L'humanité est dos au mur : ce qu'il faut retenir du rapport du Giec sur le climat
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) vient de rendre public le bilan actualisé des connaissances sur l’influence des activités humaines sur le climat et les risques associés. Un travail titanesque qui dresse un tableau peu réjouissant.
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- Publié le 09-08-2021 à 10h00
- Mis à jour le 12-08-2021 à 16h47
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Trois années de travail, deux cent trente auteurs issus de soixante pays, quatorze mille publications scientifiques passées en revue, qui ont donné lieu à 78 000 commentaires formulés par plusieurs milliers de relecteurs...
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) vient de rendre public le bilan actualisé des connaissances sur l’influence des activités humaines sur le climat et les risques associés. Un travail titanesque qui dresse un tableau peu réjouissant.
Zéro doute
Pour qui en douterait encore, la responsabilité des activités humaines sur les dérèglements climatiques - et plus précisément les émissions de gaz à effet de serre relâchées dans l'atmosphère depuis les débuts de la révolution industrielle en 1750 - est « sans équivoque » aux yeux des experts du Giec.
« Des changements rapides et généralisés se sont produits dans l'atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère », soulignent-ils, avançant les modifications de la circulation atmosphérique, la fonte des glaciers et des calottes glaciaires, l'acidification des océans, l'augmentation des précipitations ou encore les modifications de l'aire de répartition des espèces animales marines et terrestres…

Depuis le précédent rapport qui se fondait sur des données datant de 2011, les concentrations de ces gaz dans l'atmosphère ont continué à progresser alors qu’elles devraient décroître, tant pour le CO2 (qui atteint désormais 410 parties par million en moyenne annuelle, alors qu’elle était inférieure à 400 ppm il y a dix ans) que le méthane ou le protoxyde d’azote.
Au cours des soixante dernières années, cet effet a néanmoins été tempéré grâce au rôle de « puits de carbone » joué par les terres et l’océan, qui absorbent annuellement environ 56 % des émissions de dioxyde de carbone. Mais cet effet tampon risque de s’atténuer fortement dans le futur si rien n’est fait pour inverser la vapeur.
Chacune des quatre dernières décennies a été successivement plus chaude que toutes les décennies qui l'ont précédée depuis 1850, note encore le rapport. La planète a ainsi gagné environ 1,1 C° par rapport à la période allant de 1850 à 1900, pour laquelle on dispose de suffisamment de données complètes à l’échelle mondiale pour estimer la température de la surface du globe.
Depuis les années 70, la couche supérieure de l'océan (entre 0 et 700 m) s'est réchauffée et l’acidification s’est accentuée, tandis que les niveaux d’oxygène s’appauvrissent. Le niveau moyen mondial des mers a augmenté de 20 cm entre 1901 et 2018, avec un rythme qui s’accélère depuis 1971 pour atteindre désormais 3,7 mm par an.
Les précipitations moyennes à l’échelle mondiale ont également probablement progressé depuis 1950, relèvent les auteurs. Ce phénomène paraît en outre connaître une accélération depuis le début des années 80. A chaque fois, l’implication des activités humaines fait peu de doute. A défaut d’être le seul, elles en sont souvent le principal facteur.
Sans précédent depuis des millénaires
Bref, « l'influence humaine a réchauffé le climat à un rythme sans précédent depuis au moins les 2000 dernières années », résument les experts du Giec. « C'est un fait établi qui est indiscutable », commente la paléoclimatologue française Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe scientifique qui a rédigé ce document.
Les dérèglements du système climatique se traduisent également par des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes dans toutes les régions habitées du monde : vagues de chaleur, pluies torrentielles, sécheresses, cyclones tropicaux… Des événements plus fréquents mais aussi plus intenses. Et les preuves de la responsabilité humaine se sont, là encore, renforcées, avancent les scientifiques, épinglant entre autres les perturbations des moussons, « qui jouent un rôle critique sur les deux tiers de la population mondiale », rappelle Valérie Masson-Delmotte.
Pour faciliter l’accès à ces informations et leur compréhension, le rapport s’accompagne pour la première fois d’un atlas interactif qui permet de visualiser à l’échelle régionale les données prises en compte et de les combiner pour mesurer à quel point ces changements affectent les différents territoires du globe de multiples manières.
Encore une chance
Selon les dernières projections, un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère se traduirait par une poussée du thermomètre dans une fourchette de 2,5 à 4,5 °C, la meilleure estimation étant de 3°C.
