantes.
Il devrait y avoir "des milliards, voire des milliers de milliards" de cigales ce printemps. Submerger ses prédateurs par le nombre, ce qu’on appelle aussi la technique "Safety by numbers", c’est la stratégie de survie de cette espèce, explique John Cooley. Car si écureuils, oiseaux, ratons laveurs et chiens vont s’en repaître pendant des jours, ils arriveront à satiété sans que cela ne menace les innombrables cigales restantes.Vu la masse, oiseaux ou rongeurs arrivent à satiété bien avant d’avoir consommé toutes les cigales ! Le risque individuel pour chacune est donc très bas. Depuis leur découverte il y a 300 ans, les cigales périodiques ou magicicada (cigales magiques) sont "une source de perplexité pour les biologistes" , et en particulier, cette capacité à émerger par millions, selon des cycles précis de 13 ou 17 ans, "sans parallèle dans le monde animal ", écrivaient les découvreurs de trois espèces, Thomas Moore et Richard Alexander en 1962.
"Il y a en fait sept espèces décrites de cigales périodiques : trois ont un cycle de 13 ans et quatre de 17 ans, détaille Jérome Constant, entomologiste du Musée des sciences naturelles à Bruxelles. Ensuite s’ajoute la couche des différentes broods, c’est-à-dire des zones géographiques d’éclosion simultanée… En gros, par exemple, selon l’endroit des États-Unis, l’éclosion massive des cigales ‘17’ n’aura pas lieu la même année… L’éclosion de cette année correspond à la ‘Brood X’ (chaque brood est numérotée en chiffre romain), dite ‘Great Eastern Brood’." Cela dit, certaines cigales qui n’ont pas lu le livre ‘Les bonnes manières des cigales périodiques’ n’éclosent pas la bonne année, et passent sous terre un ou quatre ans de plus ou de moins que prévu… Et l’erreur de quatre ans semble majoritaire par rapport à l’erreur d’un an. Ce phénomène de décalage, et donc d’isolation temporelle de parties des populations a certainement participé au processus d’évolution et de séparation des différentes espèces à partir des populations ancestrales… En bref, il y a encore énormément de choses à découvrir chez ces insectes !"
Tous les 221 ans
Les biologistes et mathématiciens s’étonnent du fait que le cycle de vie des cigales périodiques se base sur des nombres premiers, 13 et 17. Une hypothèse avancée est qu’en émergeant tous les 13 ou 17 ans, les cigales minimisent leur chance d’émerger au même moment que d’autres cigales avec un cycle de vie différent. Car si jamais elles se reproduisaient entre elles (certains scientifiques théorisent cette hybridation comme possible et pourrait expliquer les sorties plus précoces ou tardives de celles qui se "trompent"), leur progéniture aurait un cycle de vie "intermédiaire", émergeant en plus petit nombre à différents moments. Ce qui les rendrait plus vulnérables aux prédateurs, car la technique "Safety by numbers" ne pourrait être appliquée. Le mathématicien Marcus du Sautoy, professeur à l’Université d’Oxford, a calculé que deux groupes de cigales avec des cycles de vie par exemple de 6 et 9 ans se rencontreraient tous les 18 ans. Et avec des cycles respectivement de 6 et 7 ans, tous les 42 ans. Le nombre treize comme dans la réalité, a le même effet que 7. "Contrairement à d’autres nombres, les nombres premiers peuvent être seulement divisibles par eux-mêmes et un. Cette propriété signifie que les nombres qui sont séparés par des nombres premiers sont beaucoup moins susceptibles de coïncider avec des multiples d’autres nombres. Comme 13 est un nombre premier, un cycle de vie de 13 ans rend les cigales moins susceptibles de coïncider avec d’autres groupes. Et comme 13 et 17 sont des nombres premiers, ces deux ‘broods’ n’émergent ensemble que tous les 221 ans" , détaille-t-il dans son documentaire The Code (Netflix), consacré aux mathématiques dans la nature. Une étude de modélisation finlandaise d’avril 2020 arrive en gros à la même conclusion.
Reste que cela ne résout pas tout. Pourquoi pas des cycles de 11 et 19 ans, également nombres premiers, interroge ainsi John Cooley. La théorie que des cycles basés sur des nombres premiers empêcheraient les prédateurs de se spécialiser dans les cigales, vu la difficulté de les rencontrer, ne tient pas non plus, vu qu’un champignon, par exemple, s’est spécialisé dans les cigales périodiques. D’autres ont évoqué l’effet du dernier âge glaciaire, mais alors pourquoi juste ces cigales et pas les autres aux États-Unis ? Pour le Dr Cooley, cette intrigante question n’a pas encore trouvé de réponse. Mais, juge-t-il, celle-ci doit être particulière, vu la rareté du phénomène.