La Belgique risque-t-elle de connaître des incendies extrêmes dans le futur ? "L’homme a détruit la nature et aujourd’hui, on doit pallier ces problèmes"
Le sud de l’Europe continue d’être frappé par des incendies à grande échelle. Avec les dérèglements climatiques, de tels événements extrêmes seraient-ils possibles chez nous ? Tentative de réponse.
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Publié le 18-08-2021 à 17h12 - Mis à jour le 19-08-2021 à 13h50
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Dans le Var, ce sont au moins 5 000 hectares qui ont disparu, suite à un incendie qui s’est déclaré lundi et contre lequel les pompiers luttaient encore mercredi (lire ci-contre). Au Portugal, l’Algarve a aussi connu des incendies, qui ont ravagé 9 000 hectares. En Espagne, 12 000 hectares sont partis en fumée. La Sicile brûle toujours. Plus tôt dans la semaine, c’était le Maroc et Israël qui étaient touchés par les feux de forêt. Auparavant, la Grèce, la Turquie ou l’Algérie ont été frappés à grande échelle, avec de nombreuses victimes.
De tels incendies extrêmes sont-ils possibles chez nous, actuellement, ou dans le futur, dans le contexte du réchauffement climatique ? Pour Mathieu Jonard, spécialiste de l'impact du réchauffement climatique sur les forêts à l'UCLouvain, si on tient compte des projections climatiques générales pour le futur en Belgique, le risque est a priori très limité. "On sait que les risques d'avoir des incendies de cette ampleur-là en Belgique sont faibles voire très faibles. On peut se baser sur le passé : des incendies de forêt, il y en a, mais d'ampleur très limitée. En général, cela reste sur quelques ares ou hectares. Par ailleurs, au niveau de l'évolution du climat, on peut s'attendre à des étés plus secs. Mais on ne peut pas s'attendre à avoir des conditions qui se rapprochent de celles du climat méditerranéen dans les cent ans à venir. Les changements attendus ne sont pas suffisants pour augmenter le risque de façon trop importante dans le futur." Cependant, le risque "n'est pas nul" non plus : "Le risque est quand même là, car notre climat va devenir plus sec. Il se pourrait qu'une année soit très sèche et que cela soit par exemple combiné à un épisode de mortalité importante dans les forêts et que tout cela déclenche un incendie." Cela dit, souligne le scientifique, "le risque paraît ainsi très faible, mais sans avoir été étudié. Du coup, il est important de mieux cerner les choses". Par exemple, on pourrait combiner les modèles climatiques de projections pour le futur aux modèles établissant des risques d'incendies. "C'est une piste d'étude, pour lever une certaine incertitude."

Risques à la sortie de l’hiver
Du côté de la Région wallonne, on garde aussi à l'esprit cette éventualité d'incendies plus "sérieux" dans le futur, dans le cadre du réchauffement climatique. "C'est dans la réflexion, bien qu'on ne soit pas encore dans l'urgence à ce niveau-là", indique Michel Baillij, directeur des ressources forestières au Département de la nature et des forêts (DNF). "Mais au niveau forestier, on ne travaille pas dans l'urgence, car si on plante, les forêts, elles, poussent en 50, 60, 70 ans, donc il faut qu'on anticipe. C'est donc clairement quelque chose qu'on a dans le coin de la tête, mais pour lequel on n'est pas tout à fait décidés sur les mesures à prendre et comment on le fait. Car on a d'autres urgences. Notre première urgence, notre premier questionnement, aujourd'hui, c'est : comment va-t-on faire pour que la forêt ne meure pas ? Avant même de brûler, elle va peut-être mourir de chaud, en tout cas, certaines de ses essences. Donc, on a notre focus sur cet aspect-là, mais clairement, on garde dans un coin de la tête tous les problèmes qui pourraient naître du réchauffement climatique, dont les problématiques d'incendies." Pour Michel Baillij, "le réchauffement climatique en tant que tel, global, ne va pas accentuer largement les risques, par contre il faut en distinguer les événements ponctuels. Les périodes de sécheresse que le Sud connaît actuellement, si cela nous tombe dessus, peuvent provoquer plus de risques."
À ce stade, pour que la forêt soit plus résiliente face au réchauffement climatique, la Région wallonne et son gouvernement poussent à une diversification des essences. "Cela peut aider aussi d'une certaine manière contre les incendies, précise Michel Baillij. Surtout si on mélange les résineux et les feuillus. Nous allons davantage vers un mélange des essences, des âges… La diversité est toujours un facteur pour éviter les grosses catastrophes. Et les incendies, ce sont toujours dans de grands espaces continus. S'il y a des variations, cela peut le freiner ou l'arrêter."
Le terrain wallon n'est pas favorable aux incendies, selon ce que décrit Michel Baillij. "Généralement les problèmes en incendies se situent surtout dans les Hautes Fagnes et surtout dans ses réserves naturelles, car souvent, il n'y a pas d'arbres mais des plantes herbacées au sol (joncs…) qui se dessèchent pendant l'hiver. Les risques sont surtout localisés à cet endroit et à la sortie de l'hiver, lorsque la végétation verte n'a pas encore eu le temps de repousser, car la végétation sèche brûle beaucoup plus vite que la verte. On peut aussi avoir le même phénomène quand on fait des coupes, où il n'y a plus d'arbres, et, au sol, on peut trouver des fougères qui se dessèchent pendant l'hiver. Ceci peut avoir lieu partout en Wallonie, mais ce sont généralement de très petites surfaces et donc il n'y a pas d'emballement comme on peut le voir dans le Sud. En outre, notre ambiance forestière est beaucoup plus humide que dans le sud de l'Europe où il n'y a pas de couverture complète des arbres au-dessus de nos têtes et donc avec une végétation qui se dessèche assez fort au sol. Chez nous, il y a rarement de la végétation sèche au sol, ce qui limite déjà les risques."
L’atout du morcellement
Autre particularité wallonne ? "On a aussi un morcellement des forêts, qui induit des chemins, des routes, qui sont des voies d'accès pour les pompiers (contrairement aux zones montagneuses par exemple, qui peuvent compliquer les secours, NdlR). Ce sont aussi des coupe-feu naturels. Le morcellement fait aussi que vous avez une parcelle de résineux, par exemple, puis à côté, le propriétaire change, et vous avez une forêt de feuillus, ce qui peut freiner le feu. On passe d'un peuplement plus inflammable (à cause de la résine) à un qui le serait moins. Dans le Sud, vous avez beaucoup de résineux, la sécheresse, mais aussi des siroccos, qui transportent les étincelles. Ce sont des conditions qu'on ne voit jamais chez nous."
Malgré cela, des précautions sont prises, en sachant que la problématique d'incendie est souvent localisée. "Par exemple, l'année passée, la Gaume a été très fortement touchée par la sécheresse alors que d'autres régions, nettement moins." En prenant en compte la météo des semaines précédentes et la composition de la forêt, l'agent local du DNF peut évaluer si les risques sont importants ou non, avec l'aide des services centraux. L'agent peut alors fermer d'urgence la forêt au public. "C'est moins pour protéger les gens que pour éviter que les personnes mettent le feu par imprudence. Les départs de feu sont très souvent d'origine humaine."
L’alerte des pompiers
En Wallonie, du côté des pompiers, on estime également qu'on ne peut pas comparer sud de l'Europe et Belgique en termes de risques d'incendies, vu les tailles et les températures différentes. "Néanmoins, notre personnel, là où il y a de plus grandes forêts, est formé. Des formations sont organisées par nos homologues du sud de la France et nous y envoyons nos officiers pompiers", indique le commandant hennuyer Marc Gilbert, qui a longtemps présidé la fédération des pompiers belges francophone. Mais le commandant Gilbert s'inquiète pour les risques d'incendies futurs, dans le cadre d'un réchauffement climatique qui s'accroît, en termes de besoin de personnel et de matériel, établissant ainsi un parallèle avec les récentes inondations. "Je l'ai encore dit récemment à mon conseil de zone. Nous devons nous attendre dans les prochains mois ou années à rencontrer les mêmes problèmes que nous avons actuellement. De plus en plus, nous allons être soumis à des inondations. Nous allons être soumis à des feux de forêts, probablement, avec le réchauffement. Je tire la sonnette d'alarme au niveau fédéral et régional et autres : il est temps de prendre en considération que nos conditions actuelles ne pourront plus être maintenues. Parce que - nous l'avons vu ici avec les inondations - on a, c'est clair, un manque de moyens en personnel et matériel. L'homme a détruit la nature et aujourd'hui, on doit pallier ces problèmes. En outre, les pompiers travaillent avec une multiplicité d'échelons décisionnels, ajoute-t-il, évoquant l'idée de "peut-être régionaliser les zones de secours".