Les climatologues envisagent également l’évolution du climat en fonction de cinq scénarios d’émissions, allant du plus vertueux au plus désastreux. Dans toutes les hypothèses, la température à la surface de la Terre continuera d'augmenter au moins jusqu'au milieu du siècle.
Dans le scénario le plus volontariste, où des réductions massives des émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre interviennent dans les prochaines décennies, le seuil de 1,5°C que la communauté internationale s’est donnée pour ambition de ne pas dépasser pourrait être atteint et même temporairement débordé d’un dixième de degré au cours des vingt prochaines années, avant de retomber à 1,4 °C à la fin du siècle. Dans le scénario du pire, nous serons + 2,4 degrés dans trente ans, avec à la clef de grosses difficultés.
Si l'on diminue immédiatement « fortement, rapidement et durablement ces émissions, les bénéfices seront perceptibles dans un horizon de dix à vingt ans », souligne Mme Masson-Delmotte. Chaque dixième de degré compte, insiste la coprésidente du groupe de travail car « chaque fraction de réchauffement supplémentaire a des effets tout à fait clairs. Elle augmente la durée, la sévérité et la récurrence des événements extrêmes. Les changements que nous vivons aujourd'hui sont pour beaucoup d'entre eux directement liés à l'ampleur du réchauffement planétaire ». Des vagues de chaleur qui survenaient tous les 50 ans sous un climat préindustriel se produisent aujourd'hui 4,8 fois plus souvent. Dans un monde un degré et demi plus chaud c'est 8,6 fois plus souvent, illustre-t-elle. Autre exemple : dans un monde où la température augmente de deux degrés, le nombre des jours de sécheresse en région méditerranéenne pourrait presque doubler.
Briser ce cercle infernal se traduirait notamment par une stabilisation de l’évolution de ces événements extrêmes et de l’acidification de l’océan – en surface à tout le moins. Mais pour cela, il est impératif d’atteindre des émissions nettes négatives, ce qui nécessitera de déployer des méthodes permettant de capter une partie du CO2 présent dans l’atmosphère pour le stocker de façon durable. Des méthodes à utiliser avec prudence car certaines d’entre elles peuvent avoir une influence à grande échelle sur les cycles biogéochimiques et impacter localement la biodiversité, la production alimentaire, la disponibilité et la qualité de l’eau.
Agir sur les rejets de méthane, qui est le deuxième plus important contributeur au réchauffement, constitue un levier d’action crucial, complète de son côté Sophie Szopa, spécialiste en chimie atmosphérique et coautrice du rapport. Ce gaz à effet de serre a en effet une capacité de réchauffement beaucoup plus puissante que celle du CO2 mais une durée de persistance dans l’atmosphère bien moindre (une dizaine d’années contre une centaine), les bénéfices pourraient donc être rapidement perceptibles. En outre, le méthane est un précurseur d’ozone, un polluant atmosphérique qui a d’importants impacts sanitaires. On gagnerait donc sur les deux tableaux.
Des conséquences déjà irréversibles
Quoi qu'il en soit, certaines conséquences des processus qui se sont enclenchés seront irréversibles à court terme. Même en cas de stabilisation de la température à + 1,5 °C, un retour à l'équilibre des glaciers, demandera un certain temps. Et il est « pratiquement certain que le niveau moyen mondial de la mer continuera à s'élever au cours du XXIe siècle », souligne le Giec. Dans l'hypothèse la plus optimiste où les émissions sont réduites sans plus attendre, l'élévation probable du niveau moyen mondial de la mer d'ici à 2100 est de 28 à 55 cm. Dans le scénario catastrophe où les émissions continuent à exploser joyeusement, elle pourrait flirter avec les deux mètres voire davantage vu les incertitudes qui entourent encore le comportement des calottes polaires.
« À plus long terme, le niveau de la mer devrait s'élever pendant des siècles, voire des millénaires, en raison de la poursuite du réchauffement des océans profonds et de la fonte des calottes glaciaires. Il restera élevé pendant des milliers d'années », ajoute le rapport, qui précise qu'au cours des 2000 prochaines années, le niveau marin moyen global s'élèvera d'environ 2 à 3 m si le réchauffement est limité à 1,5°C.
Anticipant la sortie de ce rapport, le ministre britannique Alok Sharma, expert-comptable de son état et futur président du sommet climat des Nations unies (la COP 26) qui se déroulera à Glasgow au mois de novembre, a déclaré qu'il s'agissait de « l'avertissement le plus sévère jamais lancé sur le fait que le comportement humain accélère de manière alarmante le réchauffement climatique ». « Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre deux ans, cinq ans ou dix ans » pour agir, a-t-il poursuivi. Les paris sont (une fois de plus) ouverts...