"Certains comportements écocides sont liés au patriarcat"
Pour l’écoféminisme, l’oppression des femmes et la destruction de la planète résultent d’un même patriarcat. Jeanne Burgart Goutal étudie ce mouvement "disparate et fantasque" dans un livre.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/c83846a5-4f52-4256-a322-74fcdf19034e.png)
- Publié le 17-06-2021 à 20h00
- Mis à jour le 18-06-2021 à 13h35
:focal(980.5x1148:990.5x1138)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/NFVJV6II2RF5VAO3B5PRLDSU6I.jpg)
Jeanne Burgart Goutal, professeur de philosophie, est l’auteure du livre Être écoféministe - Théories et pratiques (éditions l’Échappée) et lauréate du prix du Livre de l’Écologie politique. Elle explique comment l’écoféminisme tente de faire converger les luttes contre la domination masculine et la dégradation de l’environnement.
Qu’est-ce que l’écoféminisme, sinon, pour reprendre vos mots, un "joyeux bordel" ?
Ce n’est pas un concept abstrait qui vient de sortir : c’est un mouvement né dans les années 1970, qui établit des liens entre la domination des femmes et celle de la nature. Pour les écoféministes, la brutalisation de la terre et la violence physique, économique et psychologique perpétrée quotidiennement envers les femmes sont les différentes facettes d’un même système.
Si je comprends bien, l’oppression des femmes et la destruction de la planète ne seraient pas deux phénomènes distincts, mais deux formes de la même violence ?
C’est ce que pensent du moins les écoféministes. C’est évidemment assez radical ! Les écoféministes estiment qu’une des causes de certains comportements écocides et prédateurs, c’est le patriarcat. Avoir une grosse voiture qui pollue, c’est un signe de virilité. Mais je tiens à rassurer nos lecteurs masculins : elles refusent le matriarcat, le pouvoir-aux-femmes, elles prônent une société de non-pouvoir, où les rapports hommes-femmes et humains-nature seraient fondés sur l’égalité, le partage, la solidarité. Cela permettrait à tous, y compris aux hommes, qui subissent eux-mêmes les effets pervers du patriarcat, d’être libérés des rapports de domination et à la nature d’être moins exploitée.
Vous dites que l’on peut très bien être écolo et féministe, sans nécessairement être écoféministe… ?
Oui, je vais vous donner deux exemples : un(e) féministe peut vouloir qu’une femme devienne présidente du Cac40, mais une écoféministe n’aura pas cette ambition capitaliste, mondialiste, possiblement destructrice de l’environnement. Et un(e) écologiste va acheter des vêtements en coton bio ou du sucre issu du commerce équitable, mais une écoféministe veillera à ce que la canne à sucre ne soit pas produite par des femmes surexploitées en Inde, ou les vêtements par des ouvrières ouïghours maltraitées.
Pourquoi cette nébuleuse est-elle, selon vous, "disparate et fantasque" ?
Disparate, car elle rassemble beaucoup de positionnements divergents. Les "matérialistes" mènent par exemple un combat politique avec des luttes très concrètes, sans partager les convictions du courant "spiritualiste", qui considère qu’il faut resacraliser la Terre-Mère pour mener à bien la transition écologique.
Fantasque, car les collectifs écoféministes préfèrent aux manifestations classiques des mobilisations alternatives, passant aussi par l’art, la danse ou le chant.
Pourquoi ce mouvement, dont le nom est né en France en 1974, a-t-il fait chou blanc dans l’Hexagone, avant de commencer à prendre dans le monde anglo-saxon, aux États-Unis notamment ?
Aux États-Unis, le mouvement a en effet prospéré, dans un contexte initial de contestations multiples, pacifiste, antinucléaire, antiraciste, hippie. Mais en France, le mot tombe aux oubliettes et les Françaises restent largement dans l’ignorance d’un mouvement qui fait pourtant rage ailleurs.
J’y vois un facteur historique, lié au fait que celle qui a créé le mot ‘écoféminisme’, Françoise d’Eaubonne, était trop révolutionnaire pour son époque : elle posait des explosifs, appelait les femmes à refuser les rapports sexuels avec leur conjoint par souci à la fois féministe - ne pas se plier au devoir conjugal - et écologique - pour limiter la surpopulation. Et un facteur philosophique, car les féministes françaises ont vu dans la valorisation de la "nature" un terrain miné : elles cherchaient plutôt à dissocier la femme de la nature, à ne pas se laisser enfermer dans le rôle présumé naturel de la femme d’enfanter, etc.
Et aujourd’hui, certains écologistes français se revendiquent-ils de l’écoféminisme ?
Il semble que les grands partis écologistes s’y intéressent de près. Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts et candidat aux élections régionales en Île-de-France, a choisi parmi ses slogans "Pour une région écoféministe évidemment !". Sandrine Rousseau d’EELV et Delphine Batho de GE se déclarent également écoféministes. Reste à savoir s’il s’agit d’une simple récupération politique ou d’une réelle fidélité au mouvement